Époque moderne
L'époque moderne est une période historique qui débute à la fin du XIVe siècle et à laquelle se rattache une forme de pensée et une condition, la modernité. Il est difficile, voire impossible, de fixer la date exacte de son commencement. Plusieurs événements marquants surviennent de manière rapprochée : découverte du Nouveau-Monde par Christophe Colomb ; occupation de Constantinople par les Turcs, qui fait en sorte que l’Islam est apporté au centre du monde chrétien de l’époque ; passage à la méthode expérimentale, qui marque le début de la science moderne. On voit que plusieurs forces entrent en jeu. Quelque chose se met en place, qui va culminer au siècle des Lumières, pour conduire à une situation de plus en plus intenable, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. La modernité n’a pas trop mal commencé. Ce qui est d’abord véhiculé c’est l’idée que le savoir peut surgir ailleurs que dans la tradition, comme c’est le cas avec Copernic (1473-1543), Kepler (1571-1630), Galilée (1564-1642), et Bacon (1560-1626). Pour ce dernier, il s’agit de trouver le secret de la nature, de savoir comment elle marche, de connaître ses lois pour la maîtriser[1].
Dans la modernité s’impose l’idée de progrès. S’il y a dans la Bible une vision eschatologique, on n’y retrouve pas celle moderne de progrès. Avant la modernité, ce qui était meilleur n’était pas ce qui était récent. Le mieux était de revenir au passé. Avec la modernité, le savoir est pensé comme exercice individuel. La recherche se fait seul, avec sa propre raison, contrairement à la vision ancienne, qui préconisait le savoir collectif, notamment sous forme de commentaires de commentaires. L’Église devient aussi une tradition à rejeter. Bien que Martin Luther, avec la Réforme, s’opposera à cette idée[2], la modernité, et son rejet de la tradition, se poursuivra vers un déséquilibre de plus en plus prononcé.
Durant cette période, on passe progressivement de la normalité du théisme à la normalité de l’athéisme, jusqu’à aboutir à la conception d’un monde vide de Dieu, fruit du hasard et de la nécessité, pour reprendre l’expression du prix Nobel Jacques Monod[3]. C’est le rejet des grandes valeurs du Moyen Âge (tradition, Église, autorité).
Sommaire
Les débuts de la science expérimentale
Dès la Renaissance, dont Érasme est l’un des piliers, on cherche à reconnecter avec la période classique. Cela a eu du bon, notamment pour l’étude de la Bible, en raison du retour au grec et à l’hébreux. C’est aussi le retour aux humanités en éducation. Calvin sera d’ailleurs formé comme humaniste (au sens positif du terme). Ensuite, la période moderne marque le début de la science expérimentale, mais aussi d’un rejet de plus en plus exacerbé des traditions. La science expérimentale ne pouvait naître que dans le monde occidental (monde créé par Dieu, distinct de Dieu, homme à l’image de Dieu capable de comprendre l’œuvre de Dieu). Avec Descartes le rejet du passé s’accentue. Il se dit trompé par la tradition, l’autorité et même le sens commun. Il voit aussi l’Écriture comme trompeuse, en raison de ses nombreuses interprétations. Il va donc à la recherche d’un fondement du savoir, qu’il trouve dans la raison humaine et individuelle[4]. La raison devient critère, moyen et but de la connaissance. Enfin, cette période voit de nombreux résultats positifs des sciences. Au XIXe siècle, apparaissent les théorie de l’évolution, avec Darwin pour chef de file[5]. Ce qui se consolide durant la période moderne c’est le récit moderniste du progrès : le nouveau est mieux que l’ancien. Ce sera alors le triomphe de l’éphémère[6].
René Descartes
René Descartes est considéré comme la source de la modernité en philosophie. Il trouve que tout est susceptible de le tromper, même ses propres yeux, ce qui le conduit au doute méthodique (il faut douter de tout) et au doute radical (il ne faut rien soustraire au doute)[7]. Or il découvre que s’il peut douter de tout, il ne peut douter du fait d’exister. Car même s’il est trompé dans sa pensée, il pense (Cogito, ergo sum). Cela le conduit au méthodisme. Il reconstruit la connaissance étape par étape sur le socle de cette idée d’exister. Systématiques, ces étapes doivent être simples, contrôlables et indubitables. Cette tabula rasa consiste à tout effacer et à reconstruire sur la base de la raison et un savoir certain, universel. C’est le début du rationalisme, mais aussi de l’individualisme, car il s’agit d’ériger le savoir sans les autres. La raison est déclarée capable seule d’établir les vérités apodictiques. La balle est lancée par Descartes qui va se rendre aux Lumières.
Les Lumières
Emmanuel Kant
À l’époque de ce que l’on a appelé les Lumières, Emmanuel Kant, comme Voltaire et Diderot, est convaincu que l’homme n’a besoin ni de la tradition ni de l’autorité[8]. L’aspect trompeur de celles-ci (notamment les traditions de l’Église et de la Bible), pense-t-il, le conduit, à la suite de Descartes, à partir de la raison, plus précisément de l’entendement, c’est-à-dire de la fonction discursive de la raison. Kant pense avoir raison de voir les choses ainsi, car il voit les résultats de la science. N’oublions pas qu’il vient après Newton. Il voit les résultats positifs en médecine, chimie, industrie, etc., et veut en finir avec les « ténèbres ». Ainsi, l’impératif de Kant est d’oser se servir de sa raison (ce qui résume l’essentiel même du modernisme). La raison, qui exprime l’humanité en ce qu’elle est accessible à tous[9], est érigée au rang de lumière universelle. Car elle est vue comme bonne et porteuse de progrès. On va même jusqu’à lui attribuer le pouvoir de mettre fin aux guerres.
Pierre-Luc VERVILLE
Notes et références
- ↑ François BACON, Œuvres de François Bacon, Volume 1, De la dignité et de l'accroissement des sciences. Volume 2, Nouvel organum. Essais de Morale et de Politique. De la sagesse des Anciens. Paris, Charpentier, 1799-1802.
- ↑ Martin LUTHER, Œuvres, tome I, Paris, Gallimard, 1999. Martin Luther ne sera pas d’accord avec cette idée, car ce n’est l’Église elle-même qui doit être rejetée, mais ce qu’il y a de mauvais dans sa tradition. Luther enseigne plutôt qu’on a fait dire à la Bible ce qu’elle ne disait pas, et que c’est l’autorité de la Bible plutôt que l’autorité de la tradition qu’il nous faut accepter.
- ↑ Jacques MONOD, Le Hasard et la Nécessité, Paris, Seuil, 1970.
- ↑ René DESCARTES, Discours de la méthode, introduction et notes de Étienne Gilson, Paris, Vrin, 1989 ; Méditations métaphysiques, traduction de Florence Khodoss, Paris, Presses universitaires de France, 1989.
- ↑ Charles DARWIN, L’origine des espèces, traduction de Edmond Barbier, Paris, Flammarion, 1999.
- ↑ Gilles LIPOVETSKY, L’Empire de l’éphémère. La mode et son destin dans les sociétés modernes, Paris, Gallimard, 1987.
- ↑ René DESCARTES, Œuvres et lettres, édition d’André Bridoux, Paris, Gallimard, 1937. La première parution du Discours de la méthode date de 1637.
- ↑ Emmanuel KANT, Critique de la faculté de juger suivi d’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique et de Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ?, Paris, Gallimard, 1989. L’essai Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? date de 1784.
- ↑ Paradoxalement, à cette époque, les femmes sont exclues du savoir.