Piétisme
Le piétisme est un mouvement religieux du christianisme de l’Allemagne luthérienne du XVIIe siècle dont les adeptes s’opposent aux tendances mondaines du protestantisme et à toute forme d’adhésion à la Réformation qui ne soit qu’intellectuelle.
Sommaire
Définition générale
L’origine du mot « piété » provient du latin pietas (piété, dévotion, religiosité), du grec eusebeia et de l’hébreu ḥāsîd (pieux, bon). Apparaissant plus d’une douzaine de fois dans le Nouveau Testament, eusebeia a été traduit par « sainteté », « piété » ou « religion »[1]. Le piétisme apparaît au XVIIe siècle en ayant pour but de faire revivre l’orthodoxie morte de la religion de masse, divorcée de l’expérience religieuse. Cette réaction n’est pas unique : l’histoire chrétienne est témoin de cette tendance récurrente, de ce balancier entre la dimension objective de la foi et sa contrepartie subjective. Nous notons du coup que cette crise chrétienne concernant sa revitalisation par la piété n’est pas unique à l’Allemagne protestante durant cette époque. Elle se vit en parallèle avec le puritanisme anglais et le nadere Reformatie au Pays-Bas. La maxime d’August Hermann Francke explique bien la priorité accordée à l’expérience religieuse du piétisme : « Le théologien doit préférer un gramme de foi vivante à un quintal de science morte[2] ».
Toutefois, la quête du piétisme n’est pas seulement l’expérience. Les piétistes cherchent à compléter la refonte de la doctrine protestante à travers une réforme de la vie de piété dans les domaines de la théologie, de l’Église et de la morale. Pour Spener, cet objectif comporte plusieurs points, que Brown explique ainsi : « Espérant des temps meilleurs, Spener a exprimé ses « vœux pieux » pour la réforme de l’Église. Il a préconisé: une étude biblique plus intensive, individuellement et en collegia pietatis; l'exercice du sacerdoce universel des croyants par une activité laïque accrue; la pratique du christianisme dans la vie quotidienne et les œuvres d'amour désintéressé; traiter les incroyants et les hérétiques avec des prières sincères, un bon exemple, un dialogue persuasif et un esprit d'amour au lieu de contrainte. Ces propositions sont rapidement devenues le centre d'une controverse croissante[3] ».
Les principales caractéristiques du piétisme sont l’importance de l’étude biblique, la prépondérance accordée à la théologie expérientielle, l’imposition d’un moralisme radical et l’émergence des laïcs dans l’Église.
La théologie piétiste
L’importance de l’étude biblique
Pour les piétistes, le théologien doit avoir reçu une éducation biblique pour enseigner, de même que faire prévaloir la théologie biblique sur la théologie systématique. Pour Paul Tillich, nous percevons encore les traces de cet héritage : « Partout où la théologie biblique prévaut sur la théologie systématique qui est presque toujours due à l'influence du piétisme. Avant que le théologien ne puisse édifier les autres, il doit d'abord être lui-même éduqué[4] ». La théologie piétiste est biblique et pratique.
La prépondérance d’une théologie expérientielle
L’Église luthérienne développe sa doctrine et sa théologie de manière à se positionner à la fois face à l’Église catholique romaine et aux Réformés. Ce choix nécessaire à l’époque a contribué à faire prévaloir la doctrine sur la vie chrétienne. À ce sujet, Philipp Jakob Spener (1635-1705), l’un des dirigeants les plus connus du mouvement piétiste, écrit, dans Pia Desideria, que l’accent mis sur l’orthodoxie du luthéranisme provoque un effet mortel sur la vie chrétienne. Afin d’y remédier, il rédige une série de propositions encourageant les croyants à vivre la spiritualité personnellement, plutôt que de cantonner la vie chrétienne au domaine académique, comme il l’exprime dans sa célèbre expression « avoir la tête dans le cœur[5] ». Selon lui, c’est la spiritualité individuelle qui est la source de la mission chrétienne, car « la joie d’une expérience personnelle du salut se combin[e] avec le désir ardent de proclamer l’Évangile[6] ».
L’imposition d’un moralisme radical pour la sanctification individuelle
Plusieurs facteurs ont contribué à faire de la sanctification individuelle et du détachement des affaires du monde les principaux impératifs moraux du piétisme, dont les mauvaises conditions morales et sociales qui ont suivi la guerre de Trente Ans (1618-48), et le rayonnement du Baroque venu d’Italie qui symbolise la mondanisation et une discipline ecclésiale absente malgré la présence doctrinale. Selon Tillich, « le piétisme eut une grande influence sur la culture en général et fut la première à agir en termes d’éthique sociale[7] ». La théologie de l’Université de Halle, où Schleiermacher a étudié, est particulièrement piétiste, en ce qu’elle insiste sur la nécessité d’une conversion acquise à travers une crise profonde. Cette crise est vécue comme lutte intérieure désespérée de laquelle on ne sort que par l’expérience de conversion. Le signe authentique d’une conversion consiste à vivre en refusant les tentations du monde[8], d’où « le combat contre la danse, le théâtre, les jeux, les belles robes, les banquets, les mauvaises discussions et partageait cette attitude puritaine[9] ».
L’émergence des laïcs dans l’Église
Grâce à cette lumière intérieure, les croyants disposent d’un accès immédiat à la Révélation. L’émergence des laïcs dans l’Église coïncide avec celle de la doctrine protestante du sacerdoce universel des croyants. Cette autonomie des individus ne sera pas sans miner l’autorité de l’Église et du clergé. Toutefois, afin de conserver leur bonne disposition d’esprit, les laïcs doivent demeurer actifs dans l’Église, leur maison et les collegia pietatis. La mise en pratique biblique du sacerdoce universel des croyants implique donc l’effort de la consécration.
Sébastien MORRISSETTE
Références
- ↑ D.W. BROWN, « Pietism », New Dictionary of Theology, Downers Grove, IVP, 2000, p. 515- 516.
- ↑ Fritz LIENHARD, op. cit., p. 11.
- ↑ D.W. BROWN, op. cit., p. 516.
- ↑ Paul TILLICH, op. cit., p. 285.
- ↑ John M. FRAME, op. cit., p. 176 ; J. BAUBÉROT, « Piétisme », Encyclopædia Universalis, vol. 13, Paris, Encyclopædia Universalis France, 1974, p. 56.
- ↑ David J. BOSCH, Dynamique de la mission chrétienne - Histoire et avenir des modèles missionnaires, Genève, Labor et Fides, 1995, p. 336.
- ↑ Paul TILLICH, op. cit., p. 284.
- ↑ John M. FRAME, op. cit., p. 176 ; J. BAUBÉROT, op. cit., p. 57.
- ↑ Paul TILLICH, op. cit., p. 285.
Bibliographie
- BAUBÉROT, J., « Piétisme », Encyclopædia Universalis, vol. 13, Paris, Encyclopædia Universalis France, 1974, p. 56-58.
- BOSCH, David J., Dynamique de la mission chrétienne - Histoire et avenir des modèles missionnaires, Genève, Labor et Fides, 1995, 774 p.
- BROWN, D.W., « Pietism », New Dictionary of Theology, Downers Grove, IVP, 2000, p. 515-516.
- FRAME, John M., A History of Western Philosophy and Theology, Phillipsburg, P&R Publishing, 2015, 875 p.
- LIENHARD, Fritz, La démarche de théologie pratique, Montréal, Novalis, 2006, 265 p.
- TILLICH, Paul, A History of Christian Thought — From its Judaic and Hellenistic Origins to Existentialism, New York, Touchstone, 1967, 541 p.