Expérience religieuse

De Réformation tranquille
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L’expérience religieuse, spirituelle ou mystique, est « une expérience subjective au moyen de laquelle une personne ou un groupe de personnes entre en contact avec une réalité transcendante[1] ». Pour le chrétien, elle est une rencontre renouvelée[2] avec le Dieu de Jésus-Christ qui visite l’âme et communique avec le croyant sous plusieurs formes. Ce dernier doit se préparer à cette rencontre par la prière et se soumettre à ce qui est ainsi révélé[3]. Pour nous, cette expérience peut être considérée dans la mesure où elle est interprétée par l'Écriture et subordonnée à elle.

Qu’on y croit ou non, l’expérience religieuse pose problème pour plusieurs raisons : elle est complètement subjective, ne peut être communiquée et prétend admettre, par cette évidence, ce qui ne relevait que de l’opinion personnelle[4]. À partir du XVIIIe siècle, en réaction aux Lumières, plusieurs théologiens fondent leur conception théologique sur l’expérience religieuse. Dans le cas du théologien allemand Friedrich Schleiermacher, elle s’avère l’attestation ultime de l’existence du divin ; pour d’autres, elle « fournit un argument cumulatif qui, en conjonction avec des preuves provenant d’autres sources, semble valider les systèmes de croyance religieux[5] ».

Les théologies basées sur l’expérience émergent pour combattre la stérilité intellectuelle. Elles sont considérées comme le contraire d'une religion « de tête ». Plusieurs mouvements de la période moderne ont accordé une prééminence à l’expérience du croyant, dont le piétisme, le revivalisme, le « Holiness Movement » et le Pentecôtisme. L’un des éléments caractéristiques de leur doctrine est l’accent sur la troisième personne de la Trinité, notamment son œuvre dans la création et la recréation, son apport aux relations et son rôle fondamental dans la mise en œuvre de l’expérience spirituelle. Cet accent sur l’expérience du Saint-Esprit, leur a valu d’être accusé de mettre l’expérience religieuse au-dessus de l’Écriture en tant que norme de vérité, ce qu’ils réfutent. Devant cette critique, le défi des théologies basées sur l’expérience est double : ne pas isoler l’expérience de la réflexion et l’orthodoxie de la vie intérieure[6] . Autrement dit, Esprit et Parole sont unis et complémentaires au sein de la Trinité. Johnston affirme « qu’une théologie expérientielle biblique souligne le rôle continu du Saint-Esprit dans la création et la rédemption (Ac 14.15-18, Rm 8, Ga 4.6-7). Elle reconnaît également que l’accent mis sur l’Esprit s’ouvrira authentiquement en mettant l’accent sur le Christ de la Parole (1 Co 12.3, 1 Jn 4.2). Enfin, la théologie expérientielle sera toujours une théologie d’Église (Rm 12, 1 Co 12)[7] ».

Plusieurs dangers doivent être soulevées lorsqu’on considère la contribution de l'expérience au sein du mouvement évangélique[8]. Le premier est que l’accent sur l’expérience conduise au relativisme, dès lors que tous y ont accès et l'interprètent différemment. Le deuxième est de sombrer dans le subjectivisme, qui établit l’expérience individuelle au titre de source primaire pour la théologie. Comme le dit Blocher, « le danger vient dès que l’émotion retient pour elle l’intérêt de l’individu ou du groupe[9] » ou lorsque les pensées sont confondues avec la voix de l’Esprit. Le troisième concerne la contrefaçon de l’expérience religieuse. Celle-ci peut se faire par l’imagination ou par la fabrication d’expériences superficielles. Le quatrième est l’utilisation de techniques qui proviennent d’autres religions pour créer des expériences extatiques par des substances, telles que les drogues, ou des exercices rituels[10] qui altèrent les états de conscience. Le cinquième est que l’expérience religieuse soit banalisée, étant donné que l’esprit de la modernité a miné la crédibilité du surnaturel. Par conséquent, celui qui désire considérer l’apport de l’expérience dans son système théologique doit en faire l’apologie. Enfin, plusieurs de ces problèmes sont survenus tout au long de l’histoire chrétienne et nous les rencontrons encore aujourd’hui. Nul doute qu’ils expliquent la méfiance à l’égard de l’expérience surnaturelle. Cependant, nous devons admettre que certains événements semblent authentiques et nous devons être prêts à les accueillir.

Sébastien MORRISSETTE

Notes et références

  1. Claude ROCHON, « Expérience religieuse », La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Charols, Éditions Excelsis, 2013, p. 448.
  2. Pour certains croyants, l’exercice assidu des disciplines spirituelles permet d’arriver à cette fin.
  3. Avery DULLES, Models of Revelation, New York, Image Books, 1985, p. 33.
  4. Claude ROCHON, op. cit., p. 449.
  5. Ibid., p. 452.
  6. R.K. JOHNSTON, op. cit., p. 300. « Within the history of Christianity, however, certain movements have distinguished themselves by stressing the primacy and authority of experience over other sources of knowledge, such as the church (tradition) and the Word (Scripture). In the modern period Pietism, revivalism, the Holiness movement, and Pentecostalism have all given pre-eminence to believers’ experience. Such movements have not viewed themselves in opposition to Scripture’s witness or the church’s true teaching. They have challenged recurring conceptualist orthodoxy and/or rigid scholasticism. Without the Spirit’s complementary life, the letter remains dead (2 Cor. 3:6). »
  7. Ibid., p. 301.
  8. Ces questions proviennent d’une synthèse de l’argumentation de Claude ROCHON, op. cit., p. 452 – 453.
  9. Henri BLOCHER, cité par Pierre KLIPFEL, « Piété personnelle », Dictionnaire de théologie pratique, Charols, Editions Excelsis, coll. « OR », 2011, p. 537.
  10. Claude ROCHON, op. cit., p. 449. Il mentionne que « depuis la nuit des temps, les chamans utilisent diverses techniques pour atteindre des états de conscience altérés : tambours, danse, mouvements rythmiques, jeûne, privation sensorielle, exercices de respirations, chant et exposition à des températures extrêmes. »

Bibliographie

  • DULLES, Avery, Models of Revelation, New York, Image Books, 1985.
  • JOHNSTON, R.K., « Experience », Evangelical Dictionary of Theology (Third Edition), Grand Rapids, Baker Academic, 2017.
  • KLIPFEL, Pierre, « Piété personnelle », Dictionnaire de théologie pratique, Charols, Editions Excelsis, coll. « OR », 2011.
  • ROCHON, Claude, « Expérience religieuse », La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Charols, Editions Excelsis, 2013.