Herméneutique
Avant l’apparition du terme au XVIIe siècle, on parlait simplement de l’art de l’interprétation. Nul ne pensait en faire une science rigoureuse, encore moins une philosophie universelle de la compréhension, comme d'autres le feront plus tard. C’est le théologien Johann Conrad Dannhauer qui est responsable du néologisme d’hermeneutica, que l’on retrouvera dans ses écrits, l’ayant substitué à ce que l’on nommait précédemment Auslegungslehre[1].
Les conceptions antiques de l'herméneutique
Dans l’Antiquité, l’art de l’interprétation s’applique aux domaines de la théologie (hermeneutica sacra), du droit (hermeneutica juris) et de la philologie (hermeneutica profana), en servant principalement d’auxiliaire à l’interprétation des passages difficiles à comprendre. Normatif, cet art emprunte la plus grande partie de ses règles à la rhétorique, qui, en s’intéressant à l’émission du discours, s’attarde, au passage, à la réception de celui-ci et à ses effets chez le destinataire. Hermeneuein est le verbe grec d’où provient le terme d’interprétation. Il se réfère tantôt au processus qui va de la pensée au discours, tantôt à celui qui remonte du discours à la pensée ; bien qu’aujourd’hui le terme ne désigne plus que la remontée, les Grecs voyaient déjà une médiation signifiante dans ce que nous appelons l’élocution, et qui leur apparaissait comme transmission verbale de sens[2].
Alors que les stoïciens élevaient la réflexion au-dessus de l’élocution, Augustin saura les valoriser l’une autant que l’autre. La foi d’Augustin en l’Incarnation du Christ l’empêche, en effet, de voir dans l’émission physique du logos une réalité de second ordre[3]. En procédant de l’amour divin pour le pécheur, le se faire chair du Verbe se révèlera, d’ailleurs, pour Augustin, la seule voie d’accès à la seule joie véritable, la connaissance de l’Éternel. En découle ce principe selon lequel l’interprétation doit se faire en fonction de la loi de l’amour et la formule spiraloïde de croire pour comprendre et de comprendre pour croire.
Schleiermacher et Dilthey : les pères de l'herméneutique contemporaine
Plusieurs siècles plus tard, après la vague des grands maîtres de l’herméneutique rationaliste et piétiste, le champ de l’herméneutique s’élargit pour recouvrir la réflexion sur la vérité des sciences humaines. À l’instar d’Augustin, Schleiermacher s’enracine dans la bonne terre d’une rhétorique inversée : « tout acte de compréhension est l’inversion d’un acte de discours en vertu de laquelle doit être porté à la conscience quelle pensée se trouve à la base du discours[4] ». En jouant ainsi de la rhétorique à l’envers, l’herméneute cherche à découvrir l’intention de l’auteur. Pour ce faire, il procède à l’interprétation grammaticale et à l’interprétation psychologique, du langage de celui-ci dans ses particularités stylistiques, puisque les mêmes mots ne veulent pas toujours dire la même chose d’un auteur à l’autre.
Avec sa méthode grammatico-psychologique, Schleiermacher vise une herméneutique plus universelle, prête à coloniser toutes les disciplines. Pour en planter le drapeau dans le champ général du comprendre humain, il radicalise la nécessité de l’herméneutique en affirmant d’abord l’universalité de la mécompréhension, allant même jusqu’à suspecter une part d’étrangeté dans tout discours d’autrui.
Avec Dilthey, son disciple, l’utopique projet d’une science « exacte » de l’interprétation (des Saintes Écritures) se dessine par la mise en place d’une méthodologie soi-disant garante de vérité scientifique. En réponse à l’essor des sciences pures, qui font de l’ombre aux sciences humaines, l’herméneutique devient « une réflexion méthodologique sur la prétention de vérité et le statut scientifique des sciences humaines[5] ». Dilthey rapportera toute l’herméneutique à une méthodologie, alors même qu’il en entrevoit l’omniprésence dans la vie humaine.
- ↑ Jean GRONDIN, L’herméneutique, Presses Universitaires de France, Paris, 2006, p. 9.
- ↑ GRONDIN, op. cit., p. 10.
- ↑ GRONDIN, « L’universalité de l’herméneutique et de la rhétorique : Ses sources dans le passage de Platon à Augustin dans Vérité et méthode », Revue internationale de philosophie 54, 2000, p. 469-485.
- ↑ Friedrich SHLEIERMACHER, cité par GRONDIN, op. cit., p. 15.
- ↑ GRONDIN, op. cit., p. 7.