Pensée contemporaine : Différence entre versions
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− | + | Toutes les époques manifestent des façons de penser qui sont tributaires du passé et déterminantes pour le futur. La pensée contemporaine<ref>Le présent texte reprend des parties d'une série de six synthèses respectives des six premières sessions du cours La pensée contemporaine que Amar Djaballah a donné à la Faculté de théologie évangélique en 2008. Le cours a été enregistré et est offert à distance cette session d’été 2020.</ref>, bien qu’elle soit traversée par divers courants, pourrait se définir comme un hédonisme anxieux. Mais comment en sommes-nous arrivés là et comment cela se manifeste-t-il ? S’il est trop risqué de dire où commence et où finit la pensée dominante de l'époque actuelle, ce qui pourra être tenté ici c'est un survol de ses sources, et une brève description de ses deux grands moments (le postmodernisme et l’hypermodernisme). Il s’agira ensuite d’adresser à la pensée contemporaine une réponse évangélique appropriée. | |
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− | == | + | == Les origines == |
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− | === | + | === Les maîtres du soupçon === |
− | + | Les aspirations de l’homme moderne ne font pas l’unanimité au sein même de la modernité. Certains, notamment ceux que Paul Ricœur appelle les maîtres du soupçon<ref>Paul RICŒUR, ''De l’interprétation'', Paris, Seuil, 1965.</ref>, s’attaquent au projet moderne : Friedrich Nietzsche, Karl Marx et Sigmund Freud. | |
− | === | + | ==== Friedrich Nietzsche ==== |
− | + | Philosophe inclassable, Friedrich Nietzsche (1844-1900) se dresse contre toutes philosophies et religions, au moyen d’une philosophie du marteau, pour reprendre l’idée que l’on retrouve dans le sous-titre de ''Crépuscule des idoles''<ref>Friedrich NIETZSCHE, ''Crépuscule des idoles'', Paris, Gallimard, 1977.</ref>, écrit et publié en 1888. | |
− | + | ===== La mort de Dieu ===== | |
+ | La pensée de Nietzsche en est une de réaction au discours religieux du XIXe siècle qui ne porte plus sur la réalité elle-même. Ce discours instrumentalise la religion dans le but de réconforter les gens, après l’avoir vidée de sa vérité ontologique. Avec Zarathoustra, figure du surhomme qui lui sert de porte-parole prophétique, Nietzsche prêche la « bonne nouvelle » de la mort de Dieu à ceux qui sont prêts à abandonner la faiblesse de l’éthique chrétienne, autrement dit de l’éthique de ceux qui, incapables de vivre, ont créé une morale de l’humilité, de l’obéissance et de l’hétéronomie. Par sa proclamation, Nietzsche veut informer ceux qui ne se rendent pas compte que Dieu n’est plus et que, désormais, c’est au surhomme de prendre la souveraine place. Il en tire les conséquences suivantes : il faut rejeter la morale et se libérer des prêtres et des philosophes qui, sournoisement, tentent de nous imposer leur point de vue. | ||
− | + | ===== La volonté de puissance ===== | |
+ | Pour Nietzsche, l’homme est régi par une énergie de vie qui l’oriente. L’interprétation du monde étant mue par cette énergie de vie, tout n’est qu’interprétation, manière de faire voir la « réalité ». Ainsi, nul besoin de s’écouter mutuellement, car chacun lutte pour imposer aux autres sa propre interprétation. Cette impulsion qui consiste à marquer son autorité sur les autres, Nietzsche la nomme volonté de puissance<ref>''Idem.'', ''Le Gai savoir'', Paris, Gallimard, 1950 ; ''Généalogie de la morale'', Paris, Gallimard, 1966.</ref>. | ||
− | ==== | + | ==== Karl Marx ==== |
− | + | Une autre source d’intérêt suscitée par la raison occidentale est le marxisme. Cette vision rationaliste du monde reprend des idées de Hegel<ref>G.W.F. HEGEL, ''La raison dans l’histoire'', Paris, Hatier, 2000.</ref>, mais en les renversant. Pour le philosophe et économiste Karl Marx (1818-1883), la condition de l’homme moderne est inacceptable en raison des injustices que causent ses lois économiques. Il remarque que la vision de l’histoire de Hegel tend nécessairement vers le communisme ou le socialisme. Si l’on comprend l’histoire, se contente de prédire Marx, l’effondrement du capitalisme est inévitable<ref>Karl MARX, ''Le Capital'', Tomes I, II, III, Paris, Éditions sociales, 1976.</ref>. Tout en puisant plusieurs de ses idées à même les religions, il enseigne qu’il faut se débarrasser des religions. Cependant, tandis que Marx pensait que ses idées se répandraient en Grande-Bretagne, c’est en URSS et en Chine qu’elles germeront. Hélas, les conséquences de la concrétisation de l’idéologie marxiste seront des millions de morts<ref>Paradoxe suprême : pour le bien du peuple, on a tué le peuple.</ref>. Cela disqualifie les prétentions prévisionnistes de Marx. | |
− | ==== | + | ===== L'aliénation ===== |
− | + | À ceux qui donnent aux capitalistes leurs forces productives, Marx veut faire réaliser les conditions aliénantes qu’ils subissent. Ses analyses montrent que, dans le capitalisme, les travailleurs sont aliénés quant aux résultats de leur travail, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent rien de ce qu’ils ont fabriqué . Le fruit de leur labeur, plutôt que de leur appartenir, appartient à l’employeur. Face à cette aliénation, la religion n’est d’aucune aide, car elle empêche les ouvriers de réaliser leur situation d’esclavage et, n’étant qu’un engourdissement temporaire, elle ne peut agir sur les causes de cette aliénation. L’espoir est dans un nouveau système économique, sans classe dominante. | |
− | ==== | + | ==== Sigmund Freud ==== |
− | + | Médecin et inventeur de la psychanalyse, Sigmund Freud (1856-1939) fait deux découvertes majeures : l’inconscient, qui a profondément blessé le cogito de l’homme moderne<ref>Paul RICŒUR, ''Le conflit des interprétations'', Paris, Seuil, 1969.</ref>, et la libido<ref>Sigmund FREUD, ''Le rêve et son interprétation'', Gallimard, 1969 ; Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, 1989.</ref>. | |
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− | ==== | + | ===== L'inconscient ===== |
− | + | Depuis Descartes, on pensait que l’homme était maître de lui-même. La raison était conçue comme permettant la connaissance claire de l’homme et du monde. Or, avec l’inconscient, Freud réalise que l’être humain n’a pas de connaissance directe de lui-même. En effet, la raison ne lui permet pas de se connaître tel qu’il est. Au contraire, ses motivations et ses actions ne sont pas en adéquation. Par son surmoi, l’homme va même jusqu’à se fabriquer des illusions religieuses. La thérapie est alors nécessaire pour que le patient prenne conscience de ses motivations profondes et cachées. | |
− | ===== | + | ===== La libido ===== |
− | + | Pour Freud, ce qui est premier dans la motivation et l’agir humain, c’est la libido. La libido est une énergie sexuelle au sens vital du terme. Dans la petite enfance, cette libido engendre un conflit duquel dépend le reste de la vie de l’individu. Pour cette raison, la thérapie freudienne vise à aider le patient à guérir ses blessures psychiques par un retour psychanalytique à la petite enfance. Parmi les importants conflits inconscients s’opérant durant la petite enfance, le complexe d’œdipe est un ensemble de désirs dans lequel l’enfant est tiraillé entre pulsion secrète de tuer son père pour posséder sa mère, et pulsion d’amour envers celui-ci<ref>Sigmund FREUD, ''Cinq leçons sur la psychanalyse'', Payot, 2001.</ref>. | |
− | == | + | == Le postmodernisme == |
− | + | C’est d’abord en architecture, au sujet du style, que l’on rencontre l’expression postmoderne. Avant qu’il en soit question en philosophie, elle n’a pas eu grand impact sur la société. C’est d’abord avec Jean-François Lyotard, important penseur français (avec Derrida, Deleuze, Foucault) succédant à la période de Jean-Paul Sartre<ref>Voir Jean-Paul SARTRE, ''L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique'', Gallimard, 1976. La pensée de Sartres est, en gros, un rejet des essences au profit de l’existence.</ref>, à la fin des années 1970 et dans les années 1980, que l’expression prend de l’importance. Le Gouvernement du Québec lui demande de faire un rapport sur le savoir à la fin du XXe siècle. Le livre ''La condition postmoderne'' (1979)<ref>Jean-François LYOTARD, ''La condition postmoderne. Rapport sur le savoir'', Paris, Éditions de Minuit, 1979.</ref>, publié à la suite du rapport, est aujourd’hui quelque peu dépassé, mais c’est une bonne première approche de la pensée des années 1970 à 2000. Après sa publication, l’expression s’est répandue au point où sont apparues l’esthétique postmoderne, la théologie postmoderne (populaire au États-Unis), etc. Paradoxalement, on a parlé de la pensée postmoderne, tout en valorisant la pluralité, la diversité, l’altérité. | |
− | + | Parler de postmodernité, c’est se situer temporellement et en terme de contenu : après ou contre ce qu’on appelle moderne. Soit qu’on se situe après la modernité chronologiquement, soit qu’on se situe après celle-ci au sens de progrès. Lyotard a la sagesse d’étudier la pensée contemporaine en étudiant ce qui précède. En effet, on comprend mieux le contemporain par le recul du passé. On découvre que la postmodernité est en ''réaction'' avec la modernité. C’est une réaction de rupture et d'opposition avec le passé, même s’il y aussi une certaine continuité. | |
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− | + | Le discours postmoderniste est en réaction à l’excès de la modernité, et sa conception de la raison comme universelle, progressive (de mieux en mieux), auto-éthique, et s’imposant de la même manière à tous. C’est donc surtout à la rationalité de Descartes, comme garantie de vérité et caractérisé par la clarté et le méthodisme que la postmodernité riposte. Les postmodernes recherchent plutôt la vérité avec un petit v, ou mieux ''les'' vérités, et ce n’est pas dans les grands systèmes qu’ils les découvrent<ref>Richard RORTY, ''Contingence, ironie et solidarité'', Paris, Armand Colin, 1997. Pour Rorty, par exemple, il n’y a pas de notion de vérité, et nous n’en avons pas besoin car celle-ci ne permet pas d’être authentique. Il n’est besoin que de vérités locales.</ref>. | |
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− | === | + | === Jean-François Lyotard === |
− | + | La pensée de Jean-François Lyotard surgit à un moment où la croyance des Lumières en la bonté de la raison sera sévèrement chavirée ; d’abord par la guerre franco-allemande au XIXe siècle, puis par la Première Guerre mondiale au siècle suivant, après que le coup de grâce fût donné par la Seconde Guerre mondiale. C’est alors que la raison apparaît dans toutes ses ténèbres. Lyotard observe les méfaits des Lumières : cela n’a pas marché, il faut changer de direction. Il constate aussi la faillite de la religion, notamment le côté sombre des missions catholiques et protestantes, mais aussi du rationalisme, du communisme, et du colonialisme. Pour lui, c’est toute la modernité qui a failli, et il faut donc la rejeter. Dès lors que les systèmes qui ont failli sont des « métarécits », c’est-à-dire des visions universelles des choses, on doit les abandonner. En effet, ces visions totalisantes sont totalitaires. En conséquence, s’il faut se méfier, voire rejeter les métarécits, en raison des conséquences néfastes de ceux-ci, la vérité au singulier est à exclure. Ensuite, on ne doit donner aucune justification abstraite, que l’on justifierait par une raison universelle, mais il s’agit plutôt de valider par l’expérience, de manière personnelle. C’est l’effet personnel qui compte. Enfin, il faut accepter la multiplicité. En effet, la leçon de Wittgenstein est à appliquer : la communication se fait par jeux de langages différents (langage scientifique, langage esthétique, etc.). On ne doit pas imposer un seul langage. Il y a différents critères de validation de la vérité. | |
− | === | + | === La fin du postmodernisme === |
− | + | La postmodernité, que ce soit par relativisme, pragmatisme ou irrationalisme, a réagi à la modernité, et à son absolutisme et son rationalisme, parce qu’elle en a vu les mauvais fruits. Cela dit, depuis les événements du 11 septembre 2001, il semble que de nouveaux acteurs sont entrés en scène, qui font que l’on ne peut plus parler de postmodernité comme le faisait Lyotard. Il est encore difficile de voir ce qui succèdera à la postmodernité. Toutefois, un ex-penseur de la postmodernité comme Gilles Lipovestky s’y intéresse<ref>Gilles LIPOVETSKY, ''L’Ère du vide : essai sur l’individualisme contemporain'', Paris, Gallimard, 1983 ; L’Empire de l’éphémère : la mode et son destin dans les sociétés modernes, Paris, Gallimard, 1987 ; avec Sébastien CHARLES, Les Temps hypermodernes, Paris, Grasset, 2004. Les deux premiers livres concernent la postmodernité, le troisième l’hypermodernité.</ref>. | |
− | + | == L'hypermodernisme == | |
− | + | Gilles Lipovetsky nomme hypermodernité l'époque contemporaine. Charles Taylor parle de la modernité tardive pour caractériser cette époque à laquelle se rattache l’hypermodernisme ou pensée hypermoderne. Taylor y rattache trois malaises<ref>Charles TAYLOR, ''Grandeur et misère de la modernité'', Montréal, Bellarmin, 1992.</ref>, l’individualisme superficiel, le désenchantement du monde et la raison instrumentale. Nous traduisons ces trois malaises dans le langage de l’hypermodernisme, en nous appuyant sur les analyses de Gilles Lipovetsky. Il sera donc question d’hyperindividualisme, d’hypermatéalisme et d’hypertechnicité. | |
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− | + | === L'hyperindividualisme === | |
− | + | Durant les années du postmodernisme, l’individualisme moderne est devenu un hédonisme narcissique. Toutefois, cet hédonisme est en train d’être relativisé par l’anxiété qui se généralise au sein de la population. | |
− | === | + | === L'hypermatérialisme === |
− | + | « Comment ne pas voir, dans ces conditions, que c’est beaucoup plus l’hypermatérialisme scientifique et médical que les valeurs post-matérialistes qui commandent notre époque »<ref>Gilles LIPOVETSKY, « La société d’hyperconsommation », ''Le Débat'', 2003/2, no 124, p. 74-98.</ref>. | |
− | ==== | + | === L'hypertechnicisme === |
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− | + | Le règne de la raison instrumentale, avec la bureaucratie qui l'accompagne, devient hypertechnicisme dans l'hypersphère, c'est-à-dire dans le milieu techno-culturel dont Internet domine le transport de l'information. | |
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− | == | + | == Réponse évangélique == |
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Devant une telle situation, il est pressant d’évaluer la pensée contemporaine à la lumière de l’Écriture. Pour ce faire, nous établirons d’abord l’approche scripturaire, qui passe inévitablement par une bonne compréhension du motif biblique fondamental, de l’antithèse entre la pensée biblique et la pensée du monde, et la prise en compte de la grâce commune. Ensuite, il sera question du rapport entre la foi et la raison. Enfin, nous commencerons à défricher le terrain pour un dialogue avec la pensée contemporaine. | Devant une telle situation, il est pressant d’évaluer la pensée contemporaine à la lumière de l’Écriture. Pour ce faire, nous établirons d’abord l’approche scripturaire, qui passe inévitablement par une bonne compréhension du motif biblique fondamental, de l’antithèse entre la pensée biblique et la pensée du monde, et la prise en compte de la grâce commune. Ensuite, il sera question du rapport entre la foi et la raison. Enfin, nous commencerons à défricher le terrain pour un dialogue avec la pensée contemporaine. | ||
=== L'approche scripturaire === | === L'approche scripturaire === | ||
==== Le leitmotiv biblique ==== | ==== Le leitmotiv biblique ==== | ||
− | C’est en se basant sur l’Écriture comme seule source - comme principe, mais aussi comme eaux vives - ultime d’autorité que nous pouvons éclairer la pensée contemporaine. Le leitmotiv biblique, qui comprend la création, la chute et la rédemption, est indispensable pour la compréhension notre condition humaine, de notre place dans le monde. Toute la réflexion chrétienne doit ainsi être fait dans la perspective de cette structure que propose la Bible. Tandis que le postmodernisme et l’hypermodernisme rejette les grands récits, « la Bible offre l’autre perspective: une histoire arrivée dont les conclusions explicatives nous sont offertes dans le parallélisme ultime des deux types, Adam et Christ » . | + | C’est en se basant sur l’Écriture comme seule source - comme principe, mais aussi comme eaux vives - ultime d’autorité que nous pouvons éclairer la pensée contemporaine. Le leitmotiv<ref>Nous avons rencontré le mot « leitmotiv » lors de nos lectures sur le compositeur Richard Wagner. Étymologiquement, ce terme issu de l’allemand et signifie motif directeur.</ref> biblique, qui comprend la création, la chute et la rédemption, est indispensable pour la compréhension notre condition humaine, de notre place dans le monde. Toute la réflexion chrétienne doit ainsi être fait dans la perspective de cette structure que propose la Bible. Tandis que le postmodernisme et l’hypermodernisme rejette les grands récits, « la Bible offre l’autre perspective: une histoire arrivée dont les conclusions explicatives nous sont offertes dans le parallélisme ultime des deux types, Adam et Christ »<ref>Alain PROBST, ''Le péché originel : refus d’une doctrine biblique et ses conséquences'', Revue réformée, N° 192 – 1997/1 – JANVIER 1997 – TOME XLVIII.</ref>. |
===== La création ===== | ===== La création ===== | ||
− | + | Notre monde n’est pas autonome : il n’est pas Dieu. Il n’est pas éternelle, il a un commencement. C’est Dieu qui a pris l’initiative de le créer : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre » (Gn 1.1). La création ne subsiste que par la Parole puissante de Dieu (Co 1.17). Elle est une révélation de la gloire de Dieu, de sorte que tous les êtres humains sont exposés à la vérité, celle d’un Créateur qui manifeste sa gloire. Lorsque les hommes s’arrêtent devant le cosmos, cette gloire rend témoignage au Créateur (Rm 1.20). | |
− | L’être humain est un être créé à qui Dieu a donné la capacité de comprendre le monde ordonné. Il n’est pas un individu seul et autonome, mais une personne en image de Dieu (Gn 1.27). Parce qu’il est porteur de cette image divine, il a une valeur incommensurable et se distingue des anges et et des bêtes . Notre identité est inséparable du fait d’avoir été créé par Dieu, que nous imageons. Tandis que les sciences cognitives montrent que la différence biologique entre l’homme et l’animal n’est que quantitative, il faut rappeler que c’est le fait d’avoir été créé en image de Dieu est l’essence de l’humanité . Certes, l’homme partage beaucoup de chose avec l’animal, mais il a un statut privilégié, qui le rend responsable devant Dieu : il est le représentant de Dieu dans la création. Ce n’est donc qu’en relation avec Dieu qu’il peut vivre. L’humanité est appelée à refléter la gloire de Dieu. Le but originel de l’homme est de connaître son Créateur, de le glorifier. | + | L’être humain est un être créé à qui Dieu a donné la capacité de comprendre le monde ordonné. Il n’est pas un individu seul et autonome, mais une personne en image de Dieu (Gn 1.27). Parce qu’il est porteur de cette image divine, il a une valeur incommensurable et se distingue des anges et et des bêtes<ref>Henri Blocher, ''Révélation des origines'', Lausanne, Presses bibliques universitaires, 1989, p. 72.</ref>. Notre identité est inséparable du fait d’avoir été créé par Dieu, que nous imageons. Tandis que les sciences cognitives montrent que la différence biologique entre l’homme et l’animal n’est que quantitative, il faut rappeler que c’est le fait d’avoir été créé en image de Dieu est l’essence de l’humanité<ref>Alain NISUS, « Être humain », dans sous la dir. de Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Excelsis, 2013, p. 44.</ref>. Certes, l’homme partage beaucoup de chose avec l’animal, mais il a un statut privilégié, qui le rend responsable devant Dieu : il est le représentant de Dieu dans la création. Ce n’est donc qu’en relation avec Dieu qu’il peut vivre. L’humanité est appelée à refléter la gloire de Dieu. Le but originel de l’homme est de connaître son Créateur, de le glorifier. |
− | Aussi, le monde créé par Dieu, dans son état originel, n’était pas « fade et ennuyeux : l’humanité devait soumettre la terre (Gn 1.28), ce qui suppose une mesure de résistance, et par un travail (Gn 2.15), dépense d’énergie . L’homme avait la responsabilité de garder la bonne création de Dieu . Enfin, l’homme a été créé fini et corporel. La réalité créaturelle en elle-même n’est pas mauvaise . | + | Aussi, le monde créé par Dieu, dans son état originel, n’était pas « fade et ennuyeux : l’humanité devait ''soumettre'' la terre (Gn 1.28), ce qui suppose une mesure de résistance, et par un travail (Gn 2.15), dépense d’énergie<ref>Henri BLOCHER, « Mal », in Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, sous dir., La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Excelsis, 2013, p. 82.</ref>. L’homme avait la responsabilité de garder la bonne création de Dieu<ref>Don A. CARSON et Timothy KELLER, sous dir., ''L’Évangile et l’Histoire'', volume 3, Lyon, Clé, 2012.</ref>. Enfin, l’homme a été créé fini et corporel. La réalité créaturelle en elle-même n’est pas mauvaise<ref>Henri BLOCHER, ''ibid.''</ref>. |
===== La chute ===== | ===== La chute ===== | ||
− | + | L’être humain, malgré sa dépendance intrinsèque et vitale vis-à-vis de Dieu, a bêtement déclaré son autonomie, et ce malgré l’avertissement de Dieu que cette désobéissance le conduirait à la mort. Plutôt que de vivre de la Parole de Dieu dans la confiance, le premier homme s’est soumis à une parole étrangère. Il a dépassé la glissière de sûreté, le garde-fou, fixée par Dieu. À partir de ce moment, le péché a atteint toutes les dimensions de la vie humaine. | |
− | Une foi le péché advenu - le péché est quelque chose qui est advenu, qui est historique - il s’est transmis à toute l’humanité : les descendants d’Adam, tous les hommes, sont pécheurs. « C’est à cause du péché d’Adam (ou par lui) que nous sommes jugés pour les nôtres » . | + | Une foi le péché advenu - le péché est quelque chose qui est advenu, qui est historique - il s’est transmis à toute l’humanité : les descendants d’Adam, tous les hommes, sont pécheurs. « C’est à cause du péché d’Adam (ou par lui) que nous sommes jugés pour les nôtres »<ref>''Idem.'', La doctrine du péché et de la rédemption, Vaux-sur-Seine, Fac Étude, 1982, p. 103. </ref>. |
− | « Si la valeur de l’individu dépend du rapport privilégié que Dieu a établi avec l’homme, seule créature à son image, l’oppression de l’individu est solidaire du refus de Dieu. En refusant d’être à l’image de Dieu, l’homme renie ce qui fait de lui un Unique, un individu ; il tombe au pouvoir de l’espèce ; il ne peut plus se voir, logiquement, que comme un spécimen interchangeable de la race. L’oppression de l’individu est l’envers de la suppression de Dieu » . | + | « Si la valeur de l’individu dépend du rapport privilégié que Dieu a établi avec l’homme, seule créature à son image, l’oppression de l’individu est solidaire du refus de Dieu. En refusant d’être à l’image de Dieu, l’homme renie ce qui fait de lui un Unique, un individu ; il tombe au pouvoir de l’espèce ; il ne peut plus se voir, logiquement, que comme un spécimen interchangeable de la race. L’oppression de l’individu est l’envers de la suppression de Dieu »<ref>Henri BLOCHER, « L’individu menacé », ''Ichtus'', no 2, avril 1970, p. 4-15.</ref>. |
===== La rédemption ===== | ===== La rédemption ===== | ||
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==== L'antithèse biblique radicale ==== | ==== L'antithèse biblique radicale ==== | ||
− | + | Dans notre réflexion sur notre monde, et surtout en apologétique, il ne faut pas oublier l’antithèse biblique radicale, soit « l'opposition diamétrale entre croyance et incrédulité et donc entre croyance et tout compromis de vérité révélée »<ref>John FRAME, « Van Til on Antithesis », ''Westminster Theological Journal'', 57, 1995, p. 81-102.</ref>. En effet, une opposition radicale entre croyants et incroyants se découvre tout au long des Écritures : « Il y a les fils de Caïn et de Seth (Genèse 4-6), Israël et les nations (Ex 19.5-6), les justes et les méchants (Ps1), les sages et les insensés (Prov. 1.7), les sauvés et les perdus (Mt 18:11), les enfants d'Abraham et ceux du diable (Jn 8.39-44), les élus et les non-élus (Rm 9), les croyants et les incroyants (1 Cor 6.6), pratiquants de la sagesse du monde et de la sagesse de Dieu (1 Cor 1-2), ceux qui marchent dans la lumière et ceux qui marchent dans les ténèbres (1 Jn 1.5-10) ), l'Église et le monde (1 Jn 2.15-17) »<ref>''Idem.'', « Antithesis and the Doctrine of Scripture », ''Inaugural lecture on assuming the J. D. Trimble Chair of Systematic Theology at Reformed Theological Seminary'', Orlando, FL.</ref>. Ce concept d’antithèse, Van Til le découvre jusque dans les divisions que l’on retrouve tout au long de l’histoire de l’Église<ref>''Ibid.''</ref>. Comme le dit Pierre Courthial, « les théologiens ou les philosophes "chrétiens", opérant des synthèses impossibles entre le motif-de-base chrétien, biblique (création-chute-rédemption) et des motifs-de-base apostats (forme-matière ou nature-liberté) dialectiques et antinomiques, ont été successivement platoniciens, aristotéliciens, cartésiens, kantiens, hégéliens, husserliens, heideggeriens, existentialistes, marxistes, structuralistes, etc... »<ref>Pierre COURTHIAL, « Le mouvement réformé de reconstruction chrétienne », ''Hokhma'', no 14, 1980.</ref> Nous n’avons pas à faire ce genre de compromis. Il faut maintenir la franche démarcation entre la lumière et les ténèbres, tout en n’oubliant pas que la lumière de Dieu brille même dans les ténèbres, même celles qui tentent de l’étouffer (Jean 1.5). | |
==== La grâce commune ==== | ==== La grâce commune ==== | ||
− | + | À l’antithèse biblique radicale, il faut adjoindre le concept de grâce commune : Dieu retient le mal chez les incroyants , il permet qu’un bien commun s’opère. Malgré que l’humanité se soit révoltée, Dieu surseoit à la peine manifestation plénière de son juste jugement. L’homme reste encore une créature en image de Dieu. Bien que défiguré par le péché dans toute les dimensions de son être, l’homme est encore une créature ''de'' Dieu, vivant au sein des structures établies par Dieu. L’humanité est ainsi gracieusement bénie : épanouissement technique, médicale, artistique, etc. C’est ce qui explique que les non-chrétiens font d’excellentes choses. Même que leurs contributions culturelles sont souvent majestueuses : découvertes scientifiques extraordinaires, chefs-d’œuvre musicales, etc. Louis Berkhof écrit, dans sa théologie systématique, que la grâce commune « limite le pouvoir destructeur du péché, maintient dans une certaine mesure l'ordre moral de l'univers permettant ainsi à une vie ordonnée de se développer, distribue divers dons et talents parmi les humains, promeut le développement de la science et des arts, et déverse de nombreuses bénédictions sur les enfants de l'humanité »<ref>Louis BERKHOF, ''Systematic Theology'', 4th ed., Grand Rapids, Eerdmans, 1979, p.434-435.</ref>. Rien n’échappe au gouvernement de Dieu, qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, [...] fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes » (Mt 5.45b). Dans le même esprit, Abraham Kuyper martelé l’idée selon laquelle Dieu est Seigneur de toutes choses, rappelant au passage que Dieu n’a pas retirer le mandat culturel qu’il avait donné à l’humanité. | |
− | De nos jours ce sont les non-croyants qui réalisent les plus grandes œuvres dans bien des domaines. Pourtant, beaucoup de chrétiens ont adopté une posture de retrait vis-à-vis la culture. Ils profitent de celle-ci, mais n'y contribue pas. Ils vivent alors dans l’oisiveté, tout en dépendant de la culture qui les héberge : ils se conduisent alors comme des parasites . Si nous ne prenons pas conscience de l’influence de notre culture, nous en seront d'autant plus victimes, nous serons manipuler plus aisément. Pourquoi ne pas bénéficier plutôt de tout ce qui a été permis de Dieu et qui est bon, afin de bénir les autres. « Une sorte de pessimisme convenu ignore les effets de la bienveillance générale de Dieu, éléments que Paul affirmait sans ambages dans son discours aux païens (Ac 14.17) » . | + | De nos jours ce sont les non-croyants qui réalisent les plus grandes œuvres dans bien des domaines. Pourtant, beaucoup de chrétiens ont adopté une posture de retrait vis-à-vis la culture. Ils profitent de celle-ci, mais n'y contribue pas. Ils vivent alors dans l’oisiveté, tout en dépendant de la culture qui les héberge : ils se conduisent alors comme des parasites<ref>Amar DJABALLAH, lors d'une conversation téléphonique, été 2020.</ref>. Si nous ne prenons pas conscience de l’influence de notre culture, nous en seront d'autant plus victimes, nous serons manipuler plus aisément. Pourquoi ne pas bénéficier plutôt de tout ce qui a été permis de Dieu et qui est bon, afin de bénir les autres. « Une sorte de pessimisme convenu ignore les effets de la bienveillance générale de Dieu, éléments que Paul affirmait sans ambages dans son discours aux païens (Ac 14.17) »<ref>BLOCHER, Henri, « Les soubresauts de la pensée humaniste et la pensée biblique », ''Fac Réflexion'', no 32, p. 4-17.</ref>. |
=== La foi et la raison === | === La foi et la raison === | ||
La pensée contemporaine , bien que plurielle, relève d’une certaine unité, de sorte qu’elle soit définissable. Ses caractéristiques peuvent être introduites par le refrain que l’on trouve en Juges : « chacun faisait ce qui semblait bon », conséquence d’un manque de Parole de Dieu et de leaders désignés. Il en est ainsi aujourd’hui. Cela conduit à une absence de normes dans la société, et, sans normes, la pensée change très rapidement. En écoutant les médias, surtout les plus populaires, on se rend bien compte que notre société est devenue éminemment hédoniste : culture du thérapeutique, du « fais-toi plaisir » et du bien-être personnel. Certes, tout n’est pas négatif : nos contemporains sont encore capables de se mobiliser devant le malheur des autres. Mais l’attitude dominante ressemble à celle de Pilate devant Jésus : un scepticisme aveugle vis-à-vis Dieu, qui conduit à faire preuve d’un sophisme malpropre envers le Logos incarné, dans le but de se déresponsabiliser ; un relativisme : « qu’est-ce que la vérité ? ». Le discours non-argumentatif est préféré : plus la peine de débattre, puisqu’il n’y a pas de vérité absolue. Paradoxalement, on élève ce présupposé en vérité absolue. Il n’est alors pas inhabituel que ceux qui proclament une vérité absolue soient accusés de prétention. | La pensée contemporaine , bien que plurielle, relève d’une certaine unité, de sorte qu’elle soit définissable. Ses caractéristiques peuvent être introduites par le refrain que l’on trouve en Juges : « chacun faisait ce qui semblait bon », conséquence d’un manque de Parole de Dieu et de leaders désignés. Il en est ainsi aujourd’hui. Cela conduit à une absence de normes dans la société, et, sans normes, la pensée change très rapidement. En écoutant les médias, surtout les plus populaires, on se rend bien compte que notre société est devenue éminemment hédoniste : culture du thérapeutique, du « fais-toi plaisir » et du bien-être personnel. Certes, tout n’est pas négatif : nos contemporains sont encore capables de se mobiliser devant le malheur des autres. Mais l’attitude dominante ressemble à celle de Pilate devant Jésus : un scepticisme aveugle vis-à-vis Dieu, qui conduit à faire preuve d’un sophisme malpropre envers le Logos incarné, dans le but de se déresponsabiliser ; un relativisme : « qu’est-ce que la vérité ? ». Le discours non-argumentatif est préféré : plus la peine de débattre, puisqu’il n’y a pas de vérité absolue. Paradoxalement, on élève ce présupposé en vérité absolue. Il n’est alors pas inhabituel que ceux qui proclament une vérité absolue soient accusés de prétention. | ||
− | Les chrétiens sont influencés par cette tendance à dénigrer le discours argumentatif : plusieurs conçoivent même la foi comme opposée au raisonnement, voire au raisonnable. Or, agir de la sorte implique un retranchement du monde créé par Dieu, un abandon de la raison, un renoncement à une grande part des Écritures, et un déni d’une partie importante de l’homme, créature douée de raison. La Bible n’est pourtant pas opposée à la raison. En effet, on y voit Jésus se défendre devant les Pharisiens. Il fait bon usage de raisonnement par l’absurde. Pierre aussi argumente, notamment, en Actes 2.15, en montrant l’improbabilité que ses compatriotes soient ivres, en raison de l’heure matinale. D’ailleurs, si la Bible n’impliquait que nos émotions, il n’y aurait pas grand réconfort à des déclarations comme celles de la prise de nos fardeaux par Dieu, dans les Psaumes. Au contraire, il faut que Jésus-Christ se charge réellement de nos péchés (Mt 12). À Athènes, Paul aussi fait un discours intelligent, adapté à la situation, et informé, lorsqu’il cite Épiménide et Aratus. Dans le même esprit, 1 Pierre 3 nous enseigne : « Soyez toujours prêt à présenter votre apologie ». Dans l’histoire de l’Église, les pères apologistes et leurs successeurs témoignent d’une Église très forte en apologie : qu’on pense à Justin Martyr, Tertullien, Clément de Rome, Origène, Saint-Augustin, qui a réellement voulu connaître son Dieu (les Confessions) et comprendre sa société (La cité de Dieu) . Malheureusement, « nous en sommes arrivés, par une sorte de perversion qui passe pour de la spiritualité [...] à dire : c’est spirituel d’être idiot » . En vérité, ce n’est pas notre intelligence qui nous rapproche de Dieu, mais notre fidélité. De même, ce n’est pas notre intelligence qui nous éloigne de Dieu, mais notre péché. Ce que nous pouvons faire avec notre intelligence, c’est glorifier Dieu. Or l’état de péché obscurcit l’intelligence. C’est pourquoi, soyons : « transformés par le renouvellement de votre intelligence » (Rm 12.2). | + | Les chrétiens sont influencés par cette tendance à dénigrer le discours argumentatif : plusieurs conçoivent même la foi comme opposée au raisonnement, voire au raisonnable. Or, agir de la sorte implique un retranchement du monde créé par Dieu, un abandon de la raison, un renoncement à une grande part des Écritures, et un déni d’une partie importante de l’homme, créature douée de raison. La Bible n’est pourtant pas opposée à la raison. En effet, on y voit Jésus se défendre devant les Pharisiens. Il fait bon usage de raisonnement par l’absurde. Pierre aussi argumente, notamment, en Actes 2.15, en montrant l’improbabilité que ses compatriotes soient ivres, en raison de l’heure matinale. D’ailleurs, si la Bible n’impliquait que nos émotions, il n’y aurait pas grand réconfort à des déclarations comme celles de la prise de nos fardeaux par Dieu, dans les Psaumes. Au contraire, il faut que Jésus-Christ se charge réellement de nos péchés (Mt 12). À Athènes, Paul aussi fait un discours intelligent, adapté à la situation, et informé, lorsqu’il cite Épiménide et Aratus. Dans le même esprit, 1 Pierre 3 nous enseigne : « Soyez toujours prêt à présenter votre apologie ». Dans l’histoire de l’Église, les pères apologistes et leurs successeurs témoignent d’une Église très forte en apologie : qu’on pense à Justin Martyr, Tertullien, Clément de Rome, Origène, Saint-Augustin, qui a réellement voulu connaître son Dieu (les ''Confessions'') et comprendre sa société (''La cité de Dieu'') . Malheureusement, « nous en sommes arrivés, par une sorte de perversion qui passe pour de la spiritualité [...] à dire : c’est spirituel d’être idiot »<ref>Amar DJABALLAH, ''La pensée contemporaine'', notes de cours, Montréal, Faculté de théologie évangélique, 2020.</ref>. En vérité, ce n’est pas notre intelligence qui nous rapproche de Dieu, mais notre fidélité. De même, ce n’est pas notre intelligence qui nous éloigne de Dieu, mais notre péché. Ce que nous pouvons faire avec notre intelligence, c’est ''glorifier'' Dieu. Or l’état de péché obscurcit l’intelligence. C’est pourquoi, soyons : « transformés par le renouvellement de votre intelligence » (Rm 12.2). |
− | Nous sommes appelés à intelliger dans le monde, à rayonner Dieu, à témoigner là où Dieu nous a placés, ce qui implique de connaître notre société. Si Dieu est Seigneur partout, toute pensée doit lui être amenée captive. Cela veut dire aussi la pensée dans sa totalité. Négliger l’étude de la pensée, c’est la soustraire à Dieu. Ne pas connaître la pensée de notre époque, c’est en subir l’influence. Car si nous sommes « dans ce monde, mais pas de ce monde ( | + | Nous sommes appelés à ''intelliger'' dans le monde, à rayonner Dieu, à témoigner là où Dieu nous a placés, ce qui implique de connaître notre société. Si Dieu est Seigneur partout, toute pensée doit lui être amenée captive. Cela veut dire aussi la pensée dans sa totalité. Négliger l’étude de la pensée, c’est la soustraire à Dieu. Ne pas connaître la pensée de notre époque, c’est en subir l’influence. Car si nous sommes « ''dans'' ce monde, mais pas ''de'' ce monde (Jn 17, nous souligons), nous ne sommes pas appelés à sortir du monde, mais à y vivre, en pensant différemment. Négliger de connaître la culture, c’est offenser le mandat de Dieu. Et penser différemment c’est reconnaître que la prétention à l’autonomie du monde mène ultimement à la mort. Dans sa prétention à l’autonomie Kant dit : « Ose te servir de ton propre entendement ». C’est ne pas voir que l’autonomie est un pourrissement de la vérité<ref>Douglas GROOTHUIS, ''Truth Decay, Defending Christianity Against The Challenges Of Modernism'', England, InterVarsity, 2000.</ref>. Le sceptique, quant à lui, est toujours en terrain non ferme (Augustin). |
− | L’Église subit néanmoins l’influence du monde au point où tantôt on implante des Églises sur le modèle commercial, tantôt c’est la culture thérapeutique qui s’est implantée dans l’Église. Comme la société, les chrétiens baignent confortablement dans une culture de l’émotion. Mais n’oublions pas que les idées ne sont pas sans conséquences. L’approbation du mariage gai est la conséquence de la pensée de la plasticité de la sexualité, notamment chez Freud . L’euthanasie, ainsi que Francis Schaeffer a pu la prévoir, découle de la démission de la raison , dans une société qui change le sens des mots (on n’avorte pas, on est pro-choix !). Les idées de Kant ont aussi produit leurs fruits : on se rend bien compte que c’est dans la vision de Kant que l’on vit actuellement : c’est-à-dire dans un univers dichotomique au sein duquel 1) le monde des phénomènes est le domaine de la science (loi scientifique, universelle, pas de place ni pour la foi ni pour Dieu) et 2) le monde des noumènes est le monde de la foi, de la liberté. Pire encore, ce n’est plus seulement le domaine de la science qui s’est soustrait de Dieu, mais le monde des affaires, de la politique, de l’art . Kant disait avoir sauvé la foi : il l’a plutôt rendu sans impacts. | + | L’Église subit néanmoins l’influence du monde au point où tantôt on implante des Églises sur le modèle commercial, tantôt c’est la culture thérapeutique qui s’est implantée dans l’Église. Comme la société, les chrétiens baignent confortablement dans une culture de l’émotion. Mais n’oublions pas que les idées ne sont pas sans conséquences. L’approbation du mariage gai est la conséquence de la pensée de la plasticité de la sexualité, notamment chez Freud<ref>Sigmund FREUD, ''Correspondance, 1873-1939'', Paris, Gallimard, 1966, p. 461.</ref>. L’euthanasie, ainsi que Francis Schaeffer a pu la prévoir, découle de la démission de la raison<ref>Francis A. SCHAEFFER, ''Démission de la raison'', Genève, La Maison de la bible, 1993.</ref>, dans une société qui change le sens des mots (on n’avorte pas, on est pro-choix !). Les idées de Kant ont aussi produit leurs fruits : on se rend bien compte que c’est dans la vision de Kant que l’on vit actuellement : c’est-à-dire dans un univers dichotomique au sein duquel 1) le monde des phénomènes est le domaine de la science (loi scientifique, universelle, pas de place ni pour la foi ni pour Dieu) et 2) le monde des noumènes est le monde de la foi, de la liberté. Pire encore, ce n’est plus seulement le domaine de la science qui s’est soustrait de Dieu, mais le monde des affaires, de la politique, de l’art<ref>Emmanuel KANT, ''Critique de la raison pure'', Paris, Gallimard, 1990.</ref>. Kant disait avoir sauvé la foi : il l’a plutôt rendu sans impacts. |
=== Pour entrer en dialogue === | === Pour entrer en dialogue === | ||
Comment, en tant qu’évangéliques, devons-nous interagir avec la pensée contemporaine, ou mieux comment nous engager dans la culture dans laquelle ils baignent ? | Comment, en tant qu’évangéliques, devons-nous interagir avec la pensée contemporaine, ou mieux comment nous engager dans la culture dans laquelle ils baignent ? | ||
− | D’abord, nous devons exprimer la vérité telle que nous la comprenons, avec langage de notre époque. Pour ce faire, nous devons préalablement prendre conscience que la culture elle-même nous parlent, et que nous sommes parlé par elle, et que nous la parlons . La Bible elle-même utilise les langues et les cultures des nations pour proclamer la vérité, pour révéler le Dieu véritable, pour théologiser. Jean Brun l'a bien montré, nous vivons dans le langage et nous sommes parlé par le langage. La Bible évite de rejeter la culture, mais fait le tri entre ce qui est bon et ce qui est mauvais. C’est en faisant de même qu’il nous sera possible d’établir des ponts avec les autres et de leur communiquer l'Évangile. Nous ne saurions adopter une posture postmoderne de remise en question de la vérité, ce qui de toute façon serait absurde, ni l’hédonisme et l’inquiétude hypermodernes. Ce n’est pas la mode qu’il faut suivre, mais le modèle biblique. La séduction est à rejeter, les temps longs à réhabiliter, afin de s’inscrire dans l’histoire, dans la direction de ce que le Seigneur est en train d’accomplir, de la nouvelle création. | + | D’abord, nous devons exprimer la vérité telle que nous la comprenons, avec langage de notre époque. Pour ce faire, nous devons préalablement prendre conscience que la culture elle-même nous parlent, et que nous sommes parlé par elle, et que nous la parlons<ref>Nous reprenons au compte de la culture quelque chose de l’idée de Jean Brun dans son livre ''L’homme et le langage''. Voir aussi Bruno LATOUR.</ref>. La Bible elle-même utilise les langues et les cultures des nations pour proclamer la vérité, pour révéler le Dieu véritable, pour théologiser. Jean Brun l'a bien montré, nous vivons dans le langage et nous sommes parlé par le langage. La Bible évite de rejeter la culture, mais fait le tri entre ce qui est bon et ce qui est mauvais. C’est en faisant de même qu’il nous sera possible d’établir des ponts avec les autres et de leur communiquer l'Évangile. Nous ne saurions adopter une posture postmoderne de remise en question de la vérité, ce qui de toute façon serait absurde, ni l’hédonisme et l’inquiétude hypermodernes. Ce n’est pas la mode qu’il faut suivre, mais le modèle biblique. La séduction est à rejeter, les temps longs à réhabiliter, afin de s’inscrire dans l’histoire, dans la direction de ce que le Seigneur est en train d’accomplir, de la nouvelle création. |
− | Ensuite, nous devons reconnaître les torts du passé : torts de la modernité, du communisme, du colonialisme, mais aussi torts de l’Église : au nom de la « vérité » l’Afrique du Sud a connu l’Apartheid ; au nom d’une doctrine soi-disant biblique, de nombreux afro-américains ont souffert du racisme du Sud des États-Unis. « L’Église confesse avoir assisté en silence au dépouillement et à l’exploitation des pauvres, à l’enrichissement et à la corruption des forts. / L’Église confesse être coupable envers les hommes innombrables dont on a brisé la vie en les calomniant, en les dénonçant et en les privant de leur bonheur ! Elle n’a pas convaincu le calomniateur de son injustice, et a ainsi abandonné la victime à son sort » . | + | Ensuite, nous devons reconnaître les torts du passé : torts de la modernité, du communisme, du colonialisme, mais aussi torts de l’Église : au nom de la « vérité » l’Afrique du Sud a connu l’Apartheid ; au nom d’une doctrine soi-disant biblique, de nombreux afro-américains ont souffert du racisme du Sud des États-Unis. « L’Église confesse avoir assisté en silence au dépouillement et à l’exploitation des pauvres, à l’enrichissement et à la corruption des forts. / L’Église confesse être coupable envers les hommes innombrables dont on a brisé la vie en les calomniant, en les dénonçant et en les privant de leur bonheur ! Elle n’a pas convaincu le calomniateur de son injustice, et a ainsi abandonné la victime à son sort »<ref>Diertrich BONHOEFFER, ''Éthique'', rassemblé et édité par EBERHARD-BETHGE, traduction française de Lore JEANNERET, Genève, 1965, Labor et Fides, p. 88.</ref>. |
Pourtant, cela ne nous oblige pas à abandonner l’universalité, la rationalité, et la tradition, du moins telles que les Écritures les conçoivent. La « vérité » du modernisme n’est pas la vérité de la Bible. La rationalité, telle que la Bible la conçoit, est centrale. Logos, qui signifie parole rationnelle et réfléchie, est le nom de Jésus-Christ avant son incarnation, ne l’oublions pas. La rationalité est au centre de la vie chrétienne et de l’être humain. C’est notre raison qui accueille et reçoit la Révélation. On utilise la raison pour réfléchir avec ingéniosité et créativité aux moyens d’appliquer la Parole à notre existence. Nous ne sommes pas un cerveau dans un corps, comme dans la conception dualiste de Descartes, mais des êtres unifiés. Il y a influence mutuelle de l’intelligence, de la volonté et des émotions. C’est cette dimension holiste et communicationnelle de la raison que l’on valorise. L’entendement, comme les Lumières l’ont avancé, n’est pas le tout de la raison. Tout comme la vision exclusivement technologiste de la raison, qui est dangereusement limitée, l’individualisme du rationalisme de la modernité n’est pas à maintenir. Au contraire, la dimension communautaire est nécessaire au savoir. Enfin, l’accueil de la tradition n’est pas contre la raison : raison et tradition ne sont pas opposées. Dans bien des cas, c’est le rejet de la tradition qui est irrationnel. Se couper de la tradition, c’est se couper de nos racines. Une raison mature doit être en mesure de faire le tri entre bonne et mauvaise tradition. | Pourtant, cela ne nous oblige pas à abandonner l’universalité, la rationalité, et la tradition, du moins telles que les Écritures les conçoivent. La « vérité » du modernisme n’est pas la vérité de la Bible. La rationalité, telle que la Bible la conçoit, est centrale. Logos, qui signifie parole rationnelle et réfléchie, est le nom de Jésus-Christ avant son incarnation, ne l’oublions pas. La rationalité est au centre de la vie chrétienne et de l’être humain. C’est notre raison qui accueille et reçoit la Révélation. On utilise la raison pour réfléchir avec ingéniosité et créativité aux moyens d’appliquer la Parole à notre existence. Nous ne sommes pas un cerveau dans un corps, comme dans la conception dualiste de Descartes, mais des êtres unifiés. Il y a influence mutuelle de l’intelligence, de la volonté et des émotions. C’est cette dimension holiste et communicationnelle de la raison que l’on valorise. L’entendement, comme les Lumières l’ont avancé, n’est pas le tout de la raison. Tout comme la vision exclusivement technologiste de la raison, qui est dangereusement limitée, l’individualisme du rationalisme de la modernité n’est pas à maintenir. Au contraire, la dimension communautaire est nécessaire au savoir. Enfin, l’accueil de la tradition n’est pas contre la raison : raison et tradition ne sont pas opposées. Dans bien des cas, c’est le rejet de la tradition qui est irrationnel. Se couper de la tradition, c’est se couper de nos racines. Une raison mature doit être en mesure de faire le tri entre bonne et mauvaise tradition. | ||
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+ | <div style='text-align: right;'>Pierre-Luc VERVILLE</div> | ||
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+ | == Notes et références == | ||
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+ | <references /> | ||
== Bibliographie == | == Bibliographie == | ||
− | AUGUSTIN, | + | * AUGUSTIN, Saint, ''Confessions'', trad. du latin par Robert Arnauld d'Andilly, édition de Philippe Sellier, traduction établie par Odette Barenne, Paris, Gallimard, 1995. |
− | traduction établie par Odette Barenne, Paris, Gallimard, 1995. | + | |
+ | * BACON, François, ''Œuvres de François Bacon'', 2 volumes, Paris, Charpentier, 1799-1802. | ||
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+ | * BERKHOF, Louis, ''Systematic Theology'', 4th ed., Grand Rapids, Eerdmans, 1979. | ||
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+ | * BLOCHER, Henri, ''La doctrine du péché et de la rédemption'', Vaux-sur-Seine, Fac Étude, 1982. | ||
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+ | * BLOCHER, Henri, « Les soubresauts de la pensée humaniste et la pensée biblique », ''Fac Réflexion'', no 32, p. 4-17. | ||
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+ | * BLOCHER, Henri, « L’individu menacé », ''Ichtus N°2'', Avril 1970, p, 4-15. | ||
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+ | * BLOCHER, Henri, ''Révélation des origines'', Lausanne, Presses bibliques universitaires, 1989. | ||
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+ | * BONHOEFFER, Diertrich, ''Éthique'', rassemblé et édité par EBERHARD-BETHGE, traduction française de Lore JEANNERET, Genève, 1965, Labor et Fides. | ||
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+ | * CARSON, Don A., et Timothy KELLER, sous dir., ''L’Évangile et l’Histoire''. Volume 3, Lyon, Clé, 2012. | ||
+ | |||
+ | * COURTHIAL, Pierre, « Le mouvement réformé de reconstruction chrétienne », ''Hokhma'', No 14, 1980. | ||
+ | |||
+ | * DARWIN, Charles, ''L’origine des espèces'', traduction de Edmond Barbier, Paris, Flammarion, 1999. | ||
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+ | * DE CANTORBERY, Anselme, Proslogion, traduction de Bernard Pautrat, Paris, Flammarion, 1995. | ||
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+ | * DESCARTES, René, ''Discours de la méthode'', introduction et notes de Étienne Gilson, Paris, Vrin, 1989. | ||
+ | |||
+ | * DESCARTES, René, ''Méditations métaphysiques'', traduction de Florence Khodoss, Paris, Presses universitaires de France, 1989. | ||
+ | |||
+ | * DESCARTES, René, ''Œuvres et lettres'', édition d’André Bridoux, Paris, Gallimard, 1937. | ||
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+ | * DJABALLAH, Amar, ''La pensée contemporaine'', cours professé à la Faculté de théologie évangélique, Montréal, 2008/2020. | ||
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+ | * FRAME, John « Antithesis and the Doctrine of Scripture », ''Inaugural lecture on assuming the J. D. Trimble Chair of Systematic Theology at Reformed Theological Seminary'', Orlando, FL. | ||
+ | |||
+ | * FRAME, John, « Van Til on Antithesis », ''Westminster Theological Journal'', 57, 1995, p. 81-102. | ||
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+ | * FREUD, Sigmund, Correspondance, 1873-1939, Paris, Gallimard, 1966. | ||
+ | |||
+ | * FREUD, Sigmund, ''Cinq leçons sur la psychanalyse'', Payot, 2001. | ||
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+ | * FREUD, Sigmund, ''Le rêve et son interprétation'', Gallimard, 1969 | ||
+ | |||
+ | * FREUD, Sigmund, ''Trois essais sur la théorie sexuelle'', Gallimard, 1989. | ||
− | + | * GROOTHUIS, Douglas, ''Truth Decay, Defending Christianity Against The Challenges Of Modernism'', England, InterVarsity, 2000. | |
− | + | * HEGEL, G. W. F., ''La raison dans l’histoire'', Paris, Hatier, 2000. | |
− | + | * KANT, Emmanuel, ''Critique de la raison pure'', Paris, Gallimard, 1990. | |
− | + | * KANT, Emmanuel, ''Critique de la faculté de juger'' suivi d’''Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique'' et de ''Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ?'', Paris, Gallimard, 1989. | |
− | + | * LUTHER, Martin, ''Œuvres'', tome I, Paris, Gallimard, 1999. | |
− | + | * LIPOVETSKY, Gilles, ''L’Ère du vide : essai sur l’individualisme contemporain'', Paris, Gallimard, 1983. | |
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− | + | * LIPOVETSKY, Gilles, ''L’Empire de l’éphémère : la mode et son destin dans les sociétés modernes'', Paris, Gallimard, 1987. | |
− | LIPOVETSKY, Gilles, | + | * LIPOVETSKY, Gilles, « La société d’hyperconsommation », ''Le Débat'', 2003/2, no 124, p. 74-98. |
− | + | * LIPOVETSKY, Gilles, (avec Sébastien CHARLES), ''Les Temps hypermodernes'', Paris, Grasset, 2004. | |
− | + | * LYOTARD, Jean-François, ''La condition postmoderne. Rapport sur le savoir'', Paris, Éditions de Minuit, 1979. | |
− | + | * MARX, Karl, ''Le Capital'', Tomes I, II, III, Paris, Éditions sociales, 1976. | |
− | + | * MONOD, Jacques, ''Le Hasard et la Nécessité'', Paris, Seuil, 1970. | |
− | |||
− | Paris, | ||
− | + | * NIETZSCHE, Friedrich, ''Crépuscule des idoles'', Paris, Gallimard, 1977. | |
− | + | * NIETZSCHE, Friedrich, ''Le Gai savoir'', Paris, Gallimard, 1950. | |
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− | + | * NIETZSCHE, Friedrich, ''Généalogie de la morale'', Paris, Gallimard, 1966. | |
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− | + | * PAYA, Christophe, et FARELLY, Nicolas, ''La foi chrétienne et les défis du monde contemporain'', Excelsis, 2013. | |
− | + | * PROBST, Alain, ''Le péché originel : refus d’une doctrine biblique et ses conséquences'', Revue réformée, N° 192 – 1997/1 – JANVIER 1997 – TOME XLVIII. | |
− | + | * RICŒUR, Paul, ''De l’interprétation'', Paris, Seuil, 1965. | |
− | + | * RICŒUR, Paul, ''Le conflit des interprétations'', Paris, Seuil, 1969. | |
− | + | * RORTY, Richard, ''Contingence, ironie et solidarité'', Paris, Armand Colin, 1997. | |
− | + | * SARTRE, Jean-Paul, ''L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique'', Gallimard, 1976. | |
− | |||
− | + | * SCHAEFFER, Francis A., ''Démission de la raison'', Genève, La Maison de la bible, 1993. | |
− | |||
− | + | * TAYLOR, Charles, ''Grandeur et misère de la modernité'', Montréal, Bellarmin, 1992. |
Version actuelle datée du 14 février 2022 à 08:51
Toutes les époques manifestent des façons de penser qui sont tributaires du passé et déterminantes pour le futur. La pensée contemporaine[1], bien qu’elle soit traversée par divers courants, pourrait se définir comme un hédonisme anxieux. Mais comment en sommes-nous arrivés là et comment cela se manifeste-t-il ? S’il est trop risqué de dire où commence et où finit la pensée dominante de l'époque actuelle, ce qui pourra être tenté ici c'est un survol de ses sources, et une brève description de ses deux grands moments (le postmodernisme et l’hypermodernisme). Il s’agira ensuite d’adresser à la pensée contemporaine une réponse évangélique appropriée.
Sommaire
Les origines
Les maîtres du soupçon
Les aspirations de l’homme moderne ne font pas l’unanimité au sein même de la modernité. Certains, notamment ceux que Paul Ricœur appelle les maîtres du soupçon[2], s’attaquent au projet moderne : Friedrich Nietzsche, Karl Marx et Sigmund Freud.
Friedrich Nietzsche
Philosophe inclassable, Friedrich Nietzsche (1844-1900) se dresse contre toutes philosophies et religions, au moyen d’une philosophie du marteau, pour reprendre l’idée que l’on retrouve dans le sous-titre de Crépuscule des idoles[3], écrit et publié en 1888.
La mort de Dieu
La pensée de Nietzsche en est une de réaction au discours religieux du XIXe siècle qui ne porte plus sur la réalité elle-même. Ce discours instrumentalise la religion dans le but de réconforter les gens, après l’avoir vidée de sa vérité ontologique. Avec Zarathoustra, figure du surhomme qui lui sert de porte-parole prophétique, Nietzsche prêche la « bonne nouvelle » de la mort de Dieu à ceux qui sont prêts à abandonner la faiblesse de l’éthique chrétienne, autrement dit de l’éthique de ceux qui, incapables de vivre, ont créé une morale de l’humilité, de l’obéissance et de l’hétéronomie. Par sa proclamation, Nietzsche veut informer ceux qui ne se rendent pas compte que Dieu n’est plus et que, désormais, c’est au surhomme de prendre la souveraine place. Il en tire les conséquences suivantes : il faut rejeter la morale et se libérer des prêtres et des philosophes qui, sournoisement, tentent de nous imposer leur point de vue.
La volonté de puissance
Pour Nietzsche, l’homme est régi par une énergie de vie qui l’oriente. L’interprétation du monde étant mue par cette énergie de vie, tout n’est qu’interprétation, manière de faire voir la « réalité ». Ainsi, nul besoin de s’écouter mutuellement, car chacun lutte pour imposer aux autres sa propre interprétation. Cette impulsion qui consiste à marquer son autorité sur les autres, Nietzsche la nomme volonté de puissance[4].
Karl Marx
Une autre source d’intérêt suscitée par la raison occidentale est le marxisme. Cette vision rationaliste du monde reprend des idées de Hegel[5], mais en les renversant. Pour le philosophe et économiste Karl Marx (1818-1883), la condition de l’homme moderne est inacceptable en raison des injustices que causent ses lois économiques. Il remarque que la vision de l’histoire de Hegel tend nécessairement vers le communisme ou le socialisme. Si l’on comprend l’histoire, se contente de prédire Marx, l’effondrement du capitalisme est inévitable[6]. Tout en puisant plusieurs de ses idées à même les religions, il enseigne qu’il faut se débarrasser des religions. Cependant, tandis que Marx pensait que ses idées se répandraient en Grande-Bretagne, c’est en URSS et en Chine qu’elles germeront. Hélas, les conséquences de la concrétisation de l’idéologie marxiste seront des millions de morts[7]. Cela disqualifie les prétentions prévisionnistes de Marx.
L'aliénation
À ceux qui donnent aux capitalistes leurs forces productives, Marx veut faire réaliser les conditions aliénantes qu’ils subissent. Ses analyses montrent que, dans le capitalisme, les travailleurs sont aliénés quant aux résultats de leur travail, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent rien de ce qu’ils ont fabriqué . Le fruit de leur labeur, plutôt que de leur appartenir, appartient à l’employeur. Face à cette aliénation, la religion n’est d’aucune aide, car elle empêche les ouvriers de réaliser leur situation d’esclavage et, n’étant qu’un engourdissement temporaire, elle ne peut agir sur les causes de cette aliénation. L’espoir est dans un nouveau système économique, sans classe dominante.
Sigmund Freud
Médecin et inventeur de la psychanalyse, Sigmund Freud (1856-1939) fait deux découvertes majeures : l’inconscient, qui a profondément blessé le cogito de l’homme moderne[8], et la libido[9].
L'inconscient
Depuis Descartes, on pensait que l’homme était maître de lui-même. La raison était conçue comme permettant la connaissance claire de l’homme et du monde. Or, avec l’inconscient, Freud réalise que l’être humain n’a pas de connaissance directe de lui-même. En effet, la raison ne lui permet pas de se connaître tel qu’il est. Au contraire, ses motivations et ses actions ne sont pas en adéquation. Par son surmoi, l’homme va même jusqu’à se fabriquer des illusions religieuses. La thérapie est alors nécessaire pour que le patient prenne conscience de ses motivations profondes et cachées.
La libido
Pour Freud, ce qui est premier dans la motivation et l’agir humain, c’est la libido. La libido est une énergie sexuelle au sens vital du terme. Dans la petite enfance, cette libido engendre un conflit duquel dépend le reste de la vie de l’individu. Pour cette raison, la thérapie freudienne vise à aider le patient à guérir ses blessures psychiques par un retour psychanalytique à la petite enfance. Parmi les importants conflits inconscients s’opérant durant la petite enfance, le complexe d’œdipe est un ensemble de désirs dans lequel l’enfant est tiraillé entre pulsion secrète de tuer son père pour posséder sa mère, et pulsion d’amour envers celui-ci[10].
Le postmodernisme
C’est d’abord en architecture, au sujet du style, que l’on rencontre l’expression postmoderne. Avant qu’il en soit question en philosophie, elle n’a pas eu grand impact sur la société. C’est d’abord avec Jean-François Lyotard, important penseur français (avec Derrida, Deleuze, Foucault) succédant à la période de Jean-Paul Sartre[11], à la fin des années 1970 et dans les années 1980, que l’expression prend de l’importance. Le Gouvernement du Québec lui demande de faire un rapport sur le savoir à la fin du XXe siècle. Le livre La condition postmoderne (1979)[12], publié à la suite du rapport, est aujourd’hui quelque peu dépassé, mais c’est une bonne première approche de la pensée des années 1970 à 2000. Après sa publication, l’expression s’est répandue au point où sont apparues l’esthétique postmoderne, la théologie postmoderne (populaire au États-Unis), etc. Paradoxalement, on a parlé de la pensée postmoderne, tout en valorisant la pluralité, la diversité, l’altérité.
Parler de postmodernité, c’est se situer temporellement et en terme de contenu : après ou contre ce qu’on appelle moderne. Soit qu’on se situe après la modernité chronologiquement, soit qu’on se situe après celle-ci au sens de progrès. Lyotard a la sagesse d’étudier la pensée contemporaine en étudiant ce qui précède. En effet, on comprend mieux le contemporain par le recul du passé. On découvre que la postmodernité est en réaction avec la modernité. C’est une réaction de rupture et d'opposition avec le passé, même s’il y aussi une certaine continuité.
Le discours postmoderniste est en réaction à l’excès de la modernité, et sa conception de la raison comme universelle, progressive (de mieux en mieux), auto-éthique, et s’imposant de la même manière à tous. C’est donc surtout à la rationalité de Descartes, comme garantie de vérité et caractérisé par la clarté et le méthodisme que la postmodernité riposte. Les postmodernes recherchent plutôt la vérité avec un petit v, ou mieux les vérités, et ce n’est pas dans les grands systèmes qu’ils les découvrent[13].
Jean-François Lyotard
La pensée de Jean-François Lyotard surgit à un moment où la croyance des Lumières en la bonté de la raison sera sévèrement chavirée ; d’abord par la guerre franco-allemande au XIXe siècle, puis par la Première Guerre mondiale au siècle suivant, après que le coup de grâce fût donné par la Seconde Guerre mondiale. C’est alors que la raison apparaît dans toutes ses ténèbres. Lyotard observe les méfaits des Lumières : cela n’a pas marché, il faut changer de direction. Il constate aussi la faillite de la religion, notamment le côté sombre des missions catholiques et protestantes, mais aussi du rationalisme, du communisme, et du colonialisme. Pour lui, c’est toute la modernité qui a failli, et il faut donc la rejeter. Dès lors que les systèmes qui ont failli sont des « métarécits », c’est-à-dire des visions universelles des choses, on doit les abandonner. En effet, ces visions totalisantes sont totalitaires. En conséquence, s’il faut se méfier, voire rejeter les métarécits, en raison des conséquences néfastes de ceux-ci, la vérité au singulier est à exclure. Ensuite, on ne doit donner aucune justification abstraite, que l’on justifierait par une raison universelle, mais il s’agit plutôt de valider par l’expérience, de manière personnelle. C’est l’effet personnel qui compte. Enfin, il faut accepter la multiplicité. En effet, la leçon de Wittgenstein est à appliquer : la communication se fait par jeux de langages différents (langage scientifique, langage esthétique, etc.). On ne doit pas imposer un seul langage. Il y a différents critères de validation de la vérité.
La fin du postmodernisme
La postmodernité, que ce soit par relativisme, pragmatisme ou irrationalisme, a réagi à la modernité, et à son absolutisme et son rationalisme, parce qu’elle en a vu les mauvais fruits. Cela dit, depuis les événements du 11 septembre 2001, il semble que de nouveaux acteurs sont entrés en scène, qui font que l’on ne peut plus parler de postmodernité comme le faisait Lyotard. Il est encore difficile de voir ce qui succèdera à la postmodernité. Toutefois, un ex-penseur de la postmodernité comme Gilles Lipovestky s’y intéresse[14].
L'hypermodernisme
Gilles Lipovetsky nomme hypermodernité l'époque contemporaine. Charles Taylor parle de la modernité tardive pour caractériser cette époque à laquelle se rattache l’hypermodernisme ou pensée hypermoderne. Taylor y rattache trois malaises[15], l’individualisme superficiel, le désenchantement du monde et la raison instrumentale. Nous traduisons ces trois malaises dans le langage de l’hypermodernisme, en nous appuyant sur les analyses de Gilles Lipovetsky. Il sera donc question d’hyperindividualisme, d’hypermatéalisme et d’hypertechnicité.
L'hyperindividualisme
Durant les années du postmodernisme, l’individualisme moderne est devenu un hédonisme narcissique. Toutefois, cet hédonisme est en train d’être relativisé par l’anxiété qui se généralise au sein de la population.
L'hypermatérialisme
« Comment ne pas voir, dans ces conditions, que c’est beaucoup plus l’hypermatérialisme scientifique et médical que les valeurs post-matérialistes qui commandent notre époque »[16].
L'hypertechnicisme
Le règne de la raison instrumentale, avec la bureaucratie qui l'accompagne, devient hypertechnicisme dans l'hypersphère, c'est-à-dire dans le milieu techno-culturel dont Internet domine le transport de l'information.
Réponse évangélique
Devant une telle situation, il est pressant d’évaluer la pensée contemporaine à la lumière de l’Écriture. Pour ce faire, nous établirons d’abord l’approche scripturaire, qui passe inévitablement par une bonne compréhension du motif biblique fondamental, de l’antithèse entre la pensée biblique et la pensée du monde, et la prise en compte de la grâce commune. Ensuite, il sera question du rapport entre la foi et la raison. Enfin, nous commencerons à défricher le terrain pour un dialogue avec la pensée contemporaine.
L'approche scripturaire
Le leitmotiv biblique
C’est en se basant sur l’Écriture comme seule source - comme principe, mais aussi comme eaux vives - ultime d’autorité que nous pouvons éclairer la pensée contemporaine. Le leitmotiv[17] biblique, qui comprend la création, la chute et la rédemption, est indispensable pour la compréhension notre condition humaine, de notre place dans le monde. Toute la réflexion chrétienne doit ainsi être fait dans la perspective de cette structure que propose la Bible. Tandis que le postmodernisme et l’hypermodernisme rejette les grands récits, « la Bible offre l’autre perspective: une histoire arrivée dont les conclusions explicatives nous sont offertes dans le parallélisme ultime des deux types, Adam et Christ »[18].
La création
Notre monde n’est pas autonome : il n’est pas Dieu. Il n’est pas éternelle, il a un commencement. C’est Dieu qui a pris l’initiative de le créer : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre » (Gn 1.1). La création ne subsiste que par la Parole puissante de Dieu (Co 1.17). Elle est une révélation de la gloire de Dieu, de sorte que tous les êtres humains sont exposés à la vérité, celle d’un Créateur qui manifeste sa gloire. Lorsque les hommes s’arrêtent devant le cosmos, cette gloire rend témoignage au Créateur (Rm 1.20).
L’être humain est un être créé à qui Dieu a donné la capacité de comprendre le monde ordonné. Il n’est pas un individu seul et autonome, mais une personne en image de Dieu (Gn 1.27). Parce qu’il est porteur de cette image divine, il a une valeur incommensurable et se distingue des anges et et des bêtes[19]. Notre identité est inséparable du fait d’avoir été créé par Dieu, que nous imageons. Tandis que les sciences cognitives montrent que la différence biologique entre l’homme et l’animal n’est que quantitative, il faut rappeler que c’est le fait d’avoir été créé en image de Dieu est l’essence de l’humanité[20]. Certes, l’homme partage beaucoup de chose avec l’animal, mais il a un statut privilégié, qui le rend responsable devant Dieu : il est le représentant de Dieu dans la création. Ce n’est donc qu’en relation avec Dieu qu’il peut vivre. L’humanité est appelée à refléter la gloire de Dieu. Le but originel de l’homme est de connaître son Créateur, de le glorifier.
Aussi, le monde créé par Dieu, dans son état originel, n’était pas « fade et ennuyeux : l’humanité devait soumettre la terre (Gn 1.28), ce qui suppose une mesure de résistance, et par un travail (Gn 2.15), dépense d’énergie[21]. L’homme avait la responsabilité de garder la bonne création de Dieu[22]. Enfin, l’homme a été créé fini et corporel. La réalité créaturelle en elle-même n’est pas mauvaise[23].
La chute
L’être humain, malgré sa dépendance intrinsèque et vitale vis-à-vis de Dieu, a bêtement déclaré son autonomie, et ce malgré l’avertissement de Dieu que cette désobéissance le conduirait à la mort. Plutôt que de vivre de la Parole de Dieu dans la confiance, le premier homme s’est soumis à une parole étrangère. Il a dépassé la glissière de sûreté, le garde-fou, fixée par Dieu. À partir de ce moment, le péché a atteint toutes les dimensions de la vie humaine.
Une foi le péché advenu - le péché est quelque chose qui est advenu, qui est historique - il s’est transmis à toute l’humanité : les descendants d’Adam, tous les hommes, sont pécheurs. « C’est à cause du péché d’Adam (ou par lui) que nous sommes jugés pour les nôtres »[24].
« Si la valeur de l’individu dépend du rapport privilégié que Dieu a établi avec l’homme, seule créature à son image, l’oppression de l’individu est solidaire du refus de Dieu. En refusant d’être à l’image de Dieu, l’homme renie ce qui fait de lui un Unique, un individu ; il tombe au pouvoir de l’espèce ; il ne peut plus se voir, logiquement, que comme un spécimen interchangeable de la race. L’oppression de l’individu est l’envers de la suppression de Dieu »[25].
La rédemption
Dieu a un projet de recréation. Déjà dans le récit des premiers chapitres de la Genèse, on voit Dieu prendre soin de couvrir la nudité de ses créatures. De plus, il annonce que la mort ne règnera pas toujours sur l’humanité, qu’il viendra un temps où la descendance de la femme anéantira le mal. La résurrection en Jésus-Christ est l’accomplissement de cette promesse. Tandis que tous les hommes naissent en Adam, autrement dit, avec le péché, tous ceux qui renaissent en Jésus revivent dans justice. Puisque les hommes ont péché contre leur Créateur, leur seul moyen de salut a été que Dieu envoie son propre Fils pour représenter une nouvelle humanité, en vivant une vie parfaite, et mourant sur la croix et en ressuscitant le troisième jour, pour racheter ceux de l’ancienne humanité qui place leur foi en lui, par la grâce de Dieu. Ceux qui mettent ainsi leur foi en Jésus-Christ, entrent dans la famille de Dieu, s’inscrive dans l’histoire du Salut, et participe au grand projet de Dieu pour l’humanité. « Au sens fort, le salut, dans la théologie biblique est l’étape charnière de l’enchaînement création - chute- rédemption - nouvelle création ».
L'antithèse biblique radicale
Dans notre réflexion sur notre monde, et surtout en apologétique, il ne faut pas oublier l’antithèse biblique radicale, soit « l'opposition diamétrale entre croyance et incrédulité et donc entre croyance et tout compromis de vérité révélée »[26]. En effet, une opposition radicale entre croyants et incroyants se découvre tout au long des Écritures : « Il y a les fils de Caïn et de Seth (Genèse 4-6), Israël et les nations (Ex 19.5-6), les justes et les méchants (Ps1), les sages et les insensés (Prov. 1.7), les sauvés et les perdus (Mt 18:11), les enfants d'Abraham et ceux du diable (Jn 8.39-44), les élus et les non-élus (Rm 9), les croyants et les incroyants (1 Cor 6.6), pratiquants de la sagesse du monde et de la sagesse de Dieu (1 Cor 1-2), ceux qui marchent dans la lumière et ceux qui marchent dans les ténèbres (1 Jn 1.5-10) ), l'Église et le monde (1 Jn 2.15-17) »[27]. Ce concept d’antithèse, Van Til le découvre jusque dans les divisions que l’on retrouve tout au long de l’histoire de l’Église[28]. Comme le dit Pierre Courthial, « les théologiens ou les philosophes "chrétiens", opérant des synthèses impossibles entre le motif-de-base chrétien, biblique (création-chute-rédemption) et des motifs-de-base apostats (forme-matière ou nature-liberté) dialectiques et antinomiques, ont été successivement platoniciens, aristotéliciens, cartésiens, kantiens, hégéliens, husserliens, heideggeriens, existentialistes, marxistes, structuralistes, etc... »[29] Nous n’avons pas à faire ce genre de compromis. Il faut maintenir la franche démarcation entre la lumière et les ténèbres, tout en n’oubliant pas que la lumière de Dieu brille même dans les ténèbres, même celles qui tentent de l’étouffer (Jean 1.5).
La grâce commune
À l’antithèse biblique radicale, il faut adjoindre le concept de grâce commune : Dieu retient le mal chez les incroyants , il permet qu’un bien commun s’opère. Malgré que l’humanité se soit révoltée, Dieu surseoit à la peine manifestation plénière de son juste jugement. L’homme reste encore une créature en image de Dieu. Bien que défiguré par le péché dans toute les dimensions de son être, l’homme est encore une créature de Dieu, vivant au sein des structures établies par Dieu. L’humanité est ainsi gracieusement bénie : épanouissement technique, médicale, artistique, etc. C’est ce qui explique que les non-chrétiens font d’excellentes choses. Même que leurs contributions culturelles sont souvent majestueuses : découvertes scientifiques extraordinaires, chefs-d’œuvre musicales, etc. Louis Berkhof écrit, dans sa théologie systématique, que la grâce commune « limite le pouvoir destructeur du péché, maintient dans une certaine mesure l'ordre moral de l'univers permettant ainsi à une vie ordonnée de se développer, distribue divers dons et talents parmi les humains, promeut le développement de la science et des arts, et déverse de nombreuses bénédictions sur les enfants de l'humanité »[30]. Rien n’échappe au gouvernement de Dieu, qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, [...] fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes » (Mt 5.45b). Dans le même esprit, Abraham Kuyper martelé l’idée selon laquelle Dieu est Seigneur de toutes choses, rappelant au passage que Dieu n’a pas retirer le mandat culturel qu’il avait donné à l’humanité.
De nos jours ce sont les non-croyants qui réalisent les plus grandes œuvres dans bien des domaines. Pourtant, beaucoup de chrétiens ont adopté une posture de retrait vis-à-vis la culture. Ils profitent de celle-ci, mais n'y contribue pas. Ils vivent alors dans l’oisiveté, tout en dépendant de la culture qui les héberge : ils se conduisent alors comme des parasites[31]. Si nous ne prenons pas conscience de l’influence de notre culture, nous en seront d'autant plus victimes, nous serons manipuler plus aisément. Pourquoi ne pas bénéficier plutôt de tout ce qui a été permis de Dieu et qui est bon, afin de bénir les autres. « Une sorte de pessimisme convenu ignore les effets de la bienveillance générale de Dieu, éléments que Paul affirmait sans ambages dans son discours aux païens (Ac 14.17) »[32].
La foi et la raison
La pensée contemporaine , bien que plurielle, relève d’une certaine unité, de sorte qu’elle soit définissable. Ses caractéristiques peuvent être introduites par le refrain que l’on trouve en Juges : « chacun faisait ce qui semblait bon », conséquence d’un manque de Parole de Dieu et de leaders désignés. Il en est ainsi aujourd’hui. Cela conduit à une absence de normes dans la société, et, sans normes, la pensée change très rapidement. En écoutant les médias, surtout les plus populaires, on se rend bien compte que notre société est devenue éminemment hédoniste : culture du thérapeutique, du « fais-toi plaisir » et du bien-être personnel. Certes, tout n’est pas négatif : nos contemporains sont encore capables de se mobiliser devant le malheur des autres. Mais l’attitude dominante ressemble à celle de Pilate devant Jésus : un scepticisme aveugle vis-à-vis Dieu, qui conduit à faire preuve d’un sophisme malpropre envers le Logos incarné, dans le but de se déresponsabiliser ; un relativisme : « qu’est-ce que la vérité ? ». Le discours non-argumentatif est préféré : plus la peine de débattre, puisqu’il n’y a pas de vérité absolue. Paradoxalement, on élève ce présupposé en vérité absolue. Il n’est alors pas inhabituel que ceux qui proclament une vérité absolue soient accusés de prétention.
Les chrétiens sont influencés par cette tendance à dénigrer le discours argumentatif : plusieurs conçoivent même la foi comme opposée au raisonnement, voire au raisonnable. Or, agir de la sorte implique un retranchement du monde créé par Dieu, un abandon de la raison, un renoncement à une grande part des Écritures, et un déni d’une partie importante de l’homme, créature douée de raison. La Bible n’est pourtant pas opposée à la raison. En effet, on y voit Jésus se défendre devant les Pharisiens. Il fait bon usage de raisonnement par l’absurde. Pierre aussi argumente, notamment, en Actes 2.15, en montrant l’improbabilité que ses compatriotes soient ivres, en raison de l’heure matinale. D’ailleurs, si la Bible n’impliquait que nos émotions, il n’y aurait pas grand réconfort à des déclarations comme celles de la prise de nos fardeaux par Dieu, dans les Psaumes. Au contraire, il faut que Jésus-Christ se charge réellement de nos péchés (Mt 12). À Athènes, Paul aussi fait un discours intelligent, adapté à la situation, et informé, lorsqu’il cite Épiménide et Aratus. Dans le même esprit, 1 Pierre 3 nous enseigne : « Soyez toujours prêt à présenter votre apologie ». Dans l’histoire de l’Église, les pères apologistes et leurs successeurs témoignent d’une Église très forte en apologie : qu’on pense à Justin Martyr, Tertullien, Clément de Rome, Origène, Saint-Augustin, qui a réellement voulu connaître son Dieu (les Confessions) et comprendre sa société (La cité de Dieu) . Malheureusement, « nous en sommes arrivés, par une sorte de perversion qui passe pour de la spiritualité [...] à dire : c’est spirituel d’être idiot »[33]. En vérité, ce n’est pas notre intelligence qui nous rapproche de Dieu, mais notre fidélité. De même, ce n’est pas notre intelligence qui nous éloigne de Dieu, mais notre péché. Ce que nous pouvons faire avec notre intelligence, c’est glorifier Dieu. Or l’état de péché obscurcit l’intelligence. C’est pourquoi, soyons : « transformés par le renouvellement de votre intelligence » (Rm 12.2).
Nous sommes appelés à intelliger dans le monde, à rayonner Dieu, à témoigner là où Dieu nous a placés, ce qui implique de connaître notre société. Si Dieu est Seigneur partout, toute pensée doit lui être amenée captive. Cela veut dire aussi la pensée dans sa totalité. Négliger l’étude de la pensée, c’est la soustraire à Dieu. Ne pas connaître la pensée de notre époque, c’est en subir l’influence. Car si nous sommes « dans ce monde, mais pas de ce monde (Jn 17, nous souligons), nous ne sommes pas appelés à sortir du monde, mais à y vivre, en pensant différemment. Négliger de connaître la culture, c’est offenser le mandat de Dieu. Et penser différemment c’est reconnaître que la prétention à l’autonomie du monde mène ultimement à la mort. Dans sa prétention à l’autonomie Kant dit : « Ose te servir de ton propre entendement ». C’est ne pas voir que l’autonomie est un pourrissement de la vérité[34]. Le sceptique, quant à lui, est toujours en terrain non ferme (Augustin).
L’Église subit néanmoins l’influence du monde au point où tantôt on implante des Églises sur le modèle commercial, tantôt c’est la culture thérapeutique qui s’est implantée dans l’Église. Comme la société, les chrétiens baignent confortablement dans une culture de l’émotion. Mais n’oublions pas que les idées ne sont pas sans conséquences. L’approbation du mariage gai est la conséquence de la pensée de la plasticité de la sexualité, notamment chez Freud[35]. L’euthanasie, ainsi que Francis Schaeffer a pu la prévoir, découle de la démission de la raison[36], dans une société qui change le sens des mots (on n’avorte pas, on est pro-choix !). Les idées de Kant ont aussi produit leurs fruits : on se rend bien compte que c’est dans la vision de Kant que l’on vit actuellement : c’est-à-dire dans un univers dichotomique au sein duquel 1) le monde des phénomènes est le domaine de la science (loi scientifique, universelle, pas de place ni pour la foi ni pour Dieu) et 2) le monde des noumènes est le monde de la foi, de la liberté. Pire encore, ce n’est plus seulement le domaine de la science qui s’est soustrait de Dieu, mais le monde des affaires, de la politique, de l’art[37]. Kant disait avoir sauvé la foi : il l’a plutôt rendu sans impacts.
Pour entrer en dialogue
Comment, en tant qu’évangéliques, devons-nous interagir avec la pensée contemporaine, ou mieux comment nous engager dans la culture dans laquelle ils baignent ? D’abord, nous devons exprimer la vérité telle que nous la comprenons, avec langage de notre époque. Pour ce faire, nous devons préalablement prendre conscience que la culture elle-même nous parlent, et que nous sommes parlé par elle, et que nous la parlons[38]. La Bible elle-même utilise les langues et les cultures des nations pour proclamer la vérité, pour révéler le Dieu véritable, pour théologiser. Jean Brun l'a bien montré, nous vivons dans le langage et nous sommes parlé par le langage. La Bible évite de rejeter la culture, mais fait le tri entre ce qui est bon et ce qui est mauvais. C’est en faisant de même qu’il nous sera possible d’établir des ponts avec les autres et de leur communiquer l'Évangile. Nous ne saurions adopter une posture postmoderne de remise en question de la vérité, ce qui de toute façon serait absurde, ni l’hédonisme et l’inquiétude hypermodernes. Ce n’est pas la mode qu’il faut suivre, mais le modèle biblique. La séduction est à rejeter, les temps longs à réhabiliter, afin de s’inscrire dans l’histoire, dans la direction de ce que le Seigneur est en train d’accomplir, de la nouvelle création.
Ensuite, nous devons reconnaître les torts du passé : torts de la modernité, du communisme, du colonialisme, mais aussi torts de l’Église : au nom de la « vérité » l’Afrique du Sud a connu l’Apartheid ; au nom d’une doctrine soi-disant biblique, de nombreux afro-américains ont souffert du racisme du Sud des États-Unis. « L’Église confesse avoir assisté en silence au dépouillement et à l’exploitation des pauvres, à l’enrichissement et à la corruption des forts. / L’Église confesse être coupable envers les hommes innombrables dont on a brisé la vie en les calomniant, en les dénonçant et en les privant de leur bonheur ! Elle n’a pas convaincu le calomniateur de son injustice, et a ainsi abandonné la victime à son sort »[39].
Pourtant, cela ne nous oblige pas à abandonner l’universalité, la rationalité, et la tradition, du moins telles que les Écritures les conçoivent. La « vérité » du modernisme n’est pas la vérité de la Bible. La rationalité, telle que la Bible la conçoit, est centrale. Logos, qui signifie parole rationnelle et réfléchie, est le nom de Jésus-Christ avant son incarnation, ne l’oublions pas. La rationalité est au centre de la vie chrétienne et de l’être humain. C’est notre raison qui accueille et reçoit la Révélation. On utilise la raison pour réfléchir avec ingéniosité et créativité aux moyens d’appliquer la Parole à notre existence. Nous ne sommes pas un cerveau dans un corps, comme dans la conception dualiste de Descartes, mais des êtres unifiés. Il y a influence mutuelle de l’intelligence, de la volonté et des émotions. C’est cette dimension holiste et communicationnelle de la raison que l’on valorise. L’entendement, comme les Lumières l’ont avancé, n’est pas le tout de la raison. Tout comme la vision exclusivement technologiste de la raison, qui est dangereusement limitée, l’individualisme du rationalisme de la modernité n’est pas à maintenir. Au contraire, la dimension communautaire est nécessaire au savoir. Enfin, l’accueil de la tradition n’est pas contre la raison : raison et tradition ne sont pas opposées. Dans bien des cas, c’est le rejet de la tradition qui est irrationnel. Se couper de la tradition, c’est se couper de nos racines. Une raison mature doit être en mesure de faire le tri entre bonne et mauvaise tradition.
Notes et références
- ↑ Le présent texte reprend des parties d'une série de six synthèses respectives des six premières sessions du cours La pensée contemporaine que Amar Djaballah a donné à la Faculté de théologie évangélique en 2008. Le cours a été enregistré et est offert à distance cette session d’été 2020.
- ↑ Paul RICŒUR, De l’interprétation, Paris, Seuil, 1965.
- ↑ Friedrich NIETZSCHE, Crépuscule des idoles, Paris, Gallimard, 1977.
- ↑ Idem., Le Gai savoir, Paris, Gallimard, 1950 ; Généalogie de la morale, Paris, Gallimard, 1966.
- ↑ G.W.F. HEGEL, La raison dans l’histoire, Paris, Hatier, 2000.
- ↑ Karl MARX, Le Capital, Tomes I, II, III, Paris, Éditions sociales, 1976.
- ↑ Paradoxe suprême : pour le bien du peuple, on a tué le peuple.
- ↑ Paul RICŒUR, Le conflit des interprétations, Paris, Seuil, 1969.
- ↑ Sigmund FREUD, Le rêve et son interprétation, Gallimard, 1969 ; Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, 1989.
- ↑ Sigmund FREUD, Cinq leçons sur la psychanalyse, Payot, 2001.
- ↑ Voir Jean-Paul SARTRE, L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, Gallimard, 1976. La pensée de Sartres est, en gros, un rejet des essences au profit de l’existence.
- ↑ Jean-François LYOTARD, La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
- ↑ Richard RORTY, Contingence, ironie et solidarité, Paris, Armand Colin, 1997. Pour Rorty, par exemple, il n’y a pas de notion de vérité, et nous n’en avons pas besoin car celle-ci ne permet pas d’être authentique. Il n’est besoin que de vérités locales.
- ↑ Gilles LIPOVETSKY, L’Ère du vide : essai sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, 1983 ; L’Empire de l’éphémère : la mode et son destin dans les sociétés modernes, Paris, Gallimard, 1987 ; avec Sébastien CHARLES, Les Temps hypermodernes, Paris, Grasset, 2004. Les deux premiers livres concernent la postmodernité, le troisième l’hypermodernité.
- ↑ Charles TAYLOR, Grandeur et misère de la modernité, Montréal, Bellarmin, 1992.
- ↑ Gilles LIPOVETSKY, « La société d’hyperconsommation », Le Débat, 2003/2, no 124, p. 74-98.
- ↑ Nous avons rencontré le mot « leitmotiv » lors de nos lectures sur le compositeur Richard Wagner. Étymologiquement, ce terme issu de l’allemand et signifie motif directeur.
- ↑ Alain PROBST, Le péché originel : refus d’une doctrine biblique et ses conséquences, Revue réformée, N° 192 – 1997/1 – JANVIER 1997 – TOME XLVIII.
- ↑ Henri Blocher, Révélation des origines, Lausanne, Presses bibliques universitaires, 1989, p. 72.
- ↑ Alain NISUS, « Être humain », dans sous la dir. de Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Excelsis, 2013, p. 44.
- ↑ Henri BLOCHER, « Mal », in Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, sous dir., La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Excelsis, 2013, p. 82.
- ↑ Don A. CARSON et Timothy KELLER, sous dir., L’Évangile et l’Histoire, volume 3, Lyon, Clé, 2012.
- ↑ Henri BLOCHER, ibid.
- ↑ Idem., La doctrine du péché et de la rédemption, Vaux-sur-Seine, Fac Étude, 1982, p. 103.
- ↑ Henri BLOCHER, « L’individu menacé », Ichtus, no 2, avril 1970, p. 4-15.
- ↑ John FRAME, « Van Til on Antithesis », Westminster Theological Journal, 57, 1995, p. 81-102.
- ↑ Idem., « Antithesis and the Doctrine of Scripture », Inaugural lecture on assuming the J. D. Trimble Chair of Systematic Theology at Reformed Theological Seminary, Orlando, FL.
- ↑ Ibid.
- ↑ Pierre COURTHIAL, « Le mouvement réformé de reconstruction chrétienne », Hokhma, no 14, 1980.
- ↑ Louis BERKHOF, Systematic Theology, 4th ed., Grand Rapids, Eerdmans, 1979, p.434-435.
- ↑ Amar DJABALLAH, lors d'une conversation téléphonique, été 2020.
- ↑ BLOCHER, Henri, « Les soubresauts de la pensée humaniste et la pensée biblique », Fac Réflexion, no 32, p. 4-17.
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- ↑ Emmanuel KANT, Critique de la raison pure, Paris, Gallimard, 1990.
- ↑ Nous reprenons au compte de la culture quelque chose de l’idée de Jean Brun dans son livre L’homme et le langage. Voir aussi Bruno LATOUR.
- ↑ Diertrich BONHOEFFER, Éthique, rassemblé et édité par EBERHARD-BETHGE, traduction française de Lore JEANNERET, Genève, 1965, Labor et Fides, p. 88.
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