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Version du 9 juin 2021 à 18:23
« Le rejet de l’histoire est une tentation perpétuelle des civilisations issues du judéo-christianisme »[1]. Or ce n’est que parce que nous avons hérité de l’histoire que nous avons la possibilité de la rejeter ; les civilisations autres que judéo-chrétiennes et grecques antiques n’ont pas ce luxe[2].
Tout comme la science moderne est intrinsèquement occidentale, la rationalisation du passé n’a pu émerger que dans une tradition épistémologique réaliste, autrement dit avec conception qui admet une correspondance entre ce qui se déroule dans le monde et ce qu’on en dit. Comme en témoigne notre calendrier, la mesure occidentale du temps est inséparable de cet événement décisif de l’histoire, point de jonction entre deux mondes, qu’est l’Incarnation du Verbe. « Aucune expérience religieuse, en dehors de celle des juifs et des chrétiens, ne suppose que Dieu s’incarne dans l’histoire d’un peuple, s’engage profondément dans l’aventure des hommes »[3]. Ainsi, l’histoire, comme exploration rationnelle et connaissance du passé, est une prérogative propre à notre héritage dont nous devons protéger les conditions de possibilité, dont la première est de reconnaître la nécessité d’entretenir la connaissance de ce qui nous a précédé.
Dans ce qui suit, nous voudrions baliser, très sommairement, ce domaine de la connaissance du passé dont nous avons hérité. Nous aborderons d'abord la question de la périodisation. Ensuite, nous proposerons, peut-être par excès de prudence, un découpage plutôt conservateur de l’histoire. Enfin, il s'agira d’entrevoir par quel processus historiographique est possible la connaissance historique.
Sommaire
La périodisation
La périodisation, c’est-à-dire le découpage du temps en périodes, est essentielle pour penser les temps longs, mais aussi pour dépasser les temps cycliques. Le choix de découper le passé en périodes n’est pas que quantitatif, il est aussi qualitatif. C’est une interprétation des événements dans leur rapport les uns aux autres selon une conception raisonnée du temps. Ce besoin de fractionner l’histoire est tributaire de deux pensées et de leur évolution : la grecque et la judéo-chrétienne[4]. La première remonte à Hérodote au Ve siècle avant J.-C.[5], la seconde s’appuie sur la Bible[6].
La périodisation rassemble sous une même bannière des sensibilités particulières qui ont en commun de s'insérer entre des changements significatifs qui servent de repères. En effet, « ce découpage n’est pas un simple fait chronologique, il exprime aussi l’idée de passage, de tournant, voire de désaveu vis-à-vis de la société et des valeurs de la période précédente[7] ». Telle période incarne une mentalité qui n’était pas possible à une autre. L’historien doit en tenir compte. « Les périodes ont par conséquent une signification particulière ; dans leur succession même, dans la continuité temporelle ou, au contraire, dans les ruptures que cette succession évoque, elles constituent un objet de réflexion essentiel pour l’historien[8] ».
La tradition française divise l’histoire en quatre périodes : l’Antiquité, le Moyen Âge, l’époque moderne et l’époque contemporaine.
Les époques historiques
L’Antiquité
L’Antiquité débute au IVe millénaire avant J.-C. (vers 3500) avec l’invention de l’écriture, en Mésopotamie, qui marque l’entrée de l’humanité dans les temps historiques. Elle s’étend jusqu’à la chute de l’Empire romain d’Occident au Ve siècle après J.-C., au moment où le christianisme commence sa domination. Les Temps antiques voient naître plusieurs grandes civilisations, dont l'Égypte antique, la civilisation mésopotamienne, la Grèce antique et la Rome antique. Pour des raisons historiographiques, nous périodisons l’histoire en isolant ces civilisations, mais nous devons garder en tête qu’elles se sont mutuellement influencées[9]. De ces civilisations nous sont parvenus de nombreux monuments, dont les pyramides égyptiennes, les temples et les amphithéâtres grecs et romains. La fin de l’Antiquité coïncide avec ce qu’on a appelé les grandes invasions, importants mouvements migratoires en provenance d’Europe, et avec la fin, pour le christianisme, du « temps des grandes confrontations et de la construction dogmatique des IIIe, IVe et Ve siècles, qui correspond à la sortie de la clandestinité[10] ». En 476 ap. J.-C., la chute de l’Empire romain d’Occident est officielle, le dernier empereur romain d’Occident est déposé. « Si l’on peut déceler dans la crise du monde romain au IIIe siècle le début du bouleversement où naîtra l’Occident médiéval, il est légitime de considérer les invasions barbares du Ve siècle comme l’événement qui précipite les transformations, leur donne une allure catastrophique et en modifie profondément l’aspect[11] ».
Le Moyen Âge
Le Moyen Âge s’étend entre deux chutes, celle de l’Empire romain occidental au Ve siècle de notre ère et celle de Constantinople en 1453. Tandis qu’il cesse en Occident en 476, l’Empire romain se déplace en Orient où il survivra pendant un millénaire. Malgré une grande fragmentation politique de l’Europe, les divers royaumes se rassemblent sous la bannière de la Chrétienté. Le Moyen Âge se divise traditionnellement en trois parties : le haut Moyen Âge (476-987), le Moyen Âge central (fin du Xe siècle - XIIIe siècle) et le bas Moyen Âge (XIVe au XVe siècle). Durant le haut Moyen Âge, le christianisme sort de sa marginalité première. Les chrétiens cessent d’être persécutés, et deviennent persécuteurs. Le Moyen Âge central est celui de la Chrétienté majestueuse. Des cathédrales grandioses sont érigées, tandis que sont écrites des Sommes tout aussi grandioses. Durant le bas Moyen Âge, malgré la puissance de l’Église, la Chrétienté est ébranlée par diverses « hérésies » et par des vagues de pestes noires. Les réformes se préparent. L’Empire romain d’Orient disparaît lorsque Constantinople, déjà affaiblie par l’attaque et le pillage de la quatrième croisade, tombe aux mains des Ottomans, en 1453. Christophe Colomb découvrira l’Amérique quatre décennies plus tard.
L’époque moderne
De la chute de Constantinople, qui conduit à la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, jusqu’aux Révolutions américaine et française, ce sont les Temps modernes ou l’époque moderne. Le passage vers l’Asie ayant été limité par la prise de Constantinople, les royaumes d’Europe financent la recherche de nouvelles voies maritimes. Lorsque les Espagnols découvrent le Nouveau Monde, ils pensent alors avoir atteint les Indes orientales. D’autres changements sont notables en Europe au début de l’époque moderne : la division du christianisme entre catholiques et protestants, les premiers scientifiques expérimentaux, le gouvernement de presque toutes les nouvelles nations par une monarchie absolue renforcée, et l’établissement du capitalisme[12]. À ces bouleversements, il faut encore ajouter ceux de l’imprimerie qui, doit-on le rappeler, augmente considérablement les capacités de diffusion des nouvelles idées. Les Lumières en bénéficieront amplement. En outre, la découverte de l'Amérique conduira à l’exploration et à la colonisation par l’Espagne, puis par la France, la Grande-Bretagne et le Portugal, du Nouveau monde. Les civilisations s'entrechoquent. Le commerce se mondialise. Il faut toutefois attendre le XVIIIe siècle pour que l’Europe en soit radicalement chamboulée. « L’Amérique ne devient en effet une interlocutrice pour le Vieux Continent qu’au moment de la fondation des États-Unis, en 1778, et, pour ce qui concerne l’Amérique du Sud, de la libération par Bolivar, à partir de 1810, d’une grande partie des États coloniaux espagnols[13] ». Les États-Unis déclarent leur indépendance en 1776, tandis que les Français entrent en Révolution à partir de 1789.
L’époque contemporaine
L’époque contemporaine, dont le rideau s’ouvre avec la Révolution française et qui se poursuit jusqu’à nos jours, est le théâtre de nombreux bouleversements, dont ceux de la fin de la monarchie, de l’industrialisation, de la Première et la Deuxième Guerre mondiale, des attentats du 11 septembre, et de l’actuelle pandémie. Dans la périodisation que nous proposons, la Révolution française a son importance historique en ce qu’elle a été le point de rencontre de forts courants de pensée qui ont divisé les nations, jusqu’à les déchirer, et que ces courants de pensée, tantôt économiques tantôt anthropologiques, continuent de départager les régimes politiques[14]. Nous ne savons quand le rideau se fermera sur la présente période, ni même si nous en prendrons conscience au moment même de sa fermeture - probablement pas -, ce sera aux historiens des générations futurs d’en décider, à partir des documents qu’ils auront à leur disposition.
L’historiographie
Si l’historiographie est à proprement parler, ou du moins étymologiquement, l’écriture de l’histoire, elle déborde amplement la pratique littéraire de l’historien. Certes, le terme désignait, jusqu’à tout récemment, l’enquête épistémologique. Or Paul Ricœur, à juste titre, après Michel de Certeau, « l’emploie pour désigner l’opération elle-même en quoi consiste la connaissance historique »[15]. L’opération historiographique passe, selon lui, par trois phases : 1) la phase documentaire, 2) l’explication/compréhension (les deux ne s’opposent pas nécessairement) et 3) la représentation historienne. Ces phases ne sont pas forcément chronologiques ni même distinctes, si ce n’est par un artifice de l’esprit qui répond à des besoins épistémologiques, voire didactiques. Décrivons-les brièvement.
La phase documentaire
La première phase concerne les diverses étapes du passage de l’événement historique à la preuve documentaire. Un témoignage s’effectue qui fait en sorte qu’une mémoire s'extériorise. Quelqu’un raconte comment il a vécu un événement particulier, qui est toujours situé spatio-temporellement et dont il est témoin. « Avec le témoignage s’ouvre un procès épistémologique qui part de la mémoire déclarée, passe par l’archive et les documents, et s’achève sur la preuve documentaire »[16]. Le témoignage est alors inscrit pour devenir la trace d’un vécu qu’une institution va recueillir et ériger au rang de document. Ces traces ainsi conservées par la mise en archive, l’historien va les consulter non sans avoir en tête quelques questions à leur poser. La preuve documentaire est déterminée par la « part de vérité historique accessible[17] ».
La phase explicative
La seconde phase, qui est déjà comprise dans la première, s’intéresse au faire preuve du document. Ce faire preuve s’opère à travers les diverses formes de réponses que donne l’historien à un pourquoi. La phase explicative a ainsi trait à la manière dont sont mis en rapports conséquents les faits en présence. Entre les documents, l’opération en est une de sélection autorisant un raisonnement de type causal concernant les faits.
La phase représentative
Enfin, la troisième phase, qui comporte une dimension narrative, est l’inscription littéraire. Il s’agit de produire un discours faisant en sorte que le récepteur puisse se représenter ce qui s’est passé. « [L]a mise en intrigue constitue [...] une authentique composante de l’opération historiographique, où elle n’entre pas en concurrence avec les usages du “parce que” au sens causal ou même final »[18]. Ce doit être une interprétation narrative des faits qui demeure fidèle au passé. Pour l’historien, bien qu’il fasse usage de divers artifices rhétoriques, il ne s’agit pas de faire vrai, mais de redire vrai.
Encore une fois, ces trois phases ne sont pas séparables, comme s’il s’agissait de moments chronologiquement distincts. Elles se confondent ici et là, et ne sont pas sans s’impliquer mutuellement.
Conclusion
Nous aimerions conclure par une brève apologie de l’histoire. Nous dirons que le futur est mieux préparé par ceux qui pensent leur passé. L’homme a besoin de connaître son arrière-plan pour se comprendre lui-même. Son identité ancienne forge, en effet, son identité présente et à venir. Il suffit d’imaginer un homme sans mémoire pour s’en convaincre. Cet homme ne connaît ni son nom ni son âge. Il ne sait d'où il vient, il ne sait où il va. Comme le dit Henry Laurens, le sens du présent est toujours lié au sens du passé. Mais ces évidences sont désormais remises en question. Les historiens ont alors un rôle plus que nécessaire. « Préposés à l’entretien et à la construction rationnelle de la mémoire collective et individualisante du groupe, il leur faut renouer les continuités abusivement rompues[19] ». Tout comme nous devons savoir gré à nos prédécesseurs de nous avoir transmis le savoir historique, les générations à venir compte sur notre génération pour leur assurer l’accès à leur histoire, et donc à leur identité et à leur avenir. La connaissance historique doit donc être valorisée. « Il importe de veiller à ce que l’information concernant le passé soit toujours disponible. Faire savoir qu’elle existe. Il importe que les connexions qui nous unissent au passé soient vérifiées, entretenues, renforcées. Cette condition est nécessaire pour reprendre la marche en avant[20] ».
Pierre-Luc VERVILLE
Notes et références
- ↑ Pierre CHAUNU, La mémoire et le sacré, Paris, Calmann-Lévy, 1979, p. 230.
- ↑ Ibid.
- ↑ Ibid, p. 231.
- ↑ LE GOFF, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ?, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », 2014, p. 36.
- ↑ François HARTOG, Le Miroir d’Hérodote. Essai sur la représentation de l’autre, Paris, Gallimard, 1980 ; François HARTOG, (dir.), L’Histoire d’Homère à Augustin, Paris, Seuil, 1999, cité par LE GOFF, ibid.
- ↑ Pierre GIBERT, La Bible à la naissance de l’histoire, Paris, Fayard, 1979.
- ↑ LE GOFF, ibid., p. 9.
- ↑ LE GOFF, ibid., p. 12.
- ↑ Maurice MEULEAU et Luce PIETRI, Le monde et son histoire. Le monde antique et les débuts du Moyen Âge, Paris, Robert Laffont, 1971, p. 36.
- ↑ Pierre CHAUNU, Le temps des Réformes. Histoire religieuse et système de civilisation, tome 1, La crise de la Chrétienté 1250-1550, Éditions Complexe, 1984, p. 31.
- ↑ Jacques LE GOFF, La civilisation de l’Occident médiéval, Paris, Flammarion, 1982, p. 13.
- ↑ LE GOFF, ibid., p.143.
- ↑ LE GOFF, ibid., p. 113.
- ↑ SOBOUL, Albert, Histoire de la Révolution française, 2 vol., (tome 1, De la Bastille à la Gironde ; tome 2, De la Montagne à Brumaire), Éditions sociales, 1962.
- ↑ Paul RICŒUR, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2000, p. 171.
- ↑ Ibid., p. 201.
- ↑ Ibid,. p. 224.
- ↑ Ibid., p. 307.
- ↑ Ibid., p. 18.
- ↑ Ibid.
Bibliographie
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- GRIMAL, Nicolas, Histoire de l’Égypte ancienne, Paris, Fayard, 1998.
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- LAURENS, Henry, L’expédition d’Égypte, 1798-1801, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 1997.
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- LE GOFF, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ?, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », 2014.
- MEULEAU, Maurice et PIETRI, Luce, Le monde et son histoire. Le monde antique et les débuts du Moyen Âge, Paris, Robert Laffont, 1971
- PODVIN, Jean-Louis, L’Égypte ancienne, Paris, Ellipses, 2009
- RICŒUR, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2000.
- ROUX, Georges, La Mésopotamie, Paris, Seuil, 1995.
- SOBOUL, Albert, Histoire de la Révolution française, 2 vol., (tome 1, De la Bastille à la Gironde ; tome 2, De la Montagne à Brumaire), Éditions sociales, 1962.
Voir aussi
Antiquité, Époque moderne, Histoire de l'Église presbytérienne au Canada, Lumières, Moyen Âge, Renaissance