Humanisme

De Réformation tranquille
Sauter à la navigation Sauter à la recherche

L’humanisme est l’un des courants de pensée les plus influents de l’histoire de la pensée occidental. Réfléchir à l’humanisme à la lumière d’une philosophie chrétienne de l’homme nécessite que nous partions du présupposé herméneutique selon lequel Dieu s’est révélé en toute liberté, par pure grâce au moyen de sa Parole (l’Ancien et le Nouveau Testament), et que celle-ci est innérante, se complète parfaitement, et ne se contredit jamais, au contraire, ce qu’elle dit s’accomplit à merveille[1]. Dans cet article, nous définirons premièrement l’humanisme, à travers un survol historique de Pétrarque à aujourd’hui. Ensuite, nous ferons une synthèse critique de la situation en faisant ressortir les aspects négatifs et positifs de ce courant de pensée.

Définition

Le mot humanisme a d’abord désigné un mouvement culturel s’étant développé à la Renaissance, puis il s’est imposé en philosophie pour désigner une attitude intellectuelle qui accorde à l'homme la valeur suprême, et qui revendique pour chaque homme la possibilité d'épanouir ses facultés humaines librement. Comme le définit Francis Schaeffer : « C’est une doctrine philosophique affirmant la dignité de l’Homme, conçue comme valeur suprême pour l’homme[2]. » Les valeurs essentielles de cette pensée sont : la liberté, la tolérance, l’indépendance, l’ouverture et la curiosité. De nos jours, l’humanisme est très rarement théiste. L’accent est plutôt placé sur la valeur personnelle de chaque individu, de manière incompatible avec croyance en Dieu.

Historique

Pour Cicéron, Humanitas veut dire culture de l’esprit, ce qui se rattache à une éducation libérale, et à l’ensemble de disciplines qui la constitue : grammaire, rhétorique, commentaire des auteurs (studia humanitatis) [3]. Cette éducation est ancrée dans la pratique des arts libéraux, fondés sur la logique aristotélicienne, elle comprend l’Analytique, aussi appelé le quadrivium (arithmétique, musique, géométrie, astronomie) et la Synthétique, communément nommé trivium (dialectique, rhétorique, poétique). Pétrarque, véritable précurseur de l’humanisme de la Renaissance, redécouvre Cicéron[4]. Toutefois, cette pensée, qui est centrée sur l’homme et qui lui redonne sa dignité, ne touche que quelques savants et cercles fermés.

Pendant la Renaissance, la redécouverte de la culture grecque antique, l’invention de l’imprimerie, la fondation de nouvelles universités et l’apparition d’une classe de familles bourgeoises régissant les cités, place l’humanisme au-devant de la scène[5]. Le terme studia humanitatis devient litterae humaniores en raison d’une coupure avec la scolastique. Le nouveau terme prend le sens suivant : « devenir des hommes au sens plein du terme, en combinant étroitement un idéal de connaissance et un idéal d’action[6] ». Aussi, l’idéal de liberté change. Tandis que chez les Grecs la liberté renvoie à l’éducation critique présente chez le citoyen seulement, pour les humanistes, influencés par Thomas d’Aquin[7], l’idéal de liberté est l’autonomie. Ajoutons que comme il « n’y a pas une Réforme, mais des réformes, il n’y a aussi pas un Humanisme, mais des humanismes[8] ». Au début de la Renaissance, c’est l’humanisme chrétien qui domine sous la tutelle d’Érasme. Pour lui, l’homme reste maître de sa destinée et c’est sur ce point que se déroulera la lutte entre libre arbitre et serf-arbitre avec Luther[9]. Érasme voit dans la liberté un don de Dieu que l’homme doit utiliser pour servir Dieu (semi-pélagianisme). Il place l’homme au centre, et le savoir comme outil. Car, pour les humanistes, l’homme est en possession de capacités intellectuelles potentiellement illimitées. Il doit utiliser ces dons pour acquérir du savoir et développer diverses disciplines.

Avec le temps les bases de l’humanisme ont changé. On de plus en plus délaissé le surnaturel et placé l’homme et son environnement en position de sauveurs. Déjà dans l’Antiquité Protagoras illustrait bien ce genre d’humanisme : « l’homme est la mesure de toute chose ».

L’humanisme actuel englobe tout mouvement de pensée idéaliste et optimiste qui place l’homme au-dessus de tous. Voici un texte de Richard Buckminster Fuller,  qui exprime bien l’optimisme humaniste moderne : « L'essence du succès pour faire fonctionner le monde sera de rendre chaque homme capable de devenir un citoyen du monde et de profiter de la terre entière, d'aller où il veut à tout moment, capable de prendre soin de tous les besoins de tous ses jours à venir sans toute interférence avec un autre homme et jamais au détriment de la liberté et de l'avantage égaux d'un autre homme.[10] »

Pour Schillebeeckx l’humanisme est conciliable avec le christianisme, car les énoncés de l’humanisme « ont valeur de présupposés à toute vraie religion » et les nier « rendrait incapable de rendre compte de la religiosité[11] ». On peut donc encore trouver des penseurs chrétiens à tendance l’humaniste.

Critique

Le terme d’humanisme lui-même devrait nous mettre sur nos gardes. Tout comme le christianisme est centré sur le Christ, l’humanisme est centré sur l’homme. Cette « idéalisation » de l’homme n’est pas biblique. L’Écriture sainte dans sa totalité montre l’impossibilité pour l’homme de se sauver lui-même et ne fait cesse de montrer la faillite de celui-ci quand il essaie de le faire. La valeur la plus importante pour les humanistes est la liberté comprise comme autonomie. Mais n’est-ce pas ici l’esprit du premier péché de l’homme ? Blocher écrit : « la connaissance du bien-et-mal est l’autonomie au sens fort[12] ». De plus, l’humanisme, en se fondant sur la dignité de l’homme, tant à minimiser l’horreur du péché et l’impact du mal sur l’être humain. C’est pour cette raison que la conception humaniste est devenue de plus en plus non théiste, et qu’elle espère que l’homme se sauve par ses propres forces. Luther dans ses thèses d’Heidelberg combat déjà cette approche de l’humanisme en disant : « Puisque nous plaçons encore une certaine confiance dans la créature […] Ainsi l'arrogance doit être évitée, non seulement dans le travail mais aussi dans l'inclinaison, c'est-à-dire qu'il doit nous déplaire encore d'avoir confiance en la créature.[13] » Les humanistes mettent l’emphase sur le second commandement avant de le mettre sur le premier, il renverse ainsi l’ordre de la loi de l’amour. L’humanité prend ainsi la place de Dieu. Or, d’un point de vue biblique, ce n’est pas parce que l’on aime notre prochain que l’on aime Dieu, mais l’inverse, c’est parce que l’on aime Dieu que l’on aime les créatures de Dieu !

En rapport avec l’éducation, l’humanisme, parce que trop discret sur le péché, dénature la doctrine chrétienne. Cela fait en sorte de nourrir l’espoir en les capacités de l’homme pour trouver son salut. L’autonomie de l’humanisme nie la souveraineté de Dieu en faveur du libre arbitre de l’homme, faisant preuve d’anthropocentrisme, guidé par un aveuglement volontaire ou inconscient du témoignage scripturaire. Cela nous conduit dans une vision du monde proche du semi-pélagianisme.

Néanmoins, il est à noter que toutes les formes d’humanismes ne sont pas complètement à rejeter. Effectivement, plusieurs principes humanistes sont pertinents. L’humanisme de la Renaissance a contribué à la mise en œuvre d’un retour aux sources de la philosophie antique. Les premiers humanistes montrent qu’il ne faut pas nécessairement rejeter la tradition ou l’héritage philosophique, mais se la réapproprier. De plus, la quête du savoir n’est pas nécessairement mauvaise en soi, elle le devient quand elle est sa propre finalité. La Bible enseigne l’importance de grandir dans la connaissance de Dieu et cela se fait en partie de manière gnoséologique. La quête du savoir et le développement de nouvelles disciplines ne sont pas de mauvaises choses, au contraire, la Bible les encouragent (Ep 6.6) [14]. Cela doit simplement toujours être fait dans le but ultime de glorifier Dieu. Aussi, la vision humaniste de l’être humain en dignité n’est pas éloignée de la doctrine de l’imago Dei, l’image de Dieu est encore présente chez l’homme aujourd’hui, mais déformée par la chute. Les humanistes sont aussi pertinents quand ils montrent l’importance pour l’homme de dominer la création (dans le sens de la découvrir, de la remplir, de créer, etc.) tout en respectant l’autre. L’importance que l’humanisme a mis sur des valeurs comme la tolérance est très bonne. Cela est en accord avec la directive de Jésus d’aimer nos ennemis (Mt 5.44). En ce qui concerne l’éducation, l’humanisme apporte certains points forts. Il y a l’importance du dialogue de la foi chrétienne avec d’autres disciplines, dont la philosophie. Pareillement, l’importance du savoir dans l’humanisme peut inspirer dans le développement d’une saine culture d’Église, plutôt que, comme trop souvent, la connaissance n’y soit pas bien vue et que ceux qui la chérissent soient accusés d’intellectualisme. De même, l’accent mis sur la dignité de l’homme devrait encourager le respect mutuel entre individus. La tolérance, par exemple, ouvre sur un style didactique qui favorise l’acceptation de tous malgré leur différence et sur la nécessité de l’amour du prochain dans la société. L’approche humaniste du développement de soi et de la création, enfin, amène à se questionner sur l’importance de la relation entre les compétences de l’apprenant et son impact sur la création, ce qu’il faut, toutefois, toujours placer dans l’optique de la relation avec Dieu.

Conclusion

Nous avons premièrement délimité ce qu’est l’humanisme. Puis, nous avons traité de la formation historique progressive de la conception humaniste. Nous avons ensuite réfléchi à l’humanisme, à la lumière d’une philosophie chrétienne, par une critique positive et négative informée par les barèmes qu’offrent la Parole de Dieu tout.

Frédéric VERVILLE

Notes et références

  1. Voir James PACKER, L’herméneutique et l’autorité de la Bible, Hokhma 8, 1978, p. 2-24. Pour une synthèse de l’herméneutique évangélique selon laquelle nous baseront notre interprétation du sujet.
  2. SCHAEFFER, op.cit., p.
  3. Denis SIMARD, Éducation et herméneutique; contribution à une pédagogie de la culture, Québec, Les presses de l’université Laval, 2004, p. 110.
  4. Konrad HECKER, « Humanism », Sacramentum Mundi, Volume 3, Montreal, Palm Publishers, 1968, p. 74.
  5. Hermann TÜCHLE, « La crise à la veuille de la Réforme », Nouvelle histoire de l’Église, Tome 3, Paris, Éditions du Seuil, 1968, p. 43.
  6. Jean-Claude MARGOLIN, 1981, p.9.
  7. Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, Genève, La maison de la Bible, 1971, p. 13.
  8. Jean-Claude MARGOLIN, «Erasme humaniste chrétien », 2000 ans de christianisme, tome 5, Paris, Journal de la Vie, 1985, p. 20.
  9. Daniel OLIVIER, « Le tournant de l’année 1525 », 2000 ans de christianisme, tome 5, Paris, Journal de la Vie, 1985, p. 55.
  10. Richard BUCKMINSTER FULLER, Utopia or Oblivion, Switzerland, Lars Muller Publishers, 1969, p. 174.
  11. E. SCHILLEBEECKX, Dieu et l’homme, Bruxelles, Éditions du Cep, 1965, p. 54.
  12. BLOCHER, La doctrine du péché et de la rédemption, p. 75.
  13. Martin LUTHER, Luther’s Works, Philadelphia, Fortress Press,1958-1972, 31.48.
  14. En incluant l’acquisition de connaissance et développement de nouvelle discipline dans la notion de « travail ».

Bibliographie

  • BUCKMINSTER FULLER, Richard, Utopia or Oblivion, Switzerland, Lars Muller Publishers, 1969.
  • ENCYCLOPAEDIA BRITANNICA, « Humanism », The New Encyclopaedia Britannica, Volume V, London, Benton Publishers, 1979.
  • HECKER, Konrad, « Humanism », Sacramentum Mundi, Volume 3, Montreal, Palm Publishers, 1968.
  • LUTHER, Martin, Luther’s Works, Philadelphia, Fortress Press, 1958-1972.
  • MARGOLIN, Jean-Claude, « Erasme humaniste chrétien », 2000 ans de christianisme, tome 5, Paris, Journal de la Vie, 1985.
  • OLIVIER, Daniel, « Le tournant de l’année 1525 », 2000 ans de christianisme, tome 5, Paris, Journal de la Vie, 1985.
  • PACKER, James, L’herméneutique et l’autorité de la Bible, Hokhma 8, 1978.
  • SCHAEFFER, Francis, Démission de la raison, Genève, La maison de la Bible, 1971.
  • SCHILLEBEECKX, E., Dieu et l’homme, Bruxelles, Éditions du Cep, 1965.
  • SIMARD, Denis, Éducation et herméneutique; contribution à une pédagogie de la culture, Québec, Les presses de l’université Laval, 2004,
  • TÜCHLE, Hermann, « La crise à la veille de la Réforme », Nouvelle histoire de l’Église, Tome 3, Paris, Éditions du Seuil, 1968, 622 p.
  • VAN TIL, Cornelius, The defense of the faith, Phillipsburg, Presbyterian and Reformed Publishing Co, 1955.