Hypermodernité : Différence entre versions
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− | Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l'Occident est entré dans une nouvelle crise de la pensée, voire de la civilisation. Il est en effet plus difficile pour les penseurs du début du | + | Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l'Occident est entré dans une nouvelle crise de la pensée, voire de la civilisation. Il est en effet plus difficile pour les penseurs du début du XXI<sup>e</sup> siècle de suivre les adeptes de la postmodernité, notamment parce que le relativisme est totalement inapte à condamner le terrorisme islamiste. Aussi, la révolution technologique des réseaux numériques, dès lors que l’on considère son utilisation dans la réaction gouvernementale qui a suivi les événements du 11 septembre, se fait de plus en plus intrusive. Aux États-Unis, avec le Patriot Act, on saute à pied joints dans une société de surveillance. Nous sommes aussi devenus de plus en plus dépendants des nouvelles technologies, comme cela apparaît de manière grossie dans la pandémie de Covid-19. Sur le plan psychologique aussi, l’hédonisme des dernières années s’accompagne d’une anxiété collective. Il apparaît alors de plus en plus clair que le postmodernisme n’aura été qu’une parenthèse au sein de la modernité, comme le romantisme au XIX<sup>e</sup> siècle. Selon Gilles Lipovetsky, ce serait plutôt l’hypermodernité qui se serait installée, une phase exacerbée de la modernité <ref>Il est toutefois à noter que toute étude de l’hypermodernité reste provisoire, car nous n'avons pas encore le recul nécessaire pour qualifier exactement l’ère dans laquelle nous sommes.</ref>. Et le postmodernisme aurait lui-même contribué à cette exacerbation qui tend vers la démesure. Afin de mieux comprendre la situation contemporaine, il s'agira de relater le passage de la postmodernité à l'hypermodernité, de décrire l’hypermodernité, et d’y répondre par l’Évangile. |
== De la postmodernité à l’hypermodernité == | == De la postmodernité à l’hypermodernité == | ||
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=== La fin des grands récits === | === La fin des grands récits === | ||
− | La postmodernité, comme son nom le suggère, est une réaction à la modernité. Durant la modernité, la pensée a pris ses distances vis-à-vis de la tradition, en particulier de celle du Moyen-Âge. Le paroxysme de cette prise de distance se produit, à la suite des travaux de René Descartes, à l’époque de ce que l’on appelle les Lumières. Si au sein même de la modernité des voix s'élèvent dès le | + | La postmodernité, comme son nom le suggère, est une réaction à la modernité. Durant la modernité, la pensée a pris ses distances vis-à-vis de la tradition, en particulier de celle du Moyen-Âge. Le paroxysme de cette prise de distance se produit, à la suite des travaux de [[René Descartes]], à l’époque de ce que l’on appelle les Lumières. Si au sein même de la modernité des voix s'élèvent dès le XIX<sup>e</sup> siècle qui ne l'acceptent pas telle quelle (nous pensons par exemple au romantisme, dans lequel le sentiment est préféré à la raison, et à Frédéric Nietzsche, qui rejette l'argumentation comme a pu le pratiquer un Hegel), c’est surtout avec les atrocités du XX<sup>e</sup> siècle, notamment celles des deux Guerres mondiales et du communisme soviétique et chinois, que la faillite de la raison moderne a semblé la plus évidente. C’est alors que la modernité, comme prônant une raison individualisante et un espoir dans le Progrès, a été remise en question de façon plus radicale et plus consciente par les postmodernistes. |
− | Pour définir la postmodernité, le penseur Jean-François Lyotard utilise ce qu’il appelle les métarécits. Pour lui, les métarécits sont tous les discours qui se veulent universels et englobants, c'est-à-dire les discours qui encadrent la pensée et qui tentent d'expliquer le monde selon des universaux. Les métarécits sont donc de grand récits qui sous-entendent ou plutôt qui présupposent la vérité avec un V majuscule. Pour Lyotard, la vérité avec un grand V est dangereuse et totalisante, voire totalitaire. Il faut donc s'en méfier, sinon la rejeter, pour la remplacer par des microrécits, des vérités particulières. Le postmoderne est marqué par cette « incrédulité à l'égard des métarécits » | + | Pour définir la postmodernité, le penseur Jean-François Lyotard utilise ce qu’il appelle les métarécits. Pour lui, les métarécits sont tous les discours qui se veulent universels et englobants, c'est-à-dire les discours qui encadrent la pensée et qui tentent d'expliquer le monde selon des universaux. Les métarécits sont donc de grand récits qui sous-entendent ou plutôt qui présupposent la vérité avec un V majuscule. Pour Lyotard, la vérité avec un grand V est dangereuse et totalisante, voire totalitaire. Il faut donc s'en méfier, sinon la rejeter, pour la remplacer par des microrécits, des vérités particulières. Le postmoderne est marqué par cette « incrédulité à l'égard des métarécits »<ref>Jean-François LYOTARD, ''La condition postmoderne'', Paris, Les Éditions de Minuit,1979, p. 7.</ref>. |
− | Or ce qu'il y a d'énormément paradoxal avec cette vision du monde, c'est que le discours postmoderne présuppose lui aussi une vérité absolue : il faut absolument rejeter la vérité absolue. Cette façon relativiste de voir les choses a été très populaire dans les universités au début des années 1980 jusqu'à la fin des années 1990. C’est le grand récit de la fin du siècle, le miroir d’une nouvelle sensibilité sociale, où « les idéologies du progrès, de l’universalisme et de la raison triomphante ont fait place à un hédonisme niais, individualiste, et à une revalorisation du présent dont il convient de jouir autant que possible » | + | Or ce qu'il y a d'énormément paradoxal avec cette vision du monde, c'est que le discours postmoderne présuppose lui aussi une vérité absolue : il faut absolument rejeter la vérité absolue. Cette façon relativiste de voir les choses a été très populaire dans les universités au début des années 1980 jusqu'à la fin des années 1990. C’est le grand récit de la fin du siècle, le miroir d’une nouvelle sensibilité sociale, où « les idéologies du progrès, de l’universalisme et de la raison triomphante ont fait place à un hédonisme niais, individualiste, et à une revalorisation du présent dont il convient de jouir autant que possible »<ref>Vincent CITOT, « Les Temps hypermodernes, de Gilles Lipovetsky », ''Le philosophoire'', 2004, vol. 22, no 1, p. 184-188.</ref>. Selon cette sensibilité, ce sont les microrécits du ''Carpe Diem'' (« Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain »<ref>HORACE, ''Odes'', I, 11, 8.</ref>, disait Horace) qui ont la cote. « Contemporain de l’explosion de la société de consommation et de la déroute des grandes utopies politiques, l’individu postmoderne s’occupe d’abord de lui, de son plaisir, de sa santé, de ses loisirs et autres expériences qui lui permettent de “s’éclater”. »<ref>Vincent CITOT, ''op. cit.''</ref>. |
=== Le début d’une modernité exacerbée === | === Le début d’une modernité exacerbée === | ||
− | Après avoir popularisé le concept de postmodernité dans ''L’Ère du vide'', en l’associant à ce qu’il nommait l’individualisme postmoderne | + | Après avoir popularisé le concept de postmodernité dans ''L’Ère du vide'', en l’associant à ce qu’il nommait l’individualisme postmoderne<ref>Gilles LIPOVETSKY, ''L’Ère du vide'', ''Essai sur l’individualisme contemporain'', Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 1983.</ref>, Gilles Lipovetsky se montre aujourd’hui plus critique à son endroit. Ce changement d’attitude à l’égard de la postmodernité se retrouve dans ses ouvrages plus récents, dans lesquels il ne pense plus que la condition contemporaine soit caractérisée par la pensée postmoderne. Nous serions plutôt entrés dans l’âge hypermoderne, c’est-à-dire dans une modernité exacerbée où les grands principes de la modernité sont accentués, sortent de leurs gonds, se radicalisent. |
− | Le passage de la postmodernité à l’hypermodernité, explique Sébastien Charles, se remarque par trois phénomènes. Premièrement, de plus en plus de penseurs critiquent la postmodernité. En plus de penseurs comme Jürgen Habermas et Paul Ricœur | + | Le passage de la postmodernité à l’hypermodernité, explique Sébastien Charles, se remarque par trois phénomènes. Premièrement, de plus en plus de penseurs critiquent la postmodernité. En plus de penseurs comme Jürgen Habermas et Paul Ricœur<ref>En particulier dans Paul RICŒUR, ''L’histoire, la mémoire et l’oubli'', Paris, Seuil, coll. « Points », 2000. |
+ | </ref>, on peut penser à Alex Honneth, Alain Finkielkraut, Frédéric Jameson et Bruno Latour. Deuxièmement, l’« hyper » sert à qualifier de plus en plus de phénomènes : hypersphère, hyperespace, hypersexualisation, hypercommunication, hyperconsommation, hypermondialisation, etc. Troisièmement, un nouveau paradigme de pensée disqualifie le postmoderne et défend l’hypermoderne, pour rendre compte de la situation contemporaine<ref>Sébastien CHARLES, « De la postmodernité à l’hypermodernité », ''Argument'', vol. 8, no 1, automne 2005-hiver 2006.</ref>. | ||
− | Les postmodernes, qui pensaient être sortis de la modernité, n’auront finalement contribué qu’à rejeter certains de ses éléments : « La postmodernité, ce n’est pas l’autre ou l’ailleurs de la modernité, c’est simplement la modernité débarrassée des freins institutionnels qui empêchaient les grands principes structurants qui la constituent (l’individualisme, la techno-science, le marché, la démocratie) de se manifester à plein » | + | Les postmodernes, qui pensaient être sortis de la modernité, n’auront finalement contribué qu’à rejeter certains de ses éléments : « La postmodernité, ce n’est pas l’autre ou l’ailleurs de la modernité, c’est simplement la modernité débarrassée des freins institutionnels qui empêchaient les grands principes structurants qui la constituent (l’individualisme, la techno-science, le marché, la démocratie) de se manifester à plein »<ref>''Ibid''.</ref>. Sous cet angle, ce qui est appelé la postmodernité, en tant que réaction au sein même de la modernité, et qui présuppose certaines des valeurs modernes pour s'ériger contre celles-ci, est compris dans la modernité tardive, l’hypermodernité. D’ailleurs, Henri Blocher caractérisait déjà le postmoderne de moderne-post, autrement dit de modernité tardive. Le postmodernisme, malgré que ses adeptes pensaient parvenir à un dépassement, à un au-delà de la modernité, n'aura peut-être alors été que le préambule de l’actuelle exacerbation de la modernité<ref>Cela dit, il reste encore beaucoup d’adeptes du postmodernisme, surtout en Amérique du Nord.</ref>. Car, tandis qu’ils voulaient rejeter les grands récits, ils en reconstruisaient d’autres encore bien modernes, et les grands principes de la modernité prenaient de l’ampleur. |
=== De la vidéosphère à l’hypersphère === | === De la vidéosphère à l’hypersphère === | ||
− | Dans le domaine de l’étude de la relation entre technique et culture, les médiologues ont récemment remarqué un changement de médiasphère (« S’entend par ce mot la sphère de circulation des traces et des individus techniquement déterminée par les modes de transport dans l’espace et dans le temps prévalant à un moment donné de l’histoire » | + | Dans le domaine de l’étude de la relation entre technique et culture, les médiologues ont récemment remarqué un changement de médiasphère (« S’entend par ce mot la sphère de circulation des traces et des individus techniquement déterminée par les modes de transport dans l’espace et dans le temps prévalant à un moment donné de l’histoire »<ref>Louise MERZEAU et Régis DEBRAY, « Médiasphère », ''Médium'', no 4, juillet-septembre 2005.</ref>). C’est Louise Merzeau qui, la première, a théorisé cette entrée dans la nouvelle médiasphère, qu’elle nomme l’hypersphère. Ce que Régis Debray appelait la vidéosphère, elle le qualifie de préambule à l’hypersphère. Debray appelait en effet vidéosphère la période structurée par le milieu technique dont le médium dominant est la télévision et qui succède à la graphosphère, période structurée par le milieu technique dont le médium dominant est l’imprimerie<ref>Régis DEBRAY, ''Vie et mort de l’image. Une histoire du regard en Occident'', Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1993.</ref>. Or le milieu technique qui structure la période actuelle n’est plus dominé par le médium télévisuel, mais par Internet. « L’hypersphère se définit [...] par un rééquilibrage des pratiques et des outils autour du modèle de l’hypertexte et du réseau. Son régime est celui de la connexion, de l’interaction et de la dissémination »<ref>Louise MERZEAU, « Ceci ne tuera pas cela », ''Les Cahiers de médiologie'', no 6, 1998, p. 27-39.</ref>. De plus en plus de temps est passé dans un milieu éminemment virtuel, c’est-à-dire qui passe par des intermédiaires numériques, avec les nouvelles possibilités et les nouvelles manières de faire que ceux-ci transportent à grande vitesse. Ce qui n’est pas sans affecter les modalités de la transmission, c’est-à-dire de la communication durable. « Car l’hypersphère n’affecte pas que la surface communicationnelle (éphémère et vaine) des réseaux : elle produit aussi de la mémoire, de l’ordre et de l’anticipation »<ref>Louise MERZEAU, « Une nouvelle feuille de route : de la vidéosphère à l’hypersphère », ''Médium : Transmettre pour Innover'', Babylone, 2007, p. 3-15.</ref>. |
− | Ce phénomène, qui concerne plus précisément les médias, participe de ce que Lipovetsky nomme l'hypermodernité. Mais on peut le rattacher encore davantage à l’hypermodernité telle que la définit François Ascher, car celui-ci fait intervenir la métaphore de l’hypertexte | + | Ce phénomène, qui concerne plus précisément les médias, participe de ce que Lipovetsky nomme l'hypermodernité. Mais on peut le rattacher encore davantage à l’hypermodernité telle que la définit François Ascher, car celui-ci fait intervenir la métaphore de l’hypertexte<ref>François ASCHER, ''La société hypermoderne'' '': ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs'', La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, coll. « Monde en cours », 2005.</ref>. Ascher donne, entre autres, l’image d’une « société “hypertexte” qui permet de cliquer (on peut aussi dire zapper ou switcher) d’une appartenance à une autre. Multiples, elles sont toujours davantage différenciées en termes de comportements et de consommations »<ref>Julien DAMON, ''100 penseurs de la société'', Paris, Presses universitaires de France, coll. « Hors collection », 2006, p. 27.</ref>. En sommes, il semble que la vidéosphère est à la postmodernité ce que l’hypersphère est à l'hypermodernité. |
== Les principes de l’hypermodernité == | == Les principes de l’hypermodernité == | ||
− | Selon Lipovetsky, l'hypermodernité se caractérise par le ''plus'', par l'excès. Il s'agit d’un aboutissement de la modernité dans la démesure. Pour Sébastien Charles, l’hypermodernité est : « ''une modernité radicale'' caractérisée par l’exacerbation et l’intensification de la logique moderne au sein de laquelle les droits de l’homme et la démocratie sont devenus des valeurs incontournables, le marché s’est développé de manière exponentielle, jusqu’à envahir toutes les sphères de l’existence » | + | Selon Lipovetsky, l'hypermodernité se caractérise par le ''plus'', par l'excès. Il s'agit d’un aboutissement de la modernité dans la démesure. Pour Sébastien Charles, l’hypermodernité est : « ''une modernité radicale'' caractérisée par l’exacerbation et l’intensification de la logique moderne au sein de laquelle les droits de l’homme et la démocratie sont devenus des valeurs incontournables, le marché s’est développé de manière exponentielle, jusqu’à envahir toutes les sphères de l’existence »<ref>Sébastien CHARLES, ''op. cit.''</ref>. À cet égard, les biotechnologies ont joué un rôle déterminant dans les remises en question contemporaines des définitions précédentes de l’humanité<ref>''Ibid''.</ref>, de sorte que l’hypermodernité s’accompagne d’une crise de l’identité humaine, voire d’une décadence de la compréhension de l’homme. Tandis que la première modernité s’était construite sur une temporalité du futur, en réaction à la temporalité du passé du Moyen Âge et de l’Antiquité, la modernité tardive s’appuie sur une temporalité du présent<ref>Gilles LIPOVETSKY, ''op. cit.''</ref>. Dans ''L’hypermoderne expliqué aux enfants'', Charles relève que, dans le nouveau régime sociétal, ce sont les principes de la modernité, soit le marché, la démocratie, l’individu, et la technique, qui sont gonflés à bloc<ref>Sébastien, CHARLES, ''L’hypermoderne expliqué aux enfants'', Montréal, Liber, 2007.</ref>. |
=== Le marché hypermoderne === | === Le marché hypermoderne === | ||
− | En ce qui concerne le marché hypermoderne, ce qui frappe d’abord c’est la dérégulation de son économie. Étant donné que les régulations sociales sont en crise, plusieurs secteurs qui auparavant échappaient au marché, comme l’art, l’école et la culture, entrent désormais dans la logique marchande mondiale. « Désormais, tout se consomme : les biens de consommation, bien sûr, mais aussi, la culture, le temps, les vacances, la famille, l’éthique, la religion et autres spiritualités » | + | En ce qui concerne le marché hypermoderne, ce qui frappe d’abord c’est la dérégulation de son économie. Étant donné que les régulations sociales sont en crise, plusieurs secteurs qui auparavant échappaient au marché, comme l’art, l’école et la culture, entrent désormais dans la logique marchande mondiale. « Désormais, tout se consomme : les biens de consommation, bien sûr, mais aussi, la culture, le temps, les vacances, la famille, l’éthique, la religion et autres spiritualités »<ref>Vincent CICOT, ''op. cit.'', p. 185.</ref>. Comme le disait déjà Jean Brun dans ''Le retour de Dionysos'', n’importe quoi est consommé de nos jours : « des valeurs, des idées, des vedettes, des néologismes, du temps, de l'espace, des slogans, des idoles, des modes, des partenaires, des jargons, des best-sellers, des indignations, des révoltes et des révolutions, des marques, des images, des êtres et des ismes de toute nature »<ref>Jean BRUN, ''Le retour de Dionysos'', Tournai, Desclée, 1969, p. 209.</ref>. Le marché prend alors de l’expansion dans n’importe quelles sphères. De la sorte, celles-ci se détraditionnalisent et sont soumises au règne du jetable. Le culte du présent qui s’y rattache se manifeste paradigmatiquement dans le fait d’attribuer de la valeur aux choses en vertu de leur nouveauté, et à en accorder moins à ce qui est vieux. De plus, cette consommation se fait désormais à grande échelle et à grande vitesse. En plus d’avoir accès à de nombreux supermarchés et hypermarchés, les hypermodernes peuvent acheter dans l’immédiat grâce aux entreprises de commerce électronique comme Ebay et, à plus grande échelle encore, Amazon. |
− | Dans le capitalisme contemporain, on sacrifie les aspects pistiques, éthiques et esthétiques sur l’autel de l’économie. « Le fonctionnement du monde libéral qui génère plus de profits, d’efficacité et de rationalité semble justifier les craintes de Heidegger qui dénonçait, à propos de la technique » | + | Dans le capitalisme contemporain, on sacrifie les aspects pistiques, éthiques et esthétiques sur l’autel de l’économie. « Le fonctionnement du monde libéral qui génère plus de profits, d’efficacité et de rationalité semble justifier les craintes de Heidegger qui dénonçait, à propos de la technique »<ref>Sébastien CHARLES, ''op. cit.''</ref>. En considérant la nature que pour s’en servir à des fins profitables, jusqu’à l’exploiter, plutôt que pour la contempler, par exemple, on entre dans la logique de l’économie pour l’économie. Se produit alors « un détournement de son sens au profit d’une “volonté de la volonté”, d’une dynamique de la puissance se nourrissant d’elle-même, sans finalité autre que son propre développement »''Ibid.''. En conséquence, la vie tend à être modelée par la raison instrumentale. Les relations interpersonnelles sont soumis à l’efficacité, et les personnes objectivées. Les collectivités sont alors blessées « par l’extension du modèle de la consommation à l’ensemble du corps social »<ref>Vincent GITOT, ''op. cit.'' p. 185.</ref>. Enfin, même le sens esthétique est instrumentalisé afin de rentabiliser les investissements, souvent au détriment de l’authenticité. |
=== La démocratie hypermoderne === | === La démocratie hypermoderne === | ||
− | « S’il faut parler d’hypermodernité, c’est aussi parce que les rejets et affrontements radicaux relatifs à la démocratie moderne se sont effacés. Il n’y a plus de refus rédhibitoire de la démocratie libérale » | + | « S’il faut parler d’hypermodernité, c’est aussi parce que les rejets et affrontements radicaux relatifs à la démocratie moderne se sont effacés. Il n’y a plus de refus rédhibitoire de la démocratie libérale »<ref>Gilles LIPOVETSKY et Elsa GODART, « L’avènement de l’individu hypermoderne », ''Cliniques méditerranéennes'', 2018/2, no 98, p. 7-23.</ref>. L’hypermodernité relève en effet du principe moderne de « la valorisation de la démocratie comme seul système politique viable permettant de combiner liberté individuelle et sécurité collective »<ref>Sébastien CHARLES, ''ibid''.</ref>. Bien qu’elle ne s’applique pas de la même manière partout, la démocratie, considérée comme nécessaire par les hypermodernes, est prise pour acquise et s'inféode au libéralisme économique. Son instrumentalisation est alors accepté, tant que sont préservées la sécurité sociale et les libertés individuelles privées. Ceci conduit à un déclin de la liberté dans la sphère collective, dont en politique, et à une perte du pouvoir citoyen au profil de la bureaucratie<ref>Charles TAYLOR, ''Grandeur et misère de la modernité'', Montréal, Bellarmin, 1992.</ref>. Enfin, la démocratie hypermoderne, est une démocratie dont les règles du jeu passent en grande partie par le numérique. De nouveaux algorithmes qui se nourrissent de l’information que l’on retrouve sur les réseaux sociaux servent désormais d’outils très puissant aux dernières campagnes électorales. Selon les informations recueillies, des agences de communication personnalisent la publicité à des fins politique, en l’inséminant à même le flux d’information du quotidien en ligne. |
=== L’individu hypermoderne === | === L’individu hypermoderne === | ||
− | L’individu contemporain verse dans le narcissisme, qui dénature les fondements mêmes de l’individualisme moderne | + | L’individu contemporain verse dans le narcissisme, qui dénature les fondements mêmes de l’individualisme moderne<ref>''Idem.''</ref>, ''Les sources du moi. La formation de l’identité moderne'', Boréal, 1998.. C’est « un individualisme d'un nouveau genre, un hyperindividualisme véritablement paradoxal : davantage d'autonomie de choix mais aussi plus d'assujettissement au monde de la marchandise. Plus de gouvernement de soi mais aussi plus de dépossession de soi (obésité, addiction, fashion victim) »<ref>Gilles LOPOVETSKY et Dominique DE GREEF, « Le bonheur paradoxal hypermoderne », ''Revue des Deux Mondes'', février 2007, p. 65-70.</ref>. Dans l’individualisme hypermoderne, « ce qui se déploie n’est autre que l’exacerbation de la dynamique d’individualisation délivrée des dispositifs holistes persistants »<ref>Gilles LIPOVETSKY, avec Elsa GODART, ''op. cit.''</ref>. L’autonomisation de l’individu fait que la soumission aux parents, à la religion ou à tout autre hétérodoxie est contredite. C’est ainsi que se généralise la tendance à la sexualisation de l’amour, soit « la vision hyperfestive de l’amour, cette manifestation sentimentale de l’hypermodernité »<ref>Yannick IMBERT, « Amour de Dieu, amour des hommes », ''La Revue réformée'', no 278, 2016/2, avril 2016, tome LXVII.</ref>, et que tombent les frontières du genre (transexualité, non-binarité, bispiritualisme, pansexualité, etc.). |
− | Certains pensent que la liberté individuelle est illusoire, puisque que le marché dicte nos décisions, conditionne nos achats, et parce que les appareils économiques et communicationnelles dictent nos comportements, notamment par l’entremise du système de la mode. Mais pour Lipovetsky, il faut reconnaître que l’individu hypermoderne a gagné en autonomie au moins dans la sphère privé | + | Certains pensent que la liberté individuelle est illusoire, puisque que le marché dicte nos décisions, conditionne nos achats, et parce que les appareils économiques et communicationnelles dictent nos comportements, notamment par l’entremise du système de la mode. Mais pour Lipovetsky, il faut reconnaître que l’individu hypermoderne a gagné en autonomie au moins dans la sphère privé<ref>Gilles LIPOVETSKY et Dominique DE GREEF, ''op. cit.''</ref>. De plus, on ne peut réduire la liberté et l’autonomie à la consommation. Néanmoins, reste qu’il y a aussi une augmentation des addictions et de la dépression. L’autonomie implique aussi la dépossession de l’individu. Ainsi, paradoxalement, s’il a beaucoup de libertés en régime hypermoderne, il y a, en même temps, perte dans le domaine des choses essentielles, car le monde reste désenchanté. |
− | L’hédonisme postmoderne est relativisé par l’inquiétude hypermoderne | + | L’hédonisme postmoderne est relativisé par l’inquiétude hypermoderne<ref>Sébastien CHARLES, ''op. cit.'' |
+ | </ref>. « Les temps ont changé : l’individu jouissif de la postmodernité est devenu plus anxieux. Au désir d’affranchissement de toutes les normes succèdent la demande généralisée de protection, l’obsession de la santé, l‘inquiétude vis-à-vis du futur. Et pourtant nous n’avons jamais autant été dans “l’hyper” : hyperpuissance américaine, hyperconsommation, hypernarcissime de l’individu performant, flexible, pragmatique »<ref>Jean-François PETIT, « De la post-modernité à l’hypermodernité », ''La Croix'', 29 janvier 2004, , https://www.la-croix.com/Archives/2004-01-29/De-la-post-modernite-a-l-hypermodernite-''NP''-2004-01-29-200470, consulté le 1 août 2020.</ref>. L’individu hypermoderne est régi par la peur. D’où le besoin qu’il se crée de posséder des biens matériels à la manière d’une ''autothérapie''. Il consomme ''pour'' se divertir, dans le but d’oublier ses inquiétudes. Cette insécurité typique de la situation hypermoderne est liée à l’instabilité familiale, aux nouvelles technologies de l’information, à l’économie dérégulée<ref>« [...] inquiétude liée à la mondialisation, insécurité liée à l'immigration et au climat, insécurité alimentaire - alimentation elle est devenue anxiogène - insécurité liée à la situation économique, chômage, enfants - on dit que nos enfants vivront pire que nous! Nous sommes dans un état généralisée, dont le populisme est l'expression » (Marie-Lucile KABACKI et Gilles LIPOVETSKY, « Gilles Lipovetsky : “nous sommes entrés dans l’ère de l’insécurité” », La vie [en ligne], 18 mai 2020 http://www.lavie.fr/actualite/societe/gilles-lipovetsky-nous-sommes-entres-dans-l-ere-de-l-insecurite-16-05-2020-106310_7.php, consulté le 29 juillet 2020).</ref>, et au désenchantement du monde. « L’hypermodernisme produit la fin de la raison et de la conscience historique, ainsi que le sentiment d’être sans racines et sans but. Un aveuglement moral généralisé a pour corollaire l’absence de compassion dans les sociétés libérales progressistes. Le passé, et Dieu en tant que chose du passé, est devenu non pertinent, et on réécrit l’histoire de l’Occident en gommant les détails qui dérangent »<ref>Paul WELLS, « La liberté de conscience, la Réforme et l'avènement du sécularisme », ''La Revue réformée'', No 283, 2017/4, juillet 2017, tome LXViII</ref>. Pour Lipovetsky, les solutions au problème de l’insécurité généralisée de notre époque se trouvent, d’une part, du côté de l’éducation, parce que celle-ci permet de fournir des réponses intelligentes aux défis de notre époque, et, d’autre part, du côté de la foi, afin que les gens puissent être mieux équipés. | ||
=== La technique hypermoderne === | === La technique hypermoderne === | ||
− | La technique hypermoderne relève de la raison instrumentale, que Charles Taylor définit comme « rationalité que nous utilisons lorsque nous évaluons les moyens les plus simples de parvenir à une fin donnée » | + | La technique hypermoderne relève de la raison instrumentale, que Charles Taylor définit comme « rationalité que nous utilisons lorsque nous évaluons les moyens les plus simples de parvenir à une fin donnée »<ref>Charles TAYLOR, ''Grandeur et misère de la modernité'', ''op. cit.'', p. 15.</ref>, et dont « l'efficacité maximale, la plus grande productivité mesure sa réussite »<ref>'Ibid.''</ref>. Comme le marché, la raison instrumentale s’est incrustée dans toutes les sphères de l’existence, jusque dans les relations familiales. Et elle n’est plus soumise à une éthique chrétienne, comme auparavant, mais génère sa propre éthique, l’éthique de l’efficacité et de l’instrumentalisation des autres et de soi. « Aux techniques régulées communautairement par le monde de la religion ont succédées les médications diversifiées et dérégulées de l’univers individualiste en libre-service »<ref>Gilles LIPOVETSKY et Bertrand RICHARD, ''La société de déception'', Paris, Textuel, coll. « Conversations pour demain », 2006. |
+ | </ref>. | ||
− | L’hypermodernité est aussi synonyme d’un regain de confiance dans la technologie : nanotechnologies, conquête de l’espace, thérapie génique, transformation des espèces, etc. Dans le régime actuel, « on cherche moins à critiquer la science et la technique comme les responsables indirects des grandes catastrophes du XXème siècle et comme l’origine véritable de l’aliénation généralisée de l’humanité moderne » | + | L’hypermodernité est aussi synonyme d’un regain de confiance dans la technologie : nanotechnologies, conquête de l’espace, thérapie génique, transformation des espèces, etc. Dans le régime actuel, « on cherche moins à critiquer la science et la technique comme les responsables indirects des grandes catastrophes du XXème siècle et comme l’origine véritable de l’aliénation généralisée de l’humanité moderne »<ref>Vincent CITOT, ''op. cit.'', p. 186.</ref>, contrairement au postmodernisme. Bien au contraire, « science et technique redeviennent des symboles de progrès et des promesses d’avenir meilleur (la recherche médicale trouvera des vaccins, la recherche en physique nucléaire trouvera des nouvelles énergies “propres”, etc.) »<ref>''Ibid.''</ref>. Dans la vie de tous les jours, la technique est omniprésente et se présente sous de multiples visages. Ce qui est le plus visible, ce sont les téléphones intelligents. L’information circule très rapidement via d’importantes structures de télécommunication. Des algorithmes filtrent et sélectionnent les informations pour les individus. Cette prolifération des technologies conduit plusieurs auteurs à parler de notre monde comme d’un cybermonde<ref>Gabriel OTMAN, ''Les mots de la cyberculture'', Paris, Belin, 1998, p. 106.</ref>. |
== La société hypermoderne == | == La société hypermoderne == | ||
− | La société hypermoderne se construit selon les principes mercantile, démocratique, individuel et technique que nous venons de décrire, notamment ceux de l’hypertexte, côté technique | + | La société hypermoderne se construit selon les principes mercantile, démocratique, individuel et technique que nous venons de décrire, notamment ceux de l’hypertexte, côté technique<ref>François ASCHER, ''op. cit.''</ref>. En plus d’être en effet une société dans laquelle tout devient marchandisable, démocratisable, individualisable et technicisable, c’est un monde où tout est susceptible d’être communiqué, consommé et mondialisé à la manière relativiste du World Wide Web : « anyone can say anything about any topic ». Ces principes ne sont pas sans transformer la communication, la consommation et la mondialisation. Comme nous allons maintenant le voir, dans l'hypermodernité, la consommation devient alors hyperconsommation, la communication hypercommunication, et la mondialisation hypermondialisation. |
=== L’hypercommunication === | === L’hypercommunication === | ||
− | + | Si la communication contemporaine est une hypercommunication, c’est surtout parce qu’elle s’articule autour d’Internet, qui en est le médium dominant. « Notre espace quotidien semble maintenant doté d’un “halo virtuel” tissé de circuits numériques et d’ondes invisibles qui mettent en échec les distances et le temps tels que nous les concevions »<ref>Marjolaine ARPIN, « La démesure miniaturisée », ''Esse'', no 70, automne 2010. Pour la notion de « halo virtuel », voir Louis POISSANT, « Colonies et paysages dans le cyberespace », ''Revue d’esthétique'', Paris, no 39, 2001, p. 49-55.</ref>. De nombreux domaines se font désormais en ligne, à distance (téléchirurgie, voiture automatique, streaming, etc.). L’internet des objets s’en vient. Et les gens passent de plus en plus de temps en ligne, sur leurs appareils électroniques. L’omniprésence de ces dispositifs témoigne visiblement d’un régime intense de communication dématérialisée et décorporalisée. L’intensité de la communication est telle qu’elle engendre des problèmes de surinformation, sans parler des effets pervers de la socialisation médiatisée par les réseaux sociaux. « L’excès d'information étouffe l’information quand nous sommes soumis au déferlement ininterrompu d’événements sur lesquels on ne peut méditer parce qu’ils sont aussitôt chassés par d’autres événements »<ref>Edgar MORIN, ''Pour sortir du XX<sup>e</sup> siècle'', Nathan, Paris, 1981, p. 26.</ref>. | |
=== L’hyperconsommation === | === L’hyperconsommation === | ||
− | La société hypermoderne est aussi une société d'hyperconsommation. L’économie mondiale change, dans laquelle la rationalité instrumentale colonise le domaine de la créativité d’une nouvelle manière | + | La société hypermoderne est aussi une société d'hyperconsommation. L’économie mondiale change, dans laquelle la rationalité instrumentale colonise le domaine de la créativité d’une nouvelle manière<ref>Gilles LIPOVETSKY et Jean SERROY, ''L’esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste'', Paris, Gallimard, 2013, p. 12. |
+ | </ref>, où règne l’expérience émotionnelle de la consommation<ref>Bernard et Véronique COVA, « L’hyperconsommateur, entre immersion et sécession », dans Nicole AUBERT, sous dir., ''L’individu hypermoderne'', 2006, ERES, p. 199 à 213.</ref>. « Ce qui gouverne la marche du capitalisme d’hyperconsommation, c’est le renouvellement perpétuel de l’offre, la prolifération de la variété, l’exacerbation de la différenciation marginale des produits »<ref>''Ibid''., p. 235.</ref>. Trois traits sont caractéristiques de la société d’hyperconsommation<ref>Gilles LIPOVETSKY, ''Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation'', Paris, Gallimard, 2006 ; Gilles LOPOVETSKY et Dominique DE GREEF, ''op. cit.''</ref>: | ||
− | 1) Les gens ne consomment plus d’abord pour le ''standing'' social, pour se démarquer des autres. Le pourquoi de la consommation n’est désormais plus fondamentalement lié aux besoins affectifs des consommateurs. Ceux-ci achètent pour se faire plaisir. Cette relation hédoniste aux biens de consommation témoigne d’un vide à combler, d’un souci à oublier, d’un abandon à la volupté. Autrement dit, le règne du divertissement est total. On achète pour se divertir. La consommation a une « fonction thérapeutique » | + | 1) Les gens ne consomment plus d’abord pour le ''standing'' social, pour se démarquer des autres. Le pourquoi de la consommation n’est désormais plus fondamentalement lié aux besoins affectifs des consommateurs. Ceux-ci achètent pour se faire plaisir. Cette relation hédoniste aux biens de consommation témoigne d’un vide à combler, d’un souci à oublier, d’un abandon à la volupté. Autrement dit, le règne du divertissement est total. On achète pour se divertir. La consommation a une « fonction thérapeutique »<ref>''Ibid''.</ref>. |
− | 2) La consommation ne relève plus des « anciennes cultures de classe » | + | 2) La consommation ne relève plus des « anciennes cultures de classe »<ref>''Ibid''.</ref>, ce qui rend le consommateur imprévisible. |
− | 3) « [L]a nouvelle société est celle où n'existent plus de réels obstacles ou contre-pouvoirs institutionnalisés à l'ordre de la consommation : les valeurs consuméristes ont pénétré et restructuré tous les groupes sociaux » | + | 3) « [L]a nouvelle société est celle où n'existent plus de réels obstacles ou contre-pouvoirs institutionnalisés à l'ordre de la consommation : les valeurs consuméristes ont pénétré et restructuré tous les groupes sociaux »<ref>''Ibid''.</ref>. Toutes les sphères sont touchées. |
=== L’hypermondialisation === | === L’hypermondialisation === | ||
− | + | L’hypermondialisation, c’est la mise en réseau du monde, du « village global » sur le World Wide Web. Dans les faits, c’est la réseautique qui transforme le monde en un grand village, aussi balkanisé soit-il. Le phénomène renvoie à l'accessibilité à de l’information collectée en temps réel à des millions d’endroits sur la planète : météo, bourse, trafic, etc. La terre entière est explorable par des images satellites, tandis qu’on peut virtuellement circuler sur presque toutes les routes du monde. Aussi, la plupart des langues sont traduites en ligne en un seul clic par divers logiciels. Tout cela a pour effet de modifier le rapport qu’entretiennent les humains avec la planète, comme on le voit dans les formes actuelles de tourisme ou d’écologisme. Des endroits isolés se font envahir par des hordes de touristes voulant se faire prendre en photo de la même manière que leur influenceur préféré dont ils ont vu l’image sur les réseaux sociaux. On assiste aussi à une prise de conscience et d’engagement de l’urgence d’agir concernant l’environnement, notamment chez les jeunes. | |
== La culture hypermoderne == | == La culture hypermoderne == | ||
− | + | Les expressions culturelles hypermodernes semblent poursuivent radicalement celles du modernisme et être fortement tributaires des nouveaux médias. Pour en prendre la mesure, nous ferons un tour d’horizon de la culture hypermoderne dans ce qu’elle a de plus remarquable : l’architecture hypermoderne, ainsi que l'hyperespace et la cyberculture. Puis, nous verrons la culture hypermoderne comme décadence civilisationnelle. | |
=== L’architecture hypermoderne === | === L’architecture hypermoderne === | ||
− | Nicolas Bruno Jacquet, dans ''Le langage hypermoderne de l’architecture'', décrit sept stratégies qu’utilisent les architectes hypermodernes pour « rompre avec le style tout en restant moderne ». L’hypermodernisme s’autorise des revisites du passé, même récent, mais en en exagérant les traits. En ce sens, il a intégré l’historicisme postmoderniste. La rupture stylistique de l’hypermodernisme s’opère par des interventions de l’architecte au niveau de sept dimensions architecturales. Premièrement, le plan est impliqué dans une « déconnection génératrice ». Dans certains cas, « le plan est difficilement appréhensible, comme déconnecté du corps global du bâtiment saisissable, afin de créer une tension architecturée de l’intériorité » | + | Nicolas Bruno Jacquet, dans ''Le langage hypermoderne de l’architecture'', décrit sept stratégies qu’utilisent les architectes hypermodernes pour « rompre avec le style tout en restant moderne ». L’hypermodernisme s’autorise des revisites du passé, même récent, mais en en exagérant les traits. En ce sens, il a intégré l’historicisme postmoderniste. La rupture stylistique de l’hypermodernisme s’opère par des interventions de l’architecte au niveau de sept dimensions architecturales. Premièrement, le plan est impliqué dans une « déconnection génératrice ». Dans certains cas, « le plan est difficilement appréhensible, comme déconnecté du corps global du bâtiment saisissable, afin de créer une tension architecturée de l’intériorité »<ref>Nicolas Bruno JACQUET, ''Le langage hypermoderne de l’architecture'', Montréal, Parenthèses, 2014, p. 91.</ref>. La New Kyoto Town House d’Alphaville en est un bon exemple. Deuxièmement, l’enveloppe est librement dégradée, de sorte que la partie visible du bâtiment apparaît souvent hypertrophiée. Troisièmement, le volume est plastiquement surnaturalisé. « La transfiguration sculpturale hypermoderne du volume aspire à la projeter dans un espace aux coordonnées dérégulées, avec pour but de dynamiser l’apparence, quitte à refermer quelque peu la boîte sur elle-même pour produire les effets graphiques les plus saisissants »<ref>''Ibid.'', p. 115.</ref>. La toiture de l’église Martin-Luther (2008-2010, Coop Himmelb(l)au, Hainburg, Autriche), est à cet égard paradigmatique. Quatrièmement, la surface devient tantôt immatérielle tantôt le symbole de jeux mathématiques, comme dans Klein Bottle House, de McBride Charles Ryan, construite en 2008 dans la péninsule de Mornington, en Australie. Cinquièmement, il s’établit un rapport de combinaison et d’interpénétration avec le milieu. Ce peut être l’extérieur qui entre à l’intérieur, par exemple. Sixièmement, la forme est l’expression d’une esthétique conceptuelle. Septièmement et dernièrement, la technicité atteint un degré de virtuosité dans la démonstration de prouesse. |
=== Hyperespace et cyberculture === | === Hyperespace et cyberculture === | ||
− | L’hyperespace ou cyberespace, c’est-à-dire « l’espace virtuel constitué par les réseaux informatiques de type Internet et les ordinateurs qu’ils relient entre eux » | + | L’hyperespace ou cyberespace, c’est-à-dire « l’espace virtuel constitué par les réseaux informatiques de type Internet et les ordinateurs qu’ils relient entre eux »<ref>Gabriel OTMANN, ''op. cit.'', p. 103.</ref>, a fait émerger la cyberculture, soit l’« ensemble des techniques matérielles et intellectuelles, des pratiques, des modes de pensée et des valeurs qui se développent sur Internet »<ref>Dictionnaire Cordial.</ref>. Internet permet une certaine ubiquité communicationnelle, mais il implique aussi un rapport à la mémoire qui relève, sur le mode de l’algorithme, plus d’une heuristique du référencement, au sens informatique du terme, que des institutions académiques ou de la bibliothéconomie traditionnelle. La cyberculture se construit en réseau : elle développe de nouveaux codes humoristiques (les mèmes, « concept (texte, image, vidéo) massivement repris, décliné et détourné sur Internet de manière souvent parodique, qui se répand très vite, créant ainsi le buzz »<ref>LAROUSSE. Le mot n’est pas encore dans Le Robert. |
+ | </ref> et de nouvelles pratiques artistiques, comme en témoigne les travaux des pionniers de l’art en ligne Eva et Franco Mattes ou les sites web interactifs de Rafaël Rozendaal. | ||
− | L’hyperespace, et les techniques qu’il implique, se systématise en cybermonde ou hypermilieu, au point où nous pouvons visiblement parler, en réactualisant les thèses de Jacques Ellul, de système hypertechnicien | + | L’hyperespace, et les techniques qu’il implique, se systématise en cybermonde ou hypermilieu, au point où nous pouvons visiblement parler, en réactualisant les thèses de Jacques Ellul, de système hypertechnicien<ref>Jacques ELLUL, ''Le Système technicien'', Paris, Calmann-Lévy, 1977.</ref>. Les individus sont en effet de plus en plus subordonnés aux nouvelles technologies qui les enferment dans un écosystème technoscientifique, et sont submergés par elles : « après le sublime de la nature, nous entrons dans le règne du sublime technologique »<ref>Marjolaine ARPIN, ''ibid.'', Mario COSTA, « Paysages du sublime », ''Revue d’esthétique'', Paris, no 39, 2001, p. 125-133.</ref>. Les internautes sont placés devant des labyrinthes d’hypertextes, des abîmes d’informations. « Pour Mario Costa, le sujet se noie non plus seulement dans l’immensité du réel, mais également dans l’infini immatériel du réseau, dans un non-paysage du trop-plein, de trop grands et trop nombreux possibles »<ref>''Ibid''.</ref>. Dans l’hypersphère, la vie communautaire se concrétise par un mode écranique d’apparition et une modalité « virtuelle » de communication - voire de communion -, qui ''déterritorialise'' l’individu. La téléprésence est de plus en plus intégrée dans les milieux du travail, des loisirs, de l’éducation, mais aussi de la religion et de la sexualité. Lipovetsky et Serroy, dans ''L’écran global'', parlent d’ailleurs d’« écranosphère », d’« état écranique » et même d’« ''homo ecranis'' »<ref>Gilles LIPOVETSKY et Jean SERROY, ''L’écran global : Culture-médias et cinéma à l’âge hypermoderne'', Paris, Seuil, 2007.</ref> pour qualifier cette tendance. Aussi, l'accessibilité des images pornographiques amplifie le phénomène de l’hypersexualisation, dont sont aussi responsables le système de la mode, la publicité, les médias<ref>François FOURNIER, « Grandeur et misère de la mode », ''Nuit blanche'', no 33, October–November 1988, p. 22 à 25.</ref>. |
=== Une décadence civilisationnelle === | === Une décadence civilisationnelle === | ||
− | Blocher parle de notre culture, après Régis Debray, comme décadente. Il y a quelque chose dans notre civilisation qui ressemble en effet à la décadence de Rome. Plusieurs auteurs ont remarqué la similitude, dont Régis Debray : « Gigantisme des villes; inflation du divertissement, passion des jeux et des spectacles, culte des histrions et des gladiateurs ; fusion des univers masculin et féminin, promotion de l'intersexe; développement d'une érudition compilatoire en boucle, promotion de l'intertexte ; personnalisation de l'animal domestique; adoration abêtissante de l'enfance; frénésie du nouveau, du mouvement, du « ça bouge» ; érotisme omniprésent; effusions cosmologiques | + | Blocher parle de notre culture, après Régis Debray, comme décadente. Il y a quelque chose dans notre civilisation qui ressemble en effet à la décadence de Rome. Plusieurs auteurs ont remarqué la similitude, dont Régis Debray : « Gigantisme des villes; inflation du divertissement, passion des jeux et des spectacles, culte des histrions et des gladiateurs ; fusion des univers masculin et féminin, promotion de l'intersexe; développement d'une érudition compilatoire en boucle, promotion de l'intertexte ; personnalisation de l'animal domestique; adoration abêtissante de l'enfance; frénésie du nouveau, du mouvement, du « ça bouge» ; érotisme omniprésent; effusions cosmologiques »<ref>Régis DEBRAY, ''op. cit.'', cité par Henri BLOCHER, « Les soubresauts de la pensée humaniste et la pensée biblique », ''FacRéflexion, n°32,'' p.4-17.</ref>. Pierre Chaunu a consacré un ouvrage entier à la question de la décadence dans les années 1980, intitulé ''Histoire et décadence''. Il pointe du doigt le bien plus grand mal de l’humanité auquel renvoie la décadence, celle que notre société évite d’adresser, la mort. Il encourage ses contemporains à prendre conscience de l'urgence de la situation, car le temps est proche où, parce que trop obnubilés par le présent, il leur manquera la profondeur historique nécessaire pour voir de la décadence civilisationnelle, afin de réagir à temps. Dans notre « post-postmodernité », le danger est bien menaçant d’une perte de capacité à voir la décadence, et que l’absence de sensibilité au regard des réalités dernières nous empêche de nous tourner vers des décisions individuelles et collectives responsables face à la décadence de notre civilisation. |
== Évangile et hypermodernité == | == Évangile et hypermodernité == | ||
− | Un roman-essai assez cynique de Nicolas Langelier qui s’intitule ''Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles'' | + | Un roman-essai assez cynique de Nicolas Langelier qui s’intitule ''Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles''<ref>Nicolas LANGELIER, ''Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles'', Montréal, Boréal, 2010.</ref> est paru en 2010. Dans ce livre qui exprime assez bien l’anxiété de notre époque, beaucoup de questions sont posées, mais peu sont résolues. Il a néanmoins le mérite de faire prendre conscience aux hypermodernes de la perte de transcendance (et, du même coup, de sens) qui caractérise leur culture et de la nécessité d’un arrêt, sinon d’un recul, face à la vie qu’elle encourage. Comme nous l’avons vu, la situation contemporaine crée un climat d’insécurité qui, selon Lipovetsky, peut être adressé par la foi. Nous croyons aussi qu’elle est nécessaire, mais aussi que la seule foi vérifiable est celle de la Bonne nouvelle<ref>À l’ère des nouvelles télévisuelles, le mot « bonne nouvelle » lui-même peut facilement porter à confusion. De nos jours, on parle de lire ou d’écouter les « nouvelles », lorsque l’on s’informe des actualités, bonnes ou mauvaises. Mais l’utilisation que nous voudrions faire ici de l’expression « bonne nouvelle » remonte à l’Antiquité : celle que l’on retrouve dans l’Ancien et le Nouveau Testament.</ref> qui a été proclamée avec puissance au premier siècle de notre ère. Toutefois, pour que les hypermodernes puissent y entrer, il faut que la proclamation de l’Évangile soit faite dans un langage compréhensible aujourd’hui, quitte à se servir, lorsque la situation le recommande, d’un langage parabolique. Afin d’introduire les hypermodernes à la Bonne nouvelle , nous avons justement choisi de partir d’une allégorie<ref>Nous espérons, par cette dramatisation, avoir bien répondu à l’avertissement de Hans Urs von BALTHASAR : prenons garde à ne pas évacuer de notre christianisme le caractère terriblement dramatique de la croix, à la manière dont le monde moderne escamote la mort dans la vie quotidienne », ''Tu couronnes l'année de tes bontés'', Paris, Salvator, 2003, p. 69-71.</ref>. Par la suite, nous situerons brièvement la proclamation évangélique. Puis nous discuterons de l'espérance chrétienne. Notre intention est d’initier une remise en question et, nous l’espérons, une réponse de foi appropriée. |
=== L'allégorie de l’œuvre === | === L'allégorie de l’œuvre === | ||
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Nous vivons dans l’œuvre du plus grand des créateurs : le Créateur des créateurs. Lorsqu’il a créé son œuvre, il a dit qu’elle était très bien faite. Personnages de l’œuvre, nous en faisons partie d’une manière toute spéciale : nous avons été créés en image de l’Artiste de ce ''magnum opus'' créé à partir d’aucune matière première. De la sorte, l’Artiste nous a établi pour manifester sa gloire avec imagination et en conformité avec son intention. En faisant partie de l’œuvre, que nous habitons, nous sommes appelés à la conserver, en en prenant soin et en participant à son enrichissement. Le langage nous sert à nommer, avec imagination et organisation, ce que nous découvrons. Lorsque nous nous arrêtons pour prendre le temps de contempler l’œuvre, il nous est possible d’admirer la gloire de l’Artiste. Initialement, il nous était même toujours donné de l’interpréter adéquatement et d’en faire l’expérience de la manière voulue par l’Artiste. | Nous vivons dans l’œuvre du plus grand des créateurs : le Créateur des créateurs. Lorsqu’il a créé son œuvre, il a dit qu’elle était très bien faite. Personnages de l’œuvre, nous en faisons partie d’une manière toute spéciale : nous avons été créés en image de l’Artiste de ce ''magnum opus'' créé à partir d’aucune matière première. De la sorte, l’Artiste nous a établi pour manifester sa gloire avec imagination et en conformité avec son intention. En faisant partie de l’œuvre, que nous habitons, nous sommes appelés à la conserver, en en prenant soin et en participant à son enrichissement. Le langage nous sert à nommer, avec imagination et organisation, ce que nous découvrons. Lorsque nous nous arrêtons pour prendre le temps de contempler l’œuvre, il nous est possible d’admirer la gloire de l’Artiste. Initialement, il nous était même toujours donné de l’interpréter adéquatement et d’en faire l’expérience de la manière voulue par l’Artiste. | ||
− | À un certain moment, l’une des figures de l’œuvre s’est acharnée à décréer l’œuvre. Ce décréateur et désœuvreur nous fit même devenir des décréateurs et désœuvreurs à notre tour. Ainsi, au lieu d’habiter l’œuvre de manière à la conserver, nous nous sommes mis à rendre laid ce qui était beau. Bien que l’Artiste fait en sorte que son œuvre ne soit pas complètement effacée, toutes les dimensions ont été abîmées, soumises à la ''désoeuvrance''. Aujourd’hui, bien que nous continuons de voir que nous avons à faire à un chef-d’œuvre, nous voyons aussi qu’il a été vandalisé. De plus, tous les nouveaux personnages naissent décrétateurs, et ceux qui tentent de restaurer le chef-d’œuvre par leurs propres moyens font pire | + | À un certain moment, l’une des figures de l’œuvre s’est acharnée à décréer l’œuvre. Ce décréateur et désœuvreur nous fit même devenir des décréateurs et désœuvreurs à notre tour. Ainsi, au lieu d’habiter l’œuvre de manière à la conserver, nous nous sommes mis à rendre laid ce qui était beau. Bien que l’Artiste fait en sorte que son œuvre ne soit pas complètement effacée, toutes les dimensions ont été abîmées, soumises à la ''désoeuvrance''. Aujourd’hui, bien que nous continuons de voir que nous avons à faire à un chef-d’œuvre, nous voyons aussi qu’il a été vandalisé. De plus, tous les nouveaux personnages naissent décrétateurs, et ceux qui tentent de restaurer le chef-d’œuvre par leurs propres moyens font pire<ref>Comme cette dame qui a tenté de restaurer la fresque ''Ecce Homo'', en 2012, et a raté son coup. La fresque abîmée est devenue une icône sur Internet.</ref>. |
Suite à la désoeuvrance initiale, l’Artiste annonça qu’il écrivait un récit dans le récit, une œuvre dans l’œuvre, et qu’un personnage principal viendrait contrecarrer la désoeuvrance. Cette quête, seul l’Artiste pouvait la mener à bien. C’est donc l’Artiste lui-même qui se fit le personnage principal de son œuvre, venant habiter parmi les autres personnages. Lorsque que le héro vint, les opposants cherchèrent à le faire sortir de l’œuvre, en le tuant, ce qu’ils ne parvinrent à faire que parce que le héro donna sa vie. Mais l’Artiste le fit revivre. L’œuvre dans l’œuvre que le personnage principal accomplit ainsi en venant parmi les personnages, il la réalisa pour que ceux qui le reçoivent, ainsi que son œuvre nouvelle, ne soient plus sous l’emprise de la désoeuvrance, mais qu’ils fassent plutôt partie de la réœuvrance. C’était la seule manière de passer d’opposants à adjuvants. Les personnages qui bénéficièrent de ce passage se réjouirent d’entrer dans ce que l’Artiste avait commencé à recréer au sein même de l’œuvre ancienne, sur la base de la quête accomplie par le personnage principal. Ces personnages passaient de la désoeuvrance à la réoeuvrance : ils étaient fait participants, en relation avec le personnage principal, de la deuxième œuvre, qui un jour sera pleinement achevée. Pour les décréateurs, les désœuvreurs, ils seront bientôt et à jamais décréés et désœuvrés. | Suite à la désoeuvrance initiale, l’Artiste annonça qu’il écrivait un récit dans le récit, une œuvre dans l’œuvre, et qu’un personnage principal viendrait contrecarrer la désoeuvrance. Cette quête, seul l’Artiste pouvait la mener à bien. C’est donc l’Artiste lui-même qui se fit le personnage principal de son œuvre, venant habiter parmi les autres personnages. Lorsque que le héro vint, les opposants cherchèrent à le faire sortir de l’œuvre, en le tuant, ce qu’ils ne parvinrent à faire que parce que le héro donna sa vie. Mais l’Artiste le fit revivre. L’œuvre dans l’œuvre que le personnage principal accomplit ainsi en venant parmi les personnages, il la réalisa pour que ceux qui le reçoivent, ainsi que son œuvre nouvelle, ne soient plus sous l’emprise de la désoeuvrance, mais qu’ils fassent plutôt partie de la réœuvrance. C’était la seule manière de passer d’opposants à adjuvants. Les personnages qui bénéficièrent de ce passage se réjouirent d’entrer dans ce que l’Artiste avait commencé à recréer au sein même de l’œuvre ancienne, sur la base de la quête accomplie par le personnage principal. Ces personnages passaient de la désoeuvrance à la réoeuvrance : ils étaient fait participants, en relation avec le personnage principal, de la deuxième œuvre, qui un jour sera pleinement achevée. Pour les décréateurs, les désœuvreurs, ils seront bientôt et à jamais décréés et désœuvrés. | ||
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=== Le kérygme aujourd’hui === | === Le kérygme aujourd’hui === | ||
− | La Bible, dont nous venons de tenter de traduire, sous forme d’allégorie, le leitmotiv (ou motif biblique fondamental), propose une ''vision du monde'' cohérente, bien au-delà de celles de la modernité ou de l’hypermodernité, à laquelle se rattache le kérygme, l’annonce et la transmission de l’Évangile. « Par son adéquation avec la réalité, passée, présente et à venir, [cette vision du monde] maintient, à leur juste place, le Créateur, la création, l’homme, la nature et l’histoire et elle présente une cohérence qui satisfait les besoins aussi bien de la raison que des sentiments » | + | La Bible, dont nous venons de tenter de traduire, sous forme d’allégorie, le leitmotiv (ou motif biblique fondamental), propose une ''vision du monde'' cohérente, bien au-delà de celles de la modernité ou de l’hypermodernité, à laquelle se rattache le kérygme, l’annonce et la transmission de l’Évangile. « Par son adéquation avec la réalité, passée, présente et à venir, [cette vision du monde] maintient, à leur juste place, le Créateur, la création, l’homme, la nature et l’histoire et elle présente une cohérence qui satisfait les besoins aussi bien de la raison que des sentiments »<ref>Paul WELLS, « Calvin et la postmodernité – Une question d’interprétation », ''La Revue réformée,'' no 226, 2004/1, janvier 2004, tome LV.</ref>. Cette vision du monde est bien différente que celle de l’hypermodernité, en ce qu’elle répond de manière définitive au grand problème de l’humanité. « Dans la logique des écrits bibliques, s’il y a nécessité de salut, c’est qu’il y a problème. Le salut est la solution divine au problème humain qui est décrit dès les premières pages de la Bible et dont l’ombre plane sur tout ce qui suit ». Ne pas recevoir la seule réponse biblique, c’est donc rester prisonnier à ce problème. Devant l’absence de réponse valable à cette question de vie ou de mort de la part d’une société qui a abandonné les grands récits, les hypermodernes ont besoin d’entendre ou de réentendre la voix du Seigneur, par la proclamation de l’Évangile, et de venir à lui, au moyen de la foi que Dieu donne en Jésus-Christ. Mais, comme les chrétiens, ils n’ont que faire de la foi en un dieu mort, une idole dont Nietzsche a bien fait d’organiser les funérailles. La seule foi véritable, qui ne soit donc pas un « opium du peuple », est celle dans le Dieu vivant. C’est pourquoi nous sommes persuadés que la seule réponse valable pour aujourd’hui, comme à toute époque, est la Bonne nouvelle. |
Dans la vision biblique des choses, l’univers est la création d’un Dieu souverainement bon, contre lequel les humains se sont rebellés. lls se sont livrés à la désobéissance, au péché, et ainsi à la mort (physique et spirituelle), qui en est la conséquence. Mais, c’est en venant lui-même à leur secours que le Créateur rachète ceux qui lui appartiennent. En effet, au début de notre ère, Jésus, Dieu fait homme, est venu délivrer l’humanité du péché. Pour payer la dette infinie que nous avons tous envers Dieu, et qui mérite un châtiment éternel, il s’est offert lui-même en sacrifice. Bien que tout-puissant, il a laissé les Romains le crucifier à la demande des autorités juives. Mais Dieu le Père l’a ressuscité le troisième jour. Après sa mort et sa résurrection, il « est apparu à Pierre, puis aux Douze. Puis, comme l’affirme Paul dans la Première épître aux Corinthiens, « il a été vu par plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore aujourd'hui quelques-uns d'entre eux seulement sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. En tout dernier lieu, il m'est apparu à moi, comme à celui qui suis venu après coup » (15.5-8). | Dans la vision biblique des choses, l’univers est la création d’un Dieu souverainement bon, contre lequel les humains se sont rebellés. lls se sont livrés à la désobéissance, au péché, et ainsi à la mort (physique et spirituelle), qui en est la conséquence. Mais, c’est en venant lui-même à leur secours que le Créateur rachète ceux qui lui appartiennent. En effet, au début de notre ère, Jésus, Dieu fait homme, est venu délivrer l’humanité du péché. Pour payer la dette infinie que nous avons tous envers Dieu, et qui mérite un châtiment éternel, il s’est offert lui-même en sacrifice. Bien que tout-puissant, il a laissé les Romains le crucifier à la demande des autorités juives. Mais Dieu le Père l’a ressuscité le troisième jour. Après sa mort et sa résurrection, il « est apparu à Pierre, puis aux Douze. Puis, comme l’affirme Paul dans la Première épître aux Corinthiens, « il a été vu par plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore aujourd'hui quelques-uns d'entre eux seulement sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. En tout dernier lieu, il m'est apparu à moi, comme à celui qui suis venu après coup » (15.5-8). | ||
− | Après la résurrection de Jésus, les apôtres, remplis du Saint-Esprit, ont alors proclamé l’« Évangile du salut » (Ep 1.13) | + | Après la résurrection de Jésus, les apôtres, remplis du Saint-Esprit, ont alors proclamé l’« Évangile du salut » (Ep 1.13)<ref>« Le salut désigne dans la Bible diverses interventions de Dieu en faveur de son peuple ou de ses fidèles », Christophe PAYA « Salut », dans Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, sous dir., ''La foi chrétienne et les défis du monde contemporain'', Charols, Excelsis, 2013, p. 115.</ref>. Cette Bonne nouvelle salutaire parle de la puissance de l’intervention divine que Dieu opère en Jésus-Christ pour sauver le peuple qu’il se constitue à partir de gens de toutes nations. Elle est un appel à entrer en relation avec celui qui est mort pour payer la dette de notre crime contre la Divinité, et qui est revenu à la vie, parce qu’il est la vie, afin d’être réconcilié avec Dieu. Comme le dit l’apôtre Paul : « C'est par elle que vous êtes sauvés si vous la retenez telle que je vous l'ai annoncée ; autrement vous auriez cru en vain » (1 Co 15.2). |
− | Cet Évangile, qui n’est pas restreint à une époque, doit être proclamé de nos jours. Il peut l’être, entre autres, par les moyens de transmission contemporains, afin de rejoindre les gens là où ils sont. Si Paul s’est servi du lieu de communication des Athéniens, pourquoi ne pas utiliser ceux des hypermodernes ? Mais l’Évangile doit être transmis telle qu’il a été annoncé par les apôtres, et que ce soit fait avec sagesse. Paul dit aux Corinthiens : « Je vous ai transmis, comme un enseignement de première importance, ce que j'avais moi-même reçu » (1 Co 15.3). Lorsqu’il s’est rendu à Athènes, il n’a pas improvisé un discours sans connaissance préalable de la culture à laquelle il s’adressait. De même, il faut être conscient qu’un médium n’est pas neutre quant à son message | + | Cet Évangile, qui n’est pas restreint à une époque, doit être proclamé de nos jours. Il peut l’être, entre autres, par les moyens de transmission contemporains, afin de rejoindre les gens là où ils sont. Si Paul s’est servi du lieu de communication des Athéniens, pourquoi ne pas utiliser ceux des hypermodernes ? Mais l’Évangile doit être transmis telle qu’il a été annoncé par les apôtres, et que ce soit fait avec sagesse. Paul dit aux Corinthiens : « Je vous ai transmis, comme un enseignement de première importance, ce que j'avais moi-même reçu » (1 Co 15.3). Lorsqu’il s’est rendu à Athènes, il n’a pas improvisé un discours sans connaissance préalable de la culture à laquelle il s’adressait. De même, il faut être conscient qu’un médium n’est pas neutre quant à son message<ref>Pierre-André LÉCHOT, « Médias », dans Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, sous dir., ''La foi chrétienne et les défis du monde contemporain'', Charols, Excelsis, 2013, p. 363-370</ref> : une lettre n’est pas reçue de la même manière qu’un courriel, il faut traduire le message en conséquence. Quand on communique l’Évangile avec un moyen de communication contemporain, que ce soit le film ou la bande-dessinée, trois exigences fondamentales s’imposent, comme l’indique Amar Djaballah : 1) il est essentiel de rester fidèle aux Écritures ; 2) il faut que le « moyen utilisé soit approprié à la fonction de médiation du message du Règne de Dieu »<ref>Amar DJABALLAH, ''Les paraboles aujourd’hui'', Québec, La Clairière, 1994, p. 315-316. |
+ | </ref> ; 3) « le genre utilisé devrait être assez bien compris et apprécié par les communautés auxquelles il s’adresse »<ref>''Ibid''.</ref>. | ||
− | La transmission de l’Évangile exige, pour celui qui reçoit, une donation de tout son être au service du Seigneur Jésus-Christ. C’est pourquoi le croyant est appelé à suivre Jésus comme disciple, et à faire d’autres disciples. Les disciples doivent comprendre que la Seigneurie de Dieu implique chaque dimension de l’être. « La vie chrétienne est, à proprement parler, ''holistique'' car la foi introduit un renouvellement global de la personne. Ce [...] point ne sera jamais assez souligné car, dans une société hypermoderne, il est relativement aisé de séparer la foi de toute autre demain de la vie humaine » | + | La transmission de l’Évangile exige, pour celui qui reçoit, une donation de tout son être au service du Seigneur Jésus-Christ. C’est pourquoi le croyant est appelé à suivre Jésus comme disciple, et à faire d’autres disciples. Les disciples doivent comprendre que la Seigneurie de Dieu implique chaque dimension de l’être. « La vie chrétienne est, à proprement parler, ''holistique'' car la foi introduit un renouvellement global de la personne. Ce [...] point ne sera jamais assez souligné car, dans une société hypermoderne, il est relativement aisé de séparer la foi de toute autre demain de la vie humaine »<ref>Yannick IMBERT, « Apologétique » dans Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, sous dir., ''La foi chrétienne et les défis du monde contemporain'', Charols, Excelsis, 2013, p. 4.</ref>. Ainsi, on ne doit pas séparer le témoignage de la défense de la foi, le dire de l’action[<ref>''Ibid''., p. 5.</ref>. |
=== L'espérance chrétienne === | === L'espérance chrétienne === | ||
− | L’engagement fidèle envers Dieu implique l’espérance du retour de Jésus-Christ. « L'espérance peut prévoir bien des choses, mais en tout premier lieu l’intéresse la présence, la Venue du Seigneur Jésus-Christ » | + | L’engagement fidèle envers Dieu implique l’espérance du retour de Jésus-Christ. « L'espérance peut prévoir bien des choses, mais en tout premier lieu l’intéresse la présence, la Venue du Seigneur Jésus-Christ »<ref>Henri BLOCHER, ''L'espérance chrétienne'', Charols, Excelsis, Vaux-sur-Seine, Édifac, 2012, p. 5.</ref>. Après sa résurrection, le Ressuscité s’est montré à ses disciples et est retourné auprès de Dieu : « il fut élevé pendant qu'ils le regardaient, et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils avaient les regards fixés vers le ciel pendant qu'il s'en allait, voici, deux hommes vêtus de blanc leur apparurent, et dirent: Hommes Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l'avez vu allant au ciel » (Ac 1.9-11). Cette venue sera personnelle, visible et soudaine<ref>''Ibid.'', p. 16-20.</ref>. Et tandis que pour les injustes ce sera les gémissements de la fin - car justice sera faite - pour les justes ce sera le moment de grandes réjouissances, car ils verront le Vainqueur de la mort. |
Pour comprendre ces choses, il faut croire, comme le disait saint Augustin. Ce n’est pas que la croyance soit irrationnelle, bien au contraire. Mais on ne peut connaître quelqu’un que l’on refuse de rencontrer. De même qu’il est nécessaire que les yeux de l’aveugle soient ouverts pour qu’il voit, le Seigneur doit ouvrir les yeux de l’intelligence de l’homme pour qu’il voit la vérité, et les oreilles de son entendement pour qu’il l’entende. Ces choses ne sont pas ''contre'' la raison. D’ailleurs Jésus, les Apôtres et les Pères de l’Église ont tous produit des discours raisonnables et rationnels lorsqu’ils ont parlé de leur espérance. Dans l’attente du Seigneur, les chrétiens sont appelés, en tant que témoins du Christ vivant, à faire œuvre d’apologie : « Soyez toujours prêts à défendre l’espérance qui est en vous, devant tous ceux qui vous en demandent raison » (1 Pi 3.15). | Pour comprendre ces choses, il faut croire, comme le disait saint Augustin. Ce n’est pas que la croyance soit irrationnelle, bien au contraire. Mais on ne peut connaître quelqu’un que l’on refuse de rencontrer. De même qu’il est nécessaire que les yeux de l’aveugle soient ouverts pour qu’il voit, le Seigneur doit ouvrir les yeux de l’intelligence de l’homme pour qu’il voit la vérité, et les oreilles de son entendement pour qu’il l’entende. Ces choses ne sont pas ''contre'' la raison. D’ailleurs Jésus, les Apôtres et les Pères de l’Église ont tous produit des discours raisonnables et rationnels lorsqu’ils ont parlé de leur espérance. Dans l’attente du Seigneur, les chrétiens sont appelés, en tant que témoins du Christ vivant, à faire œuvre d’apologie : « Soyez toujours prêts à défendre l’espérance qui est en vous, devant tous ceux qui vous en demandent raison » (1 Pi 3.15). | ||
− | L’espérance telle que la Bible la définit n’est pas un sentiment ayant une dimension incertaine, voire illusoire. Elle se rattache à la foi dont Dieu est le garant. Elle est fondée, parce que Dieu réalise assurément ses promesses, comme il l’a prouvé par le passé | + | L’espérance telle que la Bible la définit n’est pas un sentiment ayant une dimension incertaine, voire illusoire. Elle se rattache à la foi dont Dieu est le garant. Elle est fondée, parce que Dieu réalise assurément ses promesses, comme il l’a prouvé par le passé<ref>R.V.G. TASKER, « Espérance », Charols, Excelsis, ''Grand dictionnaire de la Bible'', 3e éd., 2017, p. 553-554.</ref>. Avec puissance, Dieu a ultimement prouvé sa fidélité dans l’œuvre de Jésus : « le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures ; il a été mis au tombeau, il est ressuscité le troisième jour, comme l'avaient annoncé les Écritures » (1 Co 15.3-4). Or, malgré la richesse, le confort et le divertissement, les hypermodernes restent inquiets et anxieux, car étant sans le vrai Dieu, ils n’ont pas d’espérance (Ep 2.11-12). Pour avoir part à l’espérance, ils doivent se tourner vers Celui qui fait grâce à qui il veut faire grâce, et qui a compassion de qui il veut avoir compassion (Rm 9.15). Le seul médiateur entre Dieu et les hommes c’est celui qui est venu pour nous réconcilier avec Dieu, alors que nous étions en guerre contre le Créateur par notre péché. C’est Jésus-Christ, celui qui dans l’histoire fait en sorte qu’il y ait un avant et un après, comme nos calendriers le soulignent à juste titre ! Par son sang, nous pouvons être en paix et obéir à la parole suivante : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? » (Mt 6.25). |
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L’hypermodernité se définit comme modernité exacerbée, comme époque historique dont le milieu technique et culturel est sous l’égide des technologies numériques, des réseaux Internet. La postmodernité en est le prélude, car elle a contribué à faire sortir la modernité de ses gonds, en abandonnant les grands récits traditionnels, pour les remplacer par d’autres plus relativistes. Les grands principes modernes que sont le marché, la démocratie, l’individu et la technique ont alors pris de l'expansion dans de nouvelles sphères de la vie, et ont gagné en puissance grâce à Internet. Ces principes ont d’ailleurs eu un impact majeur sur la société au plan de la communication, la consommation et la mondialisation : les trois se sont dématérialisées et ont atteint des proportions extravagantes. En témoigne la culture hypermoderne, dont l’architecture est une assez heureuse démonstration, de même que l’hyperespace et la cyberculture, qui impliquent des défis plus grands. Tandis que leur civilisation est engagée dans un processus de décadence, les hypermodernes sont appelés à changer de perspective et à se tourner vers celui que nous avons allégoriquement nommé l’Artiste, et à suivre les instructions de son œuvre et de son œuvre dans l’œuvre. Autrement dit, les hypermodernes doivent écouter, au sens biblique d’entendre et d’obéir, le kérygme, la proclamation de l’Évangile, afin d’entrer dans l'espérance chrétienne par la foi dans le Ressuscité. Nous pensons que seul un retour authentique vers l’Évangile est susceptible d’enclencher une réformation constructive de notre civilisation, le surgissement d’une espérance vivante, bien au-delà des choses matérielles. | L’hypermodernité se définit comme modernité exacerbée, comme époque historique dont le milieu technique et culturel est sous l’égide des technologies numériques, des réseaux Internet. La postmodernité en est le prélude, car elle a contribué à faire sortir la modernité de ses gonds, en abandonnant les grands récits traditionnels, pour les remplacer par d’autres plus relativistes. Les grands principes modernes que sont le marché, la démocratie, l’individu et la technique ont alors pris de l'expansion dans de nouvelles sphères de la vie, et ont gagné en puissance grâce à Internet. Ces principes ont d’ailleurs eu un impact majeur sur la société au plan de la communication, la consommation et la mondialisation : les trois se sont dématérialisées et ont atteint des proportions extravagantes. En témoigne la culture hypermoderne, dont l’architecture est une assez heureuse démonstration, de même que l’hyperespace et la cyberculture, qui impliquent des défis plus grands. Tandis que leur civilisation est engagée dans un processus de décadence, les hypermodernes sont appelés à changer de perspective et à se tourner vers celui que nous avons allégoriquement nommé l’Artiste, et à suivre les instructions de son œuvre et de son œuvre dans l’œuvre. Autrement dit, les hypermodernes doivent écouter, au sens biblique d’entendre et d’obéir, le kérygme, la proclamation de l’Évangile, afin d’entrer dans l'espérance chrétienne par la foi dans le Ressuscité. Nous pensons que seul un retour authentique vers l’Évangile est susceptible d’enclencher une réformation constructive de notre civilisation, le surgissement d’une espérance vivante, bien au-delà des choses matérielles. | ||
− | + | <div style='text-align: right;'>Pierre-Luc VERVILLE</div> | |
− | Pierre-Luc VERVILLE | ||
== Notes et références == | == Notes et références == | ||
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== Bibliographie == | == Bibliographie == | ||
− | ARPIN, Marjolaine, « La démesure miniaturisée », ''Esse'', no 70, automne 2010. | + | * ARPIN, Marjolaine, « La démesure miniaturisée », ''Esse'', no 70, automne 2010. |
− | ASCHER, François, ''La société hypermoderne'' '': ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs'', La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, coll. « Monde en cours », 2005. | + | * ASCHER, François, ''La société hypermoderne'' '': ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs'', La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, coll. « Monde en cours », 2005. |
− | BALTHASAR, Hans Urs von, ''Tu couronnes l'année de tes bontés'', Paris, Salvator, 2003. | + | * BALTHASAR, Hans Urs von, ''Tu couronnes l'année de tes bontés'', Paris, Salvator, 2003. |
− | BLOCHER, Henri, ''L'espérance chrétienne'', Charols, Excelsis, Vaux-sur-Seine, Édifac, 2012, | + | * BLOCHER, Henri, ''L'espérance chrétienne'', Charols, Excelsis, Vaux-sur-Seine, Édifac, 2012, |
− | + | * BLOCHER, Henri, « Les soubresauts de la pensée humaniste et la pensée biblique », ''FacRéflexion'', no 32, p.4-17. | |
− | BRUN, Jean, ''Le retour de Dionysos'', Tournai, Desclée, 1969. | + | * BRUN, Jean, ''Le retour de Dionysos'', Tournai, Desclée, 1969. |
− | CITOT, Vincent, « Les Temps hypermodernes, de Gilles Lipovetsky », ''Le philosophoire'', 2004, vol. 22, no 1, p. 184-188. | + | * CITOT, Vincent, « Les Temps hypermodernes, de Gilles Lipovetsky », ''Le philosophoire'', 2004, vol. 22, no 1, p. 184-188. |
− | CHARLES, Sébastien, « De la postmodernité à l’hypermodernité », ''Argument'', vol. 8, no 1, automne 2005 - hiver 2006. | + | * CHARLES, Sébastien, « De la postmodernité à l’hypermodernité », ''Argument'', vol. 8, no 1, automne 2005 - hiver 2006. |
− | CHARLES, Sébastien, ''L’hypermoderne expliqué aux enfants'', Montréal, Liber, 2007. | + | * CHARLES, Sébastien, ''L’hypermoderne expliqué aux enfants'', Montréal, Liber, 2007. |
− | COVA, Bernard et Véronique, « L’hyperconsommateur, entre immersion et sécession », dans Nicole AUBERT, sous dir., ''L’individu hypermoderne'', 2006, ERES, p. 199 à 213. | + | * COVA, Bernard et Véronique, « L’hyperconsommateur, entre immersion et sécession », dans Nicole AUBERT, sous dir., ''L’individu hypermoderne'', 2006, ERES, p. 199 à 213. |
− | DAMON, Julien, ''100 penseurs de la société'', Paris, Presses universitaires de France, coll. « Hors collection », 2006, p. 27. | + | * DAMON, Julien, ''100 penseurs de la société'', Paris, Presses universitaires de France, coll. « Hors collection », 2006, p. 27. |
− | DEBRAY, Régis, ''Vie et mort de l’image. Une histoire du regard en Occident'', Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1993. | + | * DEBRAY, Régis, ''Vie et mort de l’image. Une histoire du regard en Occident'', Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1993. |
− | DJABALLAH, Amar, ''Les paraboles aujourd’hui'', Québec, La Clairière, 1994. | + | * DJABALLAH, Amar, ''Les paraboles aujourd’hui'', Québec, La Clairière, 1994. |
− | ELLUL, Jacques, ''Le Système technicien'', Paris, Calmann-Lévy, 1977. | + | * ELLUL, Jacques, ''Le Système technicien'', Paris, Calmann-Lévy, 1977. |
− | FOURNIER, Français, « Grandeur et misère de la mode », ''Nuit blanche'', no 33, October–November 1988, p. 22 à 25. | + | * FOURNIER, Français, « Grandeur et misère de la mode », ''Nuit blanche'', no 33, October–November 1988, p. 22 à 25. |
− | FRAME, John, « Van Til on Antithesis », ''Westminster Theological Journal'', 57, 1995, p. 81-102. | + | * FRAME, John, « Van Til on Antithesis », ''Westminster Theological Journal'', 57, 1995, p. 81-102. |
− | IMBERT, Yannick, « Apologétique » dans Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, sous dir., ''La foi chrétienne et les défis du monde contemporain'', Charols, Excelsis, 2013. | + | * IMBERT, Yannick, « Apologétique » dans Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, sous dir., ''La foi chrétienne et les défis du monde contemporain'', Charols, Excelsis, 2013. |
− | + | * IMBERT, Yannick, « Amour de Dieu, amour des hommes », ''La Revue réformée'', no 278, 2016/2, avril 2016, tome LXVII. | |
− | JACQUET, Nicolas Bruno, ''Le langage hypermoderne de l’architecture'', Montréal, Parenthèses, 2014. | + | * JACQUET, Nicolas Bruno, ''Le langage hypermoderne de l’architecture'', Montréal, Parenthèses, 2014. |
− | KABACKI, Marie-Lucile et LIPOVETSKY, Gilles. « Gilles Lipovetsky : “nous sommes entrés dans l’ère de l’insécurité” », ''La vie'' [en ligne], 18 mai 2020, http://www.lavie.fr/actualite/societe/gilles-lipovetsky-nous-sommes-entres-dans-l-ere-de-l-insecurite-16-05-2020-106310_7.php, consulté le 29 juillet 2020. | + | * KABACKI, Marie-Lucile et LIPOVETSKY, Gilles. « Gilles Lipovetsky : “nous sommes entrés dans l’ère de l’insécurité” », ''La vie'' [en ligne], 18 mai 2020, http://www.lavie.fr/actualite/societe/gilles-lipovetsky-nous-sommes-entres-dans-l-ere-de-l-insecurite-16-05-2020-106310_7.php, consulté le 29 juillet 2020. |
− | LANGELIER, Nicoas, ''Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles'', Montréal, Boréal, 2010. | + | * LANGELIER, Nicoas, ''Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles'', Montréal, Boréal, 2010. |
− | LIPOVETSKY, Gilles, ''L’Ère du vide, Essai sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 1983. | + | * LIPOVETSKY, Gilles, ''L’Ère du vide, Essai sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 1983. |
− | + | * LIPOVETSKY, Gilles, ''Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation'', Paris, Gallimard, 2006. | |
− | LIPOVETSKY, Gilles et DE GREEF, Dominique, « Le bonheur paradoxal hypermoderne »,''Revue des Deux Mondes'', février 2007, p. 65-70. | + | * LIPOVETSKY, Gilles et DE GREEF, Dominique, « Le bonheur paradoxal hypermoderne »,''Revue des Deux Mondes'', février 2007, p. 65-70. |
− | LIPOVETSKY, Gilles et GODART, Elsa « L’avènement de l’individu hypermoderne », ''Cliniques méditerranéennes'', 2018/2, no 98, p. 7-23. | + | * LIPOVETSKY, Gilles et GODART, Elsa « L’avènement de l’individu hypermoderne », ''Cliniques méditerranéennes'', 2018/2, no 98, p. 7-23. |
− | LIPOVETSKY, Gilles, et RICHARD, Bertrand, ''La société de déception'', Paris, Textuel, coll. « Conversations pour demain », 2006. | + | * LIPOVETSKY, Gilles, et RICHARD, Bertrand, ''La société de déception'', Paris, Textuel, coll. « Conversations pour demain », 2006. |
− | LIPOVETSKY, Gilles et SERROY, Jean, ''L’écran global : Culture-médias et cinéma à l’âge hypermoderne'', 2007. | + | * LIPOVETSKY, Gilles et SERROY, Jean, ''L’écran global : Culture-médias et cinéma à l’âge hypermoderne'', 2007. |
− | + | * LIPOVETSKY, Gilles et SERROY, Jean, ''L’esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste'', Paris, Gallimard, 2013. | |
− | POISSANT, Louise, « Colonies et paysages dans le cyberespace », ''Revue d’esthétique'', Paris, no 39, 2001, p. 49-55. | + | * POISSANT, Louise, « Colonies et paysages dans le cyberespace », ''Revue d’esthétique'', Paris, no 39, 2001, p. 49-55. |
− | LYOTARD, Jean-François, ''La condition postmoderne'', Paris, Les Éditions de Minuit,1979. | + | * LYOTARD, Jean-François, ''La condition postmoderne'', Paris, Les Éditions de Minuit,1979. |
− | MERZEAU, Louise, « Ceci ne tuera pas cela », ''Les Cahiers de médiologie'', no 6, 1998, p. 27-39. | + | * MERZEAU, Louise, « Ceci ne tuera pas cela », ''Les Cahiers de médiologie'', no 6, 1998, p. 27-39. |
− | + | * MERZEAU, Louise, « Une nouvelle feuille de route : de la vidéosphère à l’hypersphère », ''Médium : Transmettre pour Innover'', Babylone, 2007, p. 3-15. | |
− | MERZEAU, Louise, et DEBRAY, Régis, « Médiasphère », ''Médium'', no 4, juillet-septembre 2005. | + | * MERZEAU, Louise, et DEBRAY, Régis, « Médiasphère », ''Médium'', no 4, juillet-septembre 2005. |
− | MORIN, Edgar, ''Pour sortir du | + | * MORIN, Edgar, ''Pour sortir du XX<sup>e</sup> siècle'', Nathan, Paris, 1981. |
− | OTMAN, Gabriel ''Les mots de la cyberculture'', Paris, Belin, 1998. | + | * OTMAN, Gabriel ''Les mots de la cyberculture'', Paris, Belin, 1998. |
− | PAYA, Christophe, « Salut », dans Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, sous dir., ''La foi chrétienne et les défis du monde contemporain'', Charols, Excelsis, 2013. | + | * PAYA, Christophe, « Salut », dans Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, sous dir., ''La foi chrétienne et les défis du monde contemporain'', Charols, Excelsis, 2013. |
− | PETIT, Jean-François PETIT, « De la post-modernité à l’hypermodernité », ''La Croix'', 29 janvier 2004, https://www.la-croix.com/Archives/2004-01-29/De-la-post-modernite-a-l-hypermodernite-NP-2004-01-29-200470. | + | * PETIT, Jean-François PETIT, « De la post-modernité à l’hypermodernité », ''La Croix'', 29 janvier 2004, https://www.la-croix.com/Archives/2004-01-29/De-la-post-modernite-a-l-hypermodernite-NP-2004-01-29-200470. |
− | TASKER, R.V.G, « Espérance », Charols, Excelsis, ''Grand dictionnaire de la Bible'', 3e éd., 2017, p. 553-554. | + | * TASKER, R.V.G, « Espérance », Charols, Excelsis, ''Grand dictionnaire de la Bible'', 3e éd., 2017, p. 553-554. |
− | TAYLOR, Charles, ''Grandeur et misère de la modernité'', Montréal, Bellarmin, 1992. | + | * TAYLOR, Charles, ''Grandeur et misère de la modernité'', Montréal, Bellarmin, 1992. |
− | + | * TAYLOR, Charles, ''Les sources du moi. La formation de l’identité moderne'', Boréal, 1998. | |
− | WELLS, Paul, « Calvin et la postmodernité – Une question d’interprétation », ''La Revue réformée,'' no 226, 2004/1, janvier 2004, tome LV. | + | * WELLS, Paul, « Calvin et la postmodernité – Une question d’interprétation », ''La Revue réformée,'' no 226, 2004/1, janvier 2004, tome LV. |
− | + | * WELLS, Paul, « La liberté de conscience, la Réforme et l'avènement du sécularisme », ''La Revue réformée'', no 283, 2017/4, juillet 2017, tome LXViII |
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Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l'Occident est entré dans une nouvelle crise de la pensée, voire de la civilisation. Il est en effet plus difficile pour les penseurs du début du XXIe siècle de suivre les adeptes de la postmodernité, notamment parce que le relativisme est totalement inapte à condamner le terrorisme islamiste. Aussi, la révolution technologique des réseaux numériques, dès lors que l’on considère son utilisation dans la réaction gouvernementale qui a suivi les événements du 11 septembre, se fait de plus en plus intrusive. Aux États-Unis, avec le Patriot Act, on saute à pied joints dans une société de surveillance. Nous sommes aussi devenus de plus en plus dépendants des nouvelles technologies, comme cela apparaît de manière grossie dans la pandémie de Covid-19. Sur le plan psychologique aussi, l’hédonisme des dernières années s’accompagne d’une anxiété collective. Il apparaît alors de plus en plus clair que le postmodernisme n’aura été qu’une parenthèse au sein de la modernité, comme le romantisme au XIXe siècle. Selon Gilles Lipovetsky, ce serait plutôt l’hypermodernité qui se serait installée, une phase exacerbée de la modernité [1]. Et le postmodernisme aurait lui-même contribué à cette exacerbation qui tend vers la démesure. Afin de mieux comprendre la situation contemporaine, il s'agira de relater le passage de la postmodernité à l'hypermodernité, de décrire l’hypermodernité, et d’y répondre par l’Évangile.
Sommaire
De la postmodernité à l’hypermodernité
La fin des grands récits
La postmodernité, comme son nom le suggère, est une réaction à la modernité. Durant la modernité, la pensée a pris ses distances vis-à-vis de la tradition, en particulier de celle du Moyen-Âge. Le paroxysme de cette prise de distance se produit, à la suite des travaux de René Descartes, à l’époque de ce que l’on appelle les Lumières. Si au sein même de la modernité des voix s'élèvent dès le XIXe siècle qui ne l'acceptent pas telle quelle (nous pensons par exemple au romantisme, dans lequel le sentiment est préféré à la raison, et à Frédéric Nietzsche, qui rejette l'argumentation comme a pu le pratiquer un Hegel), c’est surtout avec les atrocités du XXe siècle, notamment celles des deux Guerres mondiales et du communisme soviétique et chinois, que la faillite de la raison moderne a semblé la plus évidente. C’est alors que la modernité, comme prônant une raison individualisante et un espoir dans le Progrès, a été remise en question de façon plus radicale et plus consciente par les postmodernistes.
Pour définir la postmodernité, le penseur Jean-François Lyotard utilise ce qu’il appelle les métarécits. Pour lui, les métarécits sont tous les discours qui se veulent universels et englobants, c'est-à-dire les discours qui encadrent la pensée et qui tentent d'expliquer le monde selon des universaux. Les métarécits sont donc de grand récits qui sous-entendent ou plutôt qui présupposent la vérité avec un V majuscule. Pour Lyotard, la vérité avec un grand V est dangereuse et totalisante, voire totalitaire. Il faut donc s'en méfier, sinon la rejeter, pour la remplacer par des microrécits, des vérités particulières. Le postmoderne est marqué par cette « incrédulité à l'égard des métarécits »[2].
Or ce qu'il y a d'énormément paradoxal avec cette vision du monde, c'est que le discours postmoderne présuppose lui aussi une vérité absolue : il faut absolument rejeter la vérité absolue. Cette façon relativiste de voir les choses a été très populaire dans les universités au début des années 1980 jusqu'à la fin des années 1990. C’est le grand récit de la fin du siècle, le miroir d’une nouvelle sensibilité sociale, où « les idéologies du progrès, de l’universalisme et de la raison triomphante ont fait place à un hédonisme niais, individualiste, et à une revalorisation du présent dont il convient de jouir autant que possible »[3]. Selon cette sensibilité, ce sont les microrécits du Carpe Diem (« Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain »[4], disait Horace) qui ont la cote. « Contemporain de l’explosion de la société de consommation et de la déroute des grandes utopies politiques, l’individu postmoderne s’occupe d’abord de lui, de son plaisir, de sa santé, de ses loisirs et autres expériences qui lui permettent de “s’éclater”. »[5].
Le début d’une modernité exacerbée
Après avoir popularisé le concept de postmodernité dans L’Ère du vide, en l’associant à ce qu’il nommait l’individualisme postmoderne[6], Gilles Lipovetsky se montre aujourd’hui plus critique à son endroit. Ce changement d’attitude à l’égard de la postmodernité se retrouve dans ses ouvrages plus récents, dans lesquels il ne pense plus que la condition contemporaine soit caractérisée par la pensée postmoderne. Nous serions plutôt entrés dans l’âge hypermoderne, c’est-à-dire dans une modernité exacerbée où les grands principes de la modernité sont accentués, sortent de leurs gonds, se radicalisent.
Le passage de la postmodernité à l’hypermodernité, explique Sébastien Charles, se remarque par trois phénomènes. Premièrement, de plus en plus de penseurs critiquent la postmodernité. En plus de penseurs comme Jürgen Habermas et Paul Ricœur[7], on peut penser à Alex Honneth, Alain Finkielkraut, Frédéric Jameson et Bruno Latour. Deuxièmement, l’« hyper » sert à qualifier de plus en plus de phénomènes : hypersphère, hyperespace, hypersexualisation, hypercommunication, hyperconsommation, hypermondialisation, etc. Troisièmement, un nouveau paradigme de pensée disqualifie le postmoderne et défend l’hypermoderne, pour rendre compte de la situation contemporaine[8].
Les postmodernes, qui pensaient être sortis de la modernité, n’auront finalement contribué qu’à rejeter certains de ses éléments : « La postmodernité, ce n’est pas l’autre ou l’ailleurs de la modernité, c’est simplement la modernité débarrassée des freins institutionnels qui empêchaient les grands principes structurants qui la constituent (l’individualisme, la techno-science, le marché, la démocratie) de se manifester à plein »[9]. Sous cet angle, ce qui est appelé la postmodernité, en tant que réaction au sein même de la modernité, et qui présuppose certaines des valeurs modernes pour s'ériger contre celles-ci, est compris dans la modernité tardive, l’hypermodernité. D’ailleurs, Henri Blocher caractérisait déjà le postmoderne de moderne-post, autrement dit de modernité tardive. Le postmodernisme, malgré que ses adeptes pensaient parvenir à un dépassement, à un au-delà de la modernité, n'aura peut-être alors été que le préambule de l’actuelle exacerbation de la modernité[10]. Car, tandis qu’ils voulaient rejeter les grands récits, ils en reconstruisaient d’autres encore bien modernes, et les grands principes de la modernité prenaient de l’ampleur.
De la vidéosphère à l’hypersphère
Dans le domaine de l’étude de la relation entre technique et culture, les médiologues ont récemment remarqué un changement de médiasphère (« S’entend par ce mot la sphère de circulation des traces et des individus techniquement déterminée par les modes de transport dans l’espace et dans le temps prévalant à un moment donné de l’histoire »[11]). C’est Louise Merzeau qui, la première, a théorisé cette entrée dans la nouvelle médiasphère, qu’elle nomme l’hypersphère. Ce que Régis Debray appelait la vidéosphère, elle le qualifie de préambule à l’hypersphère. Debray appelait en effet vidéosphère la période structurée par le milieu technique dont le médium dominant est la télévision et qui succède à la graphosphère, période structurée par le milieu technique dont le médium dominant est l’imprimerie[12]. Or le milieu technique qui structure la période actuelle n’est plus dominé par le médium télévisuel, mais par Internet. « L’hypersphère se définit [...] par un rééquilibrage des pratiques et des outils autour du modèle de l’hypertexte et du réseau. Son régime est celui de la connexion, de l’interaction et de la dissémination »[13]. De plus en plus de temps est passé dans un milieu éminemment virtuel, c’est-à-dire qui passe par des intermédiaires numériques, avec les nouvelles possibilités et les nouvelles manières de faire que ceux-ci transportent à grande vitesse. Ce qui n’est pas sans affecter les modalités de la transmission, c’est-à-dire de la communication durable. « Car l’hypersphère n’affecte pas que la surface communicationnelle (éphémère et vaine) des réseaux : elle produit aussi de la mémoire, de l’ordre et de l’anticipation »[14].
Ce phénomène, qui concerne plus précisément les médias, participe de ce que Lipovetsky nomme l'hypermodernité. Mais on peut le rattacher encore davantage à l’hypermodernité telle que la définit François Ascher, car celui-ci fait intervenir la métaphore de l’hypertexte[15]. Ascher donne, entre autres, l’image d’une « société “hypertexte” qui permet de cliquer (on peut aussi dire zapper ou switcher) d’une appartenance à une autre. Multiples, elles sont toujours davantage différenciées en termes de comportements et de consommations »[16]. En sommes, il semble que la vidéosphère est à la postmodernité ce que l’hypersphère est à l'hypermodernité.
Les principes de l’hypermodernité
Selon Lipovetsky, l'hypermodernité se caractérise par le plus, par l'excès. Il s'agit d’un aboutissement de la modernité dans la démesure. Pour Sébastien Charles, l’hypermodernité est : « une modernité radicale caractérisée par l’exacerbation et l’intensification de la logique moderne au sein de laquelle les droits de l’homme et la démocratie sont devenus des valeurs incontournables, le marché s’est développé de manière exponentielle, jusqu’à envahir toutes les sphères de l’existence »[17]. À cet égard, les biotechnologies ont joué un rôle déterminant dans les remises en question contemporaines des définitions précédentes de l’humanité[18], de sorte que l’hypermodernité s’accompagne d’une crise de l’identité humaine, voire d’une décadence de la compréhension de l’homme. Tandis que la première modernité s’était construite sur une temporalité du futur, en réaction à la temporalité du passé du Moyen Âge et de l’Antiquité, la modernité tardive s’appuie sur une temporalité du présent[19]. Dans L’hypermoderne expliqué aux enfants, Charles relève que, dans le nouveau régime sociétal, ce sont les principes de la modernité, soit le marché, la démocratie, l’individu, et la technique, qui sont gonflés à bloc[20].
Le marché hypermoderne
En ce qui concerne le marché hypermoderne, ce qui frappe d’abord c’est la dérégulation de son économie. Étant donné que les régulations sociales sont en crise, plusieurs secteurs qui auparavant échappaient au marché, comme l’art, l’école et la culture, entrent désormais dans la logique marchande mondiale. « Désormais, tout se consomme : les biens de consommation, bien sûr, mais aussi, la culture, le temps, les vacances, la famille, l’éthique, la religion et autres spiritualités »[21]. Comme le disait déjà Jean Brun dans Le retour de Dionysos, n’importe quoi est consommé de nos jours : « des valeurs, des idées, des vedettes, des néologismes, du temps, de l'espace, des slogans, des idoles, des modes, des partenaires, des jargons, des best-sellers, des indignations, des révoltes et des révolutions, des marques, des images, des êtres et des ismes de toute nature »[22]. Le marché prend alors de l’expansion dans n’importe quelles sphères. De la sorte, celles-ci se détraditionnalisent et sont soumises au règne du jetable. Le culte du présent qui s’y rattache se manifeste paradigmatiquement dans le fait d’attribuer de la valeur aux choses en vertu de leur nouveauté, et à en accorder moins à ce qui est vieux. De plus, cette consommation se fait désormais à grande échelle et à grande vitesse. En plus d’avoir accès à de nombreux supermarchés et hypermarchés, les hypermodernes peuvent acheter dans l’immédiat grâce aux entreprises de commerce électronique comme Ebay et, à plus grande échelle encore, Amazon.
Dans le capitalisme contemporain, on sacrifie les aspects pistiques, éthiques et esthétiques sur l’autel de l’économie. « Le fonctionnement du monde libéral qui génère plus de profits, d’efficacité et de rationalité semble justifier les craintes de Heidegger qui dénonçait, à propos de la technique »[23]. En considérant la nature que pour s’en servir à des fins profitables, jusqu’à l’exploiter, plutôt que pour la contempler, par exemple, on entre dans la logique de l’économie pour l’économie. Se produit alors « un détournement de son sens au profit d’une “volonté de la volonté”, d’une dynamique de la puissance se nourrissant d’elle-même, sans finalité autre que son propre développement »Ibid.. En conséquence, la vie tend à être modelée par la raison instrumentale. Les relations interpersonnelles sont soumis à l’efficacité, et les personnes objectivées. Les collectivités sont alors blessées « par l’extension du modèle de la consommation à l’ensemble du corps social »[24]. Enfin, même le sens esthétique est instrumentalisé afin de rentabiliser les investissements, souvent au détriment de l’authenticité.
La démocratie hypermoderne
« S’il faut parler d’hypermodernité, c’est aussi parce que les rejets et affrontements radicaux relatifs à la démocratie moderne se sont effacés. Il n’y a plus de refus rédhibitoire de la démocratie libérale »[25]. L’hypermodernité relève en effet du principe moderne de « la valorisation de la démocratie comme seul système politique viable permettant de combiner liberté individuelle et sécurité collective »[26]. Bien qu’elle ne s’applique pas de la même manière partout, la démocratie, considérée comme nécessaire par les hypermodernes, est prise pour acquise et s'inféode au libéralisme économique. Son instrumentalisation est alors accepté, tant que sont préservées la sécurité sociale et les libertés individuelles privées. Ceci conduit à un déclin de la liberté dans la sphère collective, dont en politique, et à une perte du pouvoir citoyen au profil de la bureaucratie[27]. Enfin, la démocratie hypermoderne, est une démocratie dont les règles du jeu passent en grande partie par le numérique. De nouveaux algorithmes qui se nourrissent de l’information que l’on retrouve sur les réseaux sociaux servent désormais d’outils très puissant aux dernières campagnes électorales. Selon les informations recueillies, des agences de communication personnalisent la publicité à des fins politique, en l’inséminant à même le flux d’information du quotidien en ligne.
L’individu hypermoderne
L’individu contemporain verse dans le narcissisme, qui dénature les fondements mêmes de l’individualisme moderne[28], Les sources du moi. La formation de l’identité moderne, Boréal, 1998.. C’est « un individualisme d'un nouveau genre, un hyperindividualisme véritablement paradoxal : davantage d'autonomie de choix mais aussi plus d'assujettissement au monde de la marchandise. Plus de gouvernement de soi mais aussi plus de dépossession de soi (obésité, addiction, fashion victim) »[29]. Dans l’individualisme hypermoderne, « ce qui se déploie n’est autre que l’exacerbation de la dynamique d’individualisation délivrée des dispositifs holistes persistants »[30]. L’autonomisation de l’individu fait que la soumission aux parents, à la religion ou à tout autre hétérodoxie est contredite. C’est ainsi que se généralise la tendance à la sexualisation de l’amour, soit « la vision hyperfestive de l’amour, cette manifestation sentimentale de l’hypermodernité »[31], et que tombent les frontières du genre (transexualité, non-binarité, bispiritualisme, pansexualité, etc.).
Certains pensent que la liberté individuelle est illusoire, puisque que le marché dicte nos décisions, conditionne nos achats, et parce que les appareils économiques et communicationnelles dictent nos comportements, notamment par l’entremise du système de la mode. Mais pour Lipovetsky, il faut reconnaître que l’individu hypermoderne a gagné en autonomie au moins dans la sphère privé[32]. De plus, on ne peut réduire la liberté et l’autonomie à la consommation. Néanmoins, reste qu’il y a aussi une augmentation des addictions et de la dépression. L’autonomie implique aussi la dépossession de l’individu. Ainsi, paradoxalement, s’il a beaucoup de libertés en régime hypermoderne, il y a, en même temps, perte dans le domaine des choses essentielles, car le monde reste désenchanté.
L’hédonisme postmoderne est relativisé par l’inquiétude hypermoderne[33]. « Les temps ont changé : l’individu jouissif de la postmodernité est devenu plus anxieux. Au désir d’affranchissement de toutes les normes succèdent la demande généralisée de protection, l’obsession de la santé, l‘inquiétude vis-à-vis du futur. Et pourtant nous n’avons jamais autant été dans “l’hyper” : hyperpuissance américaine, hyperconsommation, hypernarcissime de l’individu performant, flexible, pragmatique »[34]. L’individu hypermoderne est régi par la peur. D’où le besoin qu’il se crée de posséder des biens matériels à la manière d’une autothérapie. Il consomme pour se divertir, dans le but d’oublier ses inquiétudes. Cette insécurité typique de la situation hypermoderne est liée à l’instabilité familiale, aux nouvelles technologies de l’information, à l’économie dérégulée[35], et au désenchantement du monde. « L’hypermodernisme produit la fin de la raison et de la conscience historique, ainsi que le sentiment d’être sans racines et sans but. Un aveuglement moral généralisé a pour corollaire l’absence de compassion dans les sociétés libérales progressistes. Le passé, et Dieu en tant que chose du passé, est devenu non pertinent, et on réécrit l’histoire de l’Occident en gommant les détails qui dérangent »[36]. Pour Lipovetsky, les solutions au problème de l’insécurité généralisée de notre époque se trouvent, d’une part, du côté de l’éducation, parce que celle-ci permet de fournir des réponses intelligentes aux défis de notre époque, et, d’autre part, du côté de la foi, afin que les gens puissent être mieux équipés.
La technique hypermoderne
La technique hypermoderne relève de la raison instrumentale, que Charles Taylor définit comme « rationalité que nous utilisons lorsque nous évaluons les moyens les plus simples de parvenir à une fin donnée »[37], et dont « l'efficacité maximale, la plus grande productivité mesure sa réussite »[38]. Comme le marché, la raison instrumentale s’est incrustée dans toutes les sphères de l’existence, jusque dans les relations familiales. Et elle n’est plus soumise à une éthique chrétienne, comme auparavant, mais génère sa propre éthique, l’éthique de l’efficacité et de l’instrumentalisation des autres et de soi. « Aux techniques régulées communautairement par le monde de la religion ont succédées les médications diversifiées et dérégulées de l’univers individualiste en libre-service »[39].
L’hypermodernité est aussi synonyme d’un regain de confiance dans la technologie : nanotechnologies, conquête de l’espace, thérapie génique, transformation des espèces, etc. Dans le régime actuel, « on cherche moins à critiquer la science et la technique comme les responsables indirects des grandes catastrophes du XXème siècle et comme l’origine véritable de l’aliénation généralisée de l’humanité moderne »[40], contrairement au postmodernisme. Bien au contraire, « science et technique redeviennent des symboles de progrès et des promesses d’avenir meilleur (la recherche médicale trouvera des vaccins, la recherche en physique nucléaire trouvera des nouvelles énergies “propres”, etc.) »[41]. Dans la vie de tous les jours, la technique est omniprésente et se présente sous de multiples visages. Ce qui est le plus visible, ce sont les téléphones intelligents. L’information circule très rapidement via d’importantes structures de télécommunication. Des algorithmes filtrent et sélectionnent les informations pour les individus. Cette prolifération des technologies conduit plusieurs auteurs à parler de notre monde comme d’un cybermonde[42].
La société hypermoderne
La société hypermoderne se construit selon les principes mercantile, démocratique, individuel et technique que nous venons de décrire, notamment ceux de l’hypertexte, côté technique[43]. En plus d’être en effet une société dans laquelle tout devient marchandisable, démocratisable, individualisable et technicisable, c’est un monde où tout est susceptible d’être communiqué, consommé et mondialisé à la manière relativiste du World Wide Web : « anyone can say anything about any topic ». Ces principes ne sont pas sans transformer la communication, la consommation et la mondialisation. Comme nous allons maintenant le voir, dans l'hypermodernité, la consommation devient alors hyperconsommation, la communication hypercommunication, et la mondialisation hypermondialisation.
L’hypercommunication
Si la communication contemporaine est une hypercommunication, c’est surtout parce qu’elle s’articule autour d’Internet, qui en est le médium dominant. « Notre espace quotidien semble maintenant doté d’un “halo virtuel” tissé de circuits numériques et d’ondes invisibles qui mettent en échec les distances et le temps tels que nous les concevions »[44]. De nombreux domaines se font désormais en ligne, à distance (téléchirurgie, voiture automatique, streaming, etc.). L’internet des objets s’en vient. Et les gens passent de plus en plus de temps en ligne, sur leurs appareils électroniques. L’omniprésence de ces dispositifs témoigne visiblement d’un régime intense de communication dématérialisée et décorporalisée. L’intensité de la communication est telle qu’elle engendre des problèmes de surinformation, sans parler des effets pervers de la socialisation médiatisée par les réseaux sociaux. « L’excès d'information étouffe l’information quand nous sommes soumis au déferlement ininterrompu d’événements sur lesquels on ne peut méditer parce qu’ils sont aussitôt chassés par d’autres événements »[45].
L’hyperconsommation
La société hypermoderne est aussi une société d'hyperconsommation. L’économie mondiale change, dans laquelle la rationalité instrumentale colonise le domaine de la créativité d’une nouvelle manière[46], où règne l’expérience émotionnelle de la consommation[47]. « Ce qui gouverne la marche du capitalisme d’hyperconsommation, c’est le renouvellement perpétuel de l’offre, la prolifération de la variété, l’exacerbation de la différenciation marginale des produits »[48]. Trois traits sont caractéristiques de la société d’hyperconsommation[49]:
1) Les gens ne consomment plus d’abord pour le standing social, pour se démarquer des autres. Le pourquoi de la consommation n’est désormais plus fondamentalement lié aux besoins affectifs des consommateurs. Ceux-ci achètent pour se faire plaisir. Cette relation hédoniste aux biens de consommation témoigne d’un vide à combler, d’un souci à oublier, d’un abandon à la volupté. Autrement dit, le règne du divertissement est total. On achète pour se divertir. La consommation a une « fonction thérapeutique »[50].
2) La consommation ne relève plus des « anciennes cultures de classe »[51], ce qui rend le consommateur imprévisible.
3) « [L]a nouvelle société est celle où n'existent plus de réels obstacles ou contre-pouvoirs institutionnalisés à l'ordre de la consommation : les valeurs consuméristes ont pénétré et restructuré tous les groupes sociaux »[52]. Toutes les sphères sont touchées.
L’hypermondialisation
L’hypermondialisation, c’est la mise en réseau du monde, du « village global » sur le World Wide Web. Dans les faits, c’est la réseautique qui transforme le monde en un grand village, aussi balkanisé soit-il. Le phénomène renvoie à l'accessibilité à de l’information collectée en temps réel à des millions d’endroits sur la planète : météo, bourse, trafic, etc. La terre entière est explorable par des images satellites, tandis qu’on peut virtuellement circuler sur presque toutes les routes du monde. Aussi, la plupart des langues sont traduites en ligne en un seul clic par divers logiciels. Tout cela a pour effet de modifier le rapport qu’entretiennent les humains avec la planète, comme on le voit dans les formes actuelles de tourisme ou d’écologisme. Des endroits isolés se font envahir par des hordes de touristes voulant se faire prendre en photo de la même manière que leur influenceur préféré dont ils ont vu l’image sur les réseaux sociaux. On assiste aussi à une prise de conscience et d’engagement de l’urgence d’agir concernant l’environnement, notamment chez les jeunes.
La culture hypermoderne
Les expressions culturelles hypermodernes semblent poursuivent radicalement celles du modernisme et être fortement tributaires des nouveaux médias. Pour en prendre la mesure, nous ferons un tour d’horizon de la culture hypermoderne dans ce qu’elle a de plus remarquable : l’architecture hypermoderne, ainsi que l'hyperespace et la cyberculture. Puis, nous verrons la culture hypermoderne comme décadence civilisationnelle.
L’architecture hypermoderne
Nicolas Bruno Jacquet, dans Le langage hypermoderne de l’architecture, décrit sept stratégies qu’utilisent les architectes hypermodernes pour « rompre avec le style tout en restant moderne ». L’hypermodernisme s’autorise des revisites du passé, même récent, mais en en exagérant les traits. En ce sens, il a intégré l’historicisme postmoderniste. La rupture stylistique de l’hypermodernisme s’opère par des interventions de l’architecte au niveau de sept dimensions architecturales. Premièrement, le plan est impliqué dans une « déconnection génératrice ». Dans certains cas, « le plan est difficilement appréhensible, comme déconnecté du corps global du bâtiment saisissable, afin de créer une tension architecturée de l’intériorité »[53]. La New Kyoto Town House d’Alphaville en est un bon exemple. Deuxièmement, l’enveloppe est librement dégradée, de sorte que la partie visible du bâtiment apparaît souvent hypertrophiée. Troisièmement, le volume est plastiquement surnaturalisé. « La transfiguration sculpturale hypermoderne du volume aspire à la projeter dans un espace aux coordonnées dérégulées, avec pour but de dynamiser l’apparence, quitte à refermer quelque peu la boîte sur elle-même pour produire les effets graphiques les plus saisissants »[54]. La toiture de l’église Martin-Luther (2008-2010, Coop Himmelb(l)au, Hainburg, Autriche), est à cet égard paradigmatique. Quatrièmement, la surface devient tantôt immatérielle tantôt le symbole de jeux mathématiques, comme dans Klein Bottle House, de McBride Charles Ryan, construite en 2008 dans la péninsule de Mornington, en Australie. Cinquièmement, il s’établit un rapport de combinaison et d’interpénétration avec le milieu. Ce peut être l’extérieur qui entre à l’intérieur, par exemple. Sixièmement, la forme est l’expression d’une esthétique conceptuelle. Septièmement et dernièrement, la technicité atteint un degré de virtuosité dans la démonstration de prouesse.
Hyperespace et cyberculture
L’hyperespace ou cyberespace, c’est-à-dire « l’espace virtuel constitué par les réseaux informatiques de type Internet et les ordinateurs qu’ils relient entre eux »[55], a fait émerger la cyberculture, soit l’« ensemble des techniques matérielles et intellectuelles, des pratiques, des modes de pensée et des valeurs qui se développent sur Internet »[56]. Internet permet une certaine ubiquité communicationnelle, mais il implique aussi un rapport à la mémoire qui relève, sur le mode de l’algorithme, plus d’une heuristique du référencement, au sens informatique du terme, que des institutions académiques ou de la bibliothéconomie traditionnelle. La cyberculture se construit en réseau : elle développe de nouveaux codes humoristiques (les mèmes, « concept (texte, image, vidéo) massivement repris, décliné et détourné sur Internet de manière souvent parodique, qui se répand très vite, créant ainsi le buzz »[57] et de nouvelles pratiques artistiques, comme en témoigne les travaux des pionniers de l’art en ligne Eva et Franco Mattes ou les sites web interactifs de Rafaël Rozendaal.
L’hyperespace, et les techniques qu’il implique, se systématise en cybermonde ou hypermilieu, au point où nous pouvons visiblement parler, en réactualisant les thèses de Jacques Ellul, de système hypertechnicien[58]. Les individus sont en effet de plus en plus subordonnés aux nouvelles technologies qui les enferment dans un écosystème technoscientifique, et sont submergés par elles : « après le sublime de la nature, nous entrons dans le règne du sublime technologique »[59]. Les internautes sont placés devant des labyrinthes d’hypertextes, des abîmes d’informations. « Pour Mario Costa, le sujet se noie non plus seulement dans l’immensité du réel, mais également dans l’infini immatériel du réseau, dans un non-paysage du trop-plein, de trop grands et trop nombreux possibles »[60]. Dans l’hypersphère, la vie communautaire se concrétise par un mode écranique d’apparition et une modalité « virtuelle » de communication - voire de communion -, qui déterritorialise l’individu. La téléprésence est de plus en plus intégrée dans les milieux du travail, des loisirs, de l’éducation, mais aussi de la religion et de la sexualité. Lipovetsky et Serroy, dans L’écran global, parlent d’ailleurs d’« écranosphère », d’« état écranique » et même d’« homo ecranis »[61] pour qualifier cette tendance. Aussi, l'accessibilité des images pornographiques amplifie le phénomène de l’hypersexualisation, dont sont aussi responsables le système de la mode, la publicité, les médias[62].
Une décadence civilisationnelle
Blocher parle de notre culture, après Régis Debray, comme décadente. Il y a quelque chose dans notre civilisation qui ressemble en effet à la décadence de Rome. Plusieurs auteurs ont remarqué la similitude, dont Régis Debray : « Gigantisme des villes; inflation du divertissement, passion des jeux et des spectacles, culte des histrions et des gladiateurs ; fusion des univers masculin et féminin, promotion de l'intersexe; développement d'une érudition compilatoire en boucle, promotion de l'intertexte ; personnalisation de l'animal domestique; adoration abêtissante de l'enfance; frénésie du nouveau, du mouvement, du « ça bouge» ; érotisme omniprésent; effusions cosmologiques »[63]. Pierre Chaunu a consacré un ouvrage entier à la question de la décadence dans les années 1980, intitulé Histoire et décadence. Il pointe du doigt le bien plus grand mal de l’humanité auquel renvoie la décadence, celle que notre société évite d’adresser, la mort. Il encourage ses contemporains à prendre conscience de l'urgence de la situation, car le temps est proche où, parce que trop obnubilés par le présent, il leur manquera la profondeur historique nécessaire pour voir de la décadence civilisationnelle, afin de réagir à temps. Dans notre « post-postmodernité », le danger est bien menaçant d’une perte de capacité à voir la décadence, et que l’absence de sensibilité au regard des réalités dernières nous empêche de nous tourner vers des décisions individuelles et collectives responsables face à la décadence de notre civilisation.
Évangile et hypermodernité
Un roman-essai assez cynique de Nicolas Langelier qui s’intitule Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles[64] est paru en 2010. Dans ce livre qui exprime assez bien l’anxiété de notre époque, beaucoup de questions sont posées, mais peu sont résolues. Il a néanmoins le mérite de faire prendre conscience aux hypermodernes de la perte de transcendance (et, du même coup, de sens) qui caractérise leur culture et de la nécessité d’un arrêt, sinon d’un recul, face à la vie qu’elle encourage. Comme nous l’avons vu, la situation contemporaine crée un climat d’insécurité qui, selon Lipovetsky, peut être adressé par la foi. Nous croyons aussi qu’elle est nécessaire, mais aussi que la seule foi vérifiable est celle de la Bonne nouvelle[65] qui a été proclamée avec puissance au premier siècle de notre ère. Toutefois, pour que les hypermodernes puissent y entrer, il faut que la proclamation de l’Évangile soit faite dans un langage compréhensible aujourd’hui, quitte à se servir, lorsque la situation le recommande, d’un langage parabolique. Afin d’introduire les hypermodernes à la Bonne nouvelle , nous avons justement choisi de partir d’une allégorie[66]. Par la suite, nous situerons brièvement la proclamation évangélique. Puis nous discuterons de l'espérance chrétienne. Notre intention est d’initier une remise en question et, nous l’espérons, une réponse de foi appropriée.
L'allégorie de l’œuvre
Nous vivons dans l’œuvre du plus grand des créateurs : le Créateur des créateurs. Lorsqu’il a créé son œuvre, il a dit qu’elle était très bien faite. Personnages de l’œuvre, nous en faisons partie d’une manière toute spéciale : nous avons été créés en image de l’Artiste de ce magnum opus créé à partir d’aucune matière première. De la sorte, l’Artiste nous a établi pour manifester sa gloire avec imagination et en conformité avec son intention. En faisant partie de l’œuvre, que nous habitons, nous sommes appelés à la conserver, en en prenant soin et en participant à son enrichissement. Le langage nous sert à nommer, avec imagination et organisation, ce que nous découvrons. Lorsque nous nous arrêtons pour prendre le temps de contempler l’œuvre, il nous est possible d’admirer la gloire de l’Artiste. Initialement, il nous était même toujours donné de l’interpréter adéquatement et d’en faire l’expérience de la manière voulue par l’Artiste.
À un certain moment, l’une des figures de l’œuvre s’est acharnée à décréer l’œuvre. Ce décréateur et désœuvreur nous fit même devenir des décréateurs et désœuvreurs à notre tour. Ainsi, au lieu d’habiter l’œuvre de manière à la conserver, nous nous sommes mis à rendre laid ce qui était beau. Bien que l’Artiste fait en sorte que son œuvre ne soit pas complètement effacée, toutes les dimensions ont été abîmées, soumises à la désoeuvrance. Aujourd’hui, bien que nous continuons de voir que nous avons à faire à un chef-d’œuvre, nous voyons aussi qu’il a été vandalisé. De plus, tous les nouveaux personnages naissent décrétateurs, et ceux qui tentent de restaurer le chef-d’œuvre par leurs propres moyens font pire[67].
Suite à la désoeuvrance initiale, l’Artiste annonça qu’il écrivait un récit dans le récit, une œuvre dans l’œuvre, et qu’un personnage principal viendrait contrecarrer la désoeuvrance. Cette quête, seul l’Artiste pouvait la mener à bien. C’est donc l’Artiste lui-même qui se fit le personnage principal de son œuvre, venant habiter parmi les autres personnages. Lorsque que le héro vint, les opposants cherchèrent à le faire sortir de l’œuvre, en le tuant, ce qu’ils ne parvinrent à faire que parce que le héro donna sa vie. Mais l’Artiste le fit revivre. L’œuvre dans l’œuvre que le personnage principal accomplit ainsi en venant parmi les personnages, il la réalisa pour que ceux qui le reçoivent, ainsi que son œuvre nouvelle, ne soient plus sous l’emprise de la désoeuvrance, mais qu’ils fassent plutôt partie de la réœuvrance. C’était la seule manière de passer d’opposants à adjuvants. Les personnages qui bénéficièrent de ce passage se réjouirent d’entrer dans ce que l’Artiste avait commencé à recréer au sein même de l’œuvre ancienne, sur la base de la quête accomplie par le personnage principal. Ces personnages passaient de la désoeuvrance à la réoeuvrance : ils étaient fait participants, en relation avec le personnage principal, de la deuxième œuvre, qui un jour sera pleinement achevée. Pour les décréateurs, les désœuvreurs, ils seront bientôt et à jamais décréés et désœuvrés.
Le kérygme aujourd’hui
La Bible, dont nous venons de tenter de traduire, sous forme d’allégorie, le leitmotiv (ou motif biblique fondamental), propose une vision du monde cohérente, bien au-delà de celles de la modernité ou de l’hypermodernité, à laquelle se rattache le kérygme, l’annonce et la transmission de l’Évangile. « Par son adéquation avec la réalité, passée, présente et à venir, [cette vision du monde] maintient, à leur juste place, le Créateur, la création, l’homme, la nature et l’histoire et elle présente une cohérence qui satisfait les besoins aussi bien de la raison que des sentiments »[68]. Cette vision du monde est bien différente que celle de l’hypermodernité, en ce qu’elle répond de manière définitive au grand problème de l’humanité. « Dans la logique des écrits bibliques, s’il y a nécessité de salut, c’est qu’il y a problème. Le salut est la solution divine au problème humain qui est décrit dès les premières pages de la Bible et dont l’ombre plane sur tout ce qui suit ». Ne pas recevoir la seule réponse biblique, c’est donc rester prisonnier à ce problème. Devant l’absence de réponse valable à cette question de vie ou de mort de la part d’une société qui a abandonné les grands récits, les hypermodernes ont besoin d’entendre ou de réentendre la voix du Seigneur, par la proclamation de l’Évangile, et de venir à lui, au moyen de la foi que Dieu donne en Jésus-Christ. Mais, comme les chrétiens, ils n’ont que faire de la foi en un dieu mort, une idole dont Nietzsche a bien fait d’organiser les funérailles. La seule foi véritable, qui ne soit donc pas un « opium du peuple », est celle dans le Dieu vivant. C’est pourquoi nous sommes persuadés que la seule réponse valable pour aujourd’hui, comme à toute époque, est la Bonne nouvelle.
Dans la vision biblique des choses, l’univers est la création d’un Dieu souverainement bon, contre lequel les humains se sont rebellés. lls se sont livrés à la désobéissance, au péché, et ainsi à la mort (physique et spirituelle), qui en est la conséquence. Mais, c’est en venant lui-même à leur secours que le Créateur rachète ceux qui lui appartiennent. En effet, au début de notre ère, Jésus, Dieu fait homme, est venu délivrer l’humanité du péché. Pour payer la dette infinie que nous avons tous envers Dieu, et qui mérite un châtiment éternel, il s’est offert lui-même en sacrifice. Bien que tout-puissant, il a laissé les Romains le crucifier à la demande des autorités juives. Mais Dieu le Père l’a ressuscité le troisième jour. Après sa mort et sa résurrection, il « est apparu à Pierre, puis aux Douze. Puis, comme l’affirme Paul dans la Première épître aux Corinthiens, « il a été vu par plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore aujourd'hui quelques-uns d'entre eux seulement sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. En tout dernier lieu, il m'est apparu à moi, comme à celui qui suis venu après coup » (15.5-8).
Après la résurrection de Jésus, les apôtres, remplis du Saint-Esprit, ont alors proclamé l’« Évangile du salut » (Ep 1.13)[69]. Cette Bonne nouvelle salutaire parle de la puissance de l’intervention divine que Dieu opère en Jésus-Christ pour sauver le peuple qu’il se constitue à partir de gens de toutes nations. Elle est un appel à entrer en relation avec celui qui est mort pour payer la dette de notre crime contre la Divinité, et qui est revenu à la vie, parce qu’il est la vie, afin d’être réconcilié avec Dieu. Comme le dit l’apôtre Paul : « C'est par elle que vous êtes sauvés si vous la retenez telle que je vous l'ai annoncée ; autrement vous auriez cru en vain » (1 Co 15.2).
Cet Évangile, qui n’est pas restreint à une époque, doit être proclamé de nos jours. Il peut l’être, entre autres, par les moyens de transmission contemporains, afin de rejoindre les gens là où ils sont. Si Paul s’est servi du lieu de communication des Athéniens, pourquoi ne pas utiliser ceux des hypermodernes ? Mais l’Évangile doit être transmis telle qu’il a été annoncé par les apôtres, et que ce soit fait avec sagesse. Paul dit aux Corinthiens : « Je vous ai transmis, comme un enseignement de première importance, ce que j'avais moi-même reçu » (1 Co 15.3). Lorsqu’il s’est rendu à Athènes, il n’a pas improvisé un discours sans connaissance préalable de la culture à laquelle il s’adressait. De même, il faut être conscient qu’un médium n’est pas neutre quant à son message[70] : une lettre n’est pas reçue de la même manière qu’un courriel, il faut traduire le message en conséquence. Quand on communique l’Évangile avec un moyen de communication contemporain, que ce soit le film ou la bande-dessinée, trois exigences fondamentales s’imposent, comme l’indique Amar Djaballah : 1) il est essentiel de rester fidèle aux Écritures ; 2) il faut que le « moyen utilisé soit approprié à la fonction de médiation du message du Règne de Dieu »[71] ; 3) « le genre utilisé devrait être assez bien compris et apprécié par les communautés auxquelles il s’adresse »[72].
La transmission de l’Évangile exige, pour celui qui reçoit, une donation de tout son être au service du Seigneur Jésus-Christ. C’est pourquoi le croyant est appelé à suivre Jésus comme disciple, et à faire d’autres disciples. Les disciples doivent comprendre que la Seigneurie de Dieu implique chaque dimension de l’être. « La vie chrétienne est, à proprement parler, holistique car la foi introduit un renouvellement global de la personne. Ce [...] point ne sera jamais assez souligné car, dans une société hypermoderne, il est relativement aisé de séparer la foi de toute autre demain de la vie humaine »[73]. Ainsi, on ne doit pas séparer le témoignage de la défense de la foi, le dire de l’action[[74].
L'espérance chrétienne
L’engagement fidèle envers Dieu implique l’espérance du retour de Jésus-Christ. « L'espérance peut prévoir bien des choses, mais en tout premier lieu l’intéresse la présence, la Venue du Seigneur Jésus-Christ »[75]. Après sa résurrection, le Ressuscité s’est montré à ses disciples et est retourné auprès de Dieu : « il fut élevé pendant qu'ils le regardaient, et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils avaient les regards fixés vers le ciel pendant qu'il s'en allait, voici, deux hommes vêtus de blanc leur apparurent, et dirent: Hommes Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l'avez vu allant au ciel » (Ac 1.9-11). Cette venue sera personnelle, visible et soudaine[76]. Et tandis que pour les injustes ce sera les gémissements de la fin - car justice sera faite - pour les justes ce sera le moment de grandes réjouissances, car ils verront le Vainqueur de la mort.
Pour comprendre ces choses, il faut croire, comme le disait saint Augustin. Ce n’est pas que la croyance soit irrationnelle, bien au contraire. Mais on ne peut connaître quelqu’un que l’on refuse de rencontrer. De même qu’il est nécessaire que les yeux de l’aveugle soient ouverts pour qu’il voit, le Seigneur doit ouvrir les yeux de l’intelligence de l’homme pour qu’il voit la vérité, et les oreilles de son entendement pour qu’il l’entende. Ces choses ne sont pas contre la raison. D’ailleurs Jésus, les Apôtres et les Pères de l’Église ont tous produit des discours raisonnables et rationnels lorsqu’ils ont parlé de leur espérance. Dans l’attente du Seigneur, les chrétiens sont appelés, en tant que témoins du Christ vivant, à faire œuvre d’apologie : « Soyez toujours prêts à défendre l’espérance qui est en vous, devant tous ceux qui vous en demandent raison » (1 Pi 3.15).
L’espérance telle que la Bible la définit n’est pas un sentiment ayant une dimension incertaine, voire illusoire. Elle se rattache à la foi dont Dieu est le garant. Elle est fondée, parce que Dieu réalise assurément ses promesses, comme il l’a prouvé par le passé[77]. Avec puissance, Dieu a ultimement prouvé sa fidélité dans l’œuvre de Jésus : « le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures ; il a été mis au tombeau, il est ressuscité le troisième jour, comme l'avaient annoncé les Écritures » (1 Co 15.3-4). Or, malgré la richesse, le confort et le divertissement, les hypermodernes restent inquiets et anxieux, car étant sans le vrai Dieu, ils n’ont pas d’espérance (Ep 2.11-12). Pour avoir part à l’espérance, ils doivent se tourner vers Celui qui fait grâce à qui il veut faire grâce, et qui a compassion de qui il veut avoir compassion (Rm 9.15). Le seul médiateur entre Dieu et les hommes c’est celui qui est venu pour nous réconcilier avec Dieu, alors que nous étions en guerre contre le Créateur par notre péché. C’est Jésus-Christ, celui qui dans l’histoire fait en sorte qu’il y ait un avant et un après, comme nos calendriers le soulignent à juste titre ! Par son sang, nous pouvons être en paix et obéir à la parole suivante : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? » (Mt 6.25).
Conclusion
L’hypermodernité se définit comme modernité exacerbée, comme époque historique dont le milieu technique et culturel est sous l’égide des technologies numériques, des réseaux Internet. La postmodernité en est le prélude, car elle a contribué à faire sortir la modernité de ses gonds, en abandonnant les grands récits traditionnels, pour les remplacer par d’autres plus relativistes. Les grands principes modernes que sont le marché, la démocratie, l’individu et la technique ont alors pris de l'expansion dans de nouvelles sphères de la vie, et ont gagné en puissance grâce à Internet. Ces principes ont d’ailleurs eu un impact majeur sur la société au plan de la communication, la consommation et la mondialisation : les trois se sont dématérialisées et ont atteint des proportions extravagantes. En témoigne la culture hypermoderne, dont l’architecture est une assez heureuse démonstration, de même que l’hyperespace et la cyberculture, qui impliquent des défis plus grands. Tandis que leur civilisation est engagée dans un processus de décadence, les hypermodernes sont appelés à changer de perspective et à se tourner vers celui que nous avons allégoriquement nommé l’Artiste, et à suivre les instructions de son œuvre et de son œuvre dans l’œuvre. Autrement dit, les hypermodernes doivent écouter, au sens biblique d’entendre et d’obéir, le kérygme, la proclamation de l’Évangile, afin d’entrer dans l'espérance chrétienne par la foi dans le Ressuscité. Nous pensons que seul un retour authentique vers l’Évangile est susceptible d’enclencher une réformation constructive de notre civilisation, le surgissement d’une espérance vivante, bien au-delà des choses matérielles.
Notes et références
- ↑ Il est toutefois à noter que toute étude de l’hypermodernité reste provisoire, car nous n'avons pas encore le recul nécessaire pour qualifier exactement l’ère dans laquelle nous sommes.
- ↑ Jean-François LYOTARD, La condition postmoderne, Paris, Les Éditions de Minuit,1979, p. 7.
- ↑ Vincent CITOT, « Les Temps hypermodernes, de Gilles Lipovetsky », Le philosophoire, 2004, vol. 22, no 1, p. 184-188.
- ↑ HORACE, Odes, I, 11, 8.
- ↑ Vincent CITOT, op. cit.
- ↑ Gilles LIPOVETSKY, L’Ère du vide, Essai sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 1983.
- ↑ En particulier dans Paul RICŒUR, L’histoire, la mémoire et l’oubli, Paris, Seuil, coll. « Points », 2000.
- ↑ Sébastien CHARLES, « De la postmodernité à l’hypermodernité », Argument, vol. 8, no 1, automne 2005-hiver 2006.
- ↑ Ibid.
- ↑ Cela dit, il reste encore beaucoup d’adeptes du postmodernisme, surtout en Amérique du Nord.
- ↑ Louise MERZEAU et Régis DEBRAY, « Médiasphère », Médium, no 4, juillet-septembre 2005.
- ↑ Régis DEBRAY, Vie et mort de l’image. Une histoire du regard en Occident, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1993.
- ↑ Louise MERZEAU, « Ceci ne tuera pas cela », Les Cahiers de médiologie, no 6, 1998, p. 27-39.
- ↑ Louise MERZEAU, « Une nouvelle feuille de route : de la vidéosphère à l’hypersphère », Médium : Transmettre pour Innover, Babylone, 2007, p. 3-15.
- ↑ François ASCHER, La société hypermoderne : ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, coll. « Monde en cours », 2005.
- ↑ Julien DAMON, 100 penseurs de la société, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Hors collection », 2006, p. 27.
- ↑ Sébastien CHARLES, op. cit.
- ↑ Ibid.
- ↑ Gilles LIPOVETSKY, op. cit.
- ↑ Sébastien, CHARLES, L’hypermoderne expliqué aux enfants, Montréal, Liber, 2007.
- ↑ Vincent CICOT, op. cit., p. 185.
- ↑ Jean BRUN, Le retour de Dionysos, Tournai, Desclée, 1969, p. 209.
- ↑ Sébastien CHARLES, op. cit.
- ↑ Vincent GITOT, op. cit. p. 185.
- ↑ Gilles LIPOVETSKY et Elsa GODART, « L’avènement de l’individu hypermoderne », Cliniques méditerranéennes, 2018/2, no 98, p. 7-23.
- ↑ Sébastien CHARLES, ibid.
- ↑ Charles TAYLOR, Grandeur et misère de la modernité, Montréal, Bellarmin, 1992.
- ↑ Idem.
- ↑ Gilles LOPOVETSKY et Dominique DE GREEF, « Le bonheur paradoxal hypermoderne », Revue des Deux Mondes, février 2007, p. 65-70.
- ↑ Gilles LIPOVETSKY, avec Elsa GODART, op. cit.
- ↑ Yannick IMBERT, « Amour de Dieu, amour des hommes », La Revue réformée, no 278, 2016/2, avril 2016, tome LXVII.
- ↑ Gilles LIPOVETSKY et Dominique DE GREEF, op. cit.
- ↑ Sébastien CHARLES, op. cit.
- ↑ Jean-François PETIT, « De la post-modernité à l’hypermodernité », La Croix, 29 janvier 2004, , https://www.la-croix.com/Archives/2004-01-29/De-la-post-modernite-a-l-hypermodernite-NP-2004-01-29-200470, consulté le 1 août 2020.
- ↑ « [...] inquiétude liée à la mondialisation, insécurité liée à l'immigration et au climat, insécurité alimentaire - alimentation elle est devenue anxiogène - insécurité liée à la situation économique, chômage, enfants - on dit que nos enfants vivront pire que nous! Nous sommes dans un état généralisée, dont le populisme est l'expression » (Marie-Lucile KABACKI et Gilles LIPOVETSKY, « Gilles Lipovetsky : “nous sommes entrés dans l’ère de l’insécurité” », La vie [en ligne], 18 mai 2020 http://www.lavie.fr/actualite/societe/gilles-lipovetsky-nous-sommes-entres-dans-l-ere-de-l-insecurite-16-05-2020-106310_7.php, consulté le 29 juillet 2020).
- ↑ Paul WELLS, « La liberté de conscience, la Réforme et l'avènement du sécularisme », La Revue réformée, No 283, 2017/4, juillet 2017, tome LXViII
- ↑ Charles TAYLOR, Grandeur et misère de la modernité, op. cit., p. 15.
- ↑ 'Ibid.
- ↑ Gilles LIPOVETSKY et Bertrand RICHARD, La société de déception, Paris, Textuel, coll. « Conversations pour demain », 2006.
- ↑ Vincent CITOT, op. cit., p. 186.
- ↑ Ibid.
- ↑ Gabriel OTMAN, Les mots de la cyberculture, Paris, Belin, 1998, p. 106.
- ↑ François ASCHER, op. cit.
- ↑ Marjolaine ARPIN, « La démesure miniaturisée », Esse, no 70, automne 2010. Pour la notion de « halo virtuel », voir Louis POISSANT, « Colonies et paysages dans le cyberespace », Revue d’esthétique, Paris, no 39, 2001, p. 49-55.
- ↑ Edgar MORIN, Pour sortir du XXe siècle, Nathan, Paris, 1981, p. 26.
- ↑ Gilles LIPOVETSKY et Jean SERROY, L’esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste, Paris, Gallimard, 2013, p. 12.
- ↑ Bernard et Véronique COVA, « L’hyperconsommateur, entre immersion et sécession », dans Nicole AUBERT, sous dir., L’individu hypermoderne, 2006, ERES, p. 199 à 213.
- ↑ Ibid., p. 235.
- ↑ Gilles LIPOVETSKY, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation, Paris, Gallimard, 2006 ; Gilles LOPOVETSKY et Dominique DE GREEF, op. cit.
- ↑ Ibid.
- ↑ Ibid.
- ↑ Ibid.
- ↑ Nicolas Bruno JACQUET, Le langage hypermoderne de l’architecture, Montréal, Parenthèses, 2014, p. 91.
- ↑ Ibid., p. 115.
- ↑ Gabriel OTMANN, op. cit., p. 103.
- ↑ Dictionnaire Cordial.
- ↑ LAROUSSE. Le mot n’est pas encore dans Le Robert.
- ↑ Jacques ELLUL, Le Système technicien, Paris, Calmann-Lévy, 1977.
- ↑ Marjolaine ARPIN, ibid., Mario COSTA, « Paysages du sublime », Revue d’esthétique, Paris, no 39, 2001, p. 125-133.
- ↑ Ibid.
- ↑ Gilles LIPOVETSKY et Jean SERROY, L’écran global : Culture-médias et cinéma à l’âge hypermoderne, Paris, Seuil, 2007.
- ↑ François FOURNIER, « Grandeur et misère de la mode », Nuit blanche, no 33, October–November 1988, p. 22 à 25.
- ↑ Régis DEBRAY, op. cit., cité par Henri BLOCHER, « Les soubresauts de la pensée humaniste et la pensée biblique », FacRéflexion, n°32, p.4-17.
- ↑ Nicolas LANGELIER, Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles, Montréal, Boréal, 2010.
- ↑ À l’ère des nouvelles télévisuelles, le mot « bonne nouvelle » lui-même peut facilement porter à confusion. De nos jours, on parle de lire ou d’écouter les « nouvelles », lorsque l’on s’informe des actualités, bonnes ou mauvaises. Mais l’utilisation que nous voudrions faire ici de l’expression « bonne nouvelle » remonte à l’Antiquité : celle que l’on retrouve dans l’Ancien et le Nouveau Testament.
- ↑ Nous espérons, par cette dramatisation, avoir bien répondu à l’avertissement de Hans Urs von BALTHASAR : prenons garde à ne pas évacuer de notre christianisme le caractère terriblement dramatique de la croix, à la manière dont le monde moderne escamote la mort dans la vie quotidienne », Tu couronnes l'année de tes bontés, Paris, Salvator, 2003, p. 69-71.
- ↑ Comme cette dame qui a tenté de restaurer la fresque Ecce Homo, en 2012, et a raté son coup. La fresque abîmée est devenue une icône sur Internet.
- ↑ Paul WELLS, « Calvin et la postmodernité – Une question d’interprétation », La Revue réformée, no 226, 2004/1, janvier 2004, tome LV.
- ↑ « Le salut désigne dans la Bible diverses interventions de Dieu en faveur de son peuple ou de ses fidèles », Christophe PAYA « Salut », dans Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, sous dir., La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Charols, Excelsis, 2013, p. 115.
- ↑ Pierre-André LÉCHOT, « Médias », dans Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, sous dir., La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Charols, Excelsis, 2013, p. 363-370
- ↑ Amar DJABALLAH, Les paraboles aujourd’hui, Québec, La Clairière, 1994, p. 315-316.
- ↑ Ibid.
- ↑ Yannick IMBERT, « Apologétique » dans Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, sous dir., La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Charols, Excelsis, 2013, p. 4.
- ↑ Ibid., p. 5.
- ↑ Henri BLOCHER, L'espérance chrétienne, Charols, Excelsis, Vaux-sur-Seine, Édifac, 2012, p. 5.
- ↑ Ibid., p. 16-20.
- ↑ R.V.G. TASKER, « Espérance », Charols, Excelsis, Grand dictionnaire de la Bible, 3e éd., 2017, p. 553-554.
Bibliographie
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