Mission de la Grande Ligne : Différence entre versions
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− | L’établissement du protestantisme dans le Canada français du | + | L’établissement du protestantisme dans le Canada français du XIX<sup>e</sup> siècle coïncide avec la mission de la Grande Ligne, responsable de l'éruption d'un mouvement de revitalisation religieuse<ref>L’historien Louis Rousseau affirme que le Québec français a traversé les étapes d’un mouvement de revitalisation sur une période s’étendant de 1830 à 1860, Wesley PEACH, « Le réveil au Québec : un autre regard », ''Histoire du protestantisme au Québec depuis 1960'', Québec, La Clairière, 1999, p. 132.</ref>. Elle donnera naissance à l’Union d'Églises Baptistes françaises au Canada (UEBFC) suite à une réorganisation en 1969 et maintenant appelé Union d'Églises Baptistes Francophones du Canada. |
+ | Nous retraçons ici les faits saillants de cette œuvre initiée par les missionnaires suisses Henriette Feller et Louis Roussy. | ||
== Prémices à Montréal == | == Prémices à Montréal == | ||
− | En 1834, Henri Olivier, ministre d’une église indépendante à Lausanne, partit avec son épouse et deux étudiants, Daniel Gavin et Samuel Dentan, pour un ministère d’évangélisation des païens en Amérique, sous l’égide de la Société des missions évangéliques de Lausanne<ref> Cette société, établie en 1826 par Henri Olivier, s’était vouée exclusivement à l’évangélisation des Amérindiens et ne désirait pas participer à l’évangélisation des francophones dans le Bas-Canada, malgré l’invitation des Anglais de Montréal. René HARDY, « Odin, Henriette (Feller) », Dictionnaire bibliographique du Canada, vol IX (1861 – 1870), Université Laval/University of Toronto, 1977, consulté le 20 juillet 2017, http://www. biographi.ca/fr/bio/odin_henriette_9F.html. Le premier missionnaire suisse à venir au Canada, Isaac Cloux, servi durant peu de temps parmi les Amérindiens à Kingston. | + | En 1834, Henri Olivier, ministre d’une église indépendante à Lausanne, partit avec son épouse et deux étudiants, Daniel Gavin et Samuel Dentan, pour un ministère d’évangélisation des païens en Amérique, sous l’égide de la Société des missions évangéliques de Lausanne<ref> Cette société, établie en 1826 par Henri Olivier, s’était vouée exclusivement à l’évangélisation des Amérindiens et ne désirait pas participer à l’évangélisation des francophones dans le Bas-Canada, malgré l’invitation des Anglais de Montréal. René HARDY, « Odin, Henriette (Feller) », Dictionnaire bibliographique du Canada, vol IX (1861 – 1870), Université Laval/University of Toronto, 1977, consulté le 20 juillet 2017, http://www. biographi.ca/fr/bio/odin_henriette_9F.html. Le premier missionnaire suisse à venir au Canada, Isaac Cloux, servi durant peu de temps parmi les Amérindiens à Kingston.</ref>. Toutefois, une fois rendu à New York, plutôt que de poursuivre son projet initial, il décida de se rendre à Montréal et d'y exercer un ministère, sous l’influence de ministres montréalais<ref> Mme Olivier rapporta dans la FRCV : « Dès que M. Perkins, le pasteur presbytérien, sut notre arrivée, il convoqua trois autres pasteurs de dénominations différentes pour conférer avec eux sur ce qu’il y avait de plus utile à faire pour les missionnaires suisses. C’est d’après leur avis unanime que nous nous sommes établis ou plutôt posés à Montréal. … Jamais nous avons vu ici un ministre protestant français ». Feuille religieuse du Canton de Vaud du 25 janvier 1835, Vol. 10, Lausanne, Au bureau de la feuille religieuse, 1835, p. 59. L’histoire rapporte toutefois la présence de Jean de Putron à Québec de 1815 à 1821, ministre délégué par la British Wesleyan Conference.</ref>. Ce choix, contraire aux désirs du comité de Lausanne, l’amena à rompre ses liens officiels avec la Société. Malgré cette séparation, il continua d’envoyer et de recevoir de la correspondance de Lausanne. Dans le cadre de son ministère montréalais, il prêcha et enseigna à plusieurs endroits, mais subi constamment l’opposition du clergé catholique romain. Il visita plusieurs villes où il apprenait que des gens lisaient le Nouveau Testament. En avril 1835, Gavin et Dentan décidèrent de se séparer des Olivier afin de poursuivre leur mission initiale consacrée à l'évangélisation des Sioux et ainsi rester en ligne avec les désirs du comité de Lausanne. |
− | </ref>. Toutefois, une fois rendu à New York, plutôt que de poursuivre son projet initial, il décida de se rendre à Montréal et d'y exercer un ministère | + | Après seulement trois conversions en 15 mois de frustration dans leur ministère, les Olivier accueillirent Henriette Feller et Louis Roussy et quittèrent le pays en 1836. Malgré le peu de fruit de leur ministère à Montréal, Jason Zuidema relève trois contributions<ref>« First, they had facilitated the coming of Gavin and Dentan to the mission among the Sioux. Second, they had laid the foundations for the growing network of English Churches in North America who wished to work for the evangelization of French-speaking Roman Catholics. Finally, and this a fact often overlooked in historiography, Olivier became a significant contact person in Lausanne for the French Canadian mission. This is significant for, as noted, his mission work and now the mission work of Feller and Roussy was not an official work of the Lausanne Society. Olivier would collect money for what would become the Grande Ligne mission and, surprisingly, was on the initial board of the Swiss chapter of the French Canadian Missionary Society ». Jason ZUIDEMA, Christian Mission from Lausanne to Canada: European Réveil and Evangelical Missions in French-speaking Canada, Montréal, Concordia University, p. 6, consulté le 20 juillet 2017, https://www.academia.edu/5860216/_Christian_Mission_from_Lausanne_to_Canada_European_R%C3%A9veil_and_Evangelical_Missions_in_French-speaking_ Canada_.</ref> d’Olivier à la mission, soit le début de l’œuvre chez les Sioux, l’établissement d’un réseau d’église américaine pour soutenir l’œuvre française en Amérique et d’être le point de contact à Lausanne pour la mission franco-canadienne. |
− | </ref>. Ce choix, contraire aux désirs du comité de Lausanne, l’amena à rompre ses liens officiels avec la Société. Malgré cette séparation, il continua d’envoyer et de recevoir de la correspondance de Lausanne. Dans le cadre de son ministère montréalais, il prêcha et enseigna à plusieurs endroits, mais subi constamment l’opposition du clergé catholique romain. Il visita plusieurs villes où il apprenait que des gens lisaient le Nouveau Testament. En avril 1835, Gavin et Dentan décidèrent de se séparer des Olivier afin de poursuivre leur mission initiale consacrée à l'évangélisation des Sioux et ainsi rester en ligne avec les désirs du comité de Lausanne. | + | |
− | Après seulement trois conversions en 15 mois de frustration dans leur ministère, les Olivier accueillirent Henriette Feller et Louis Roussy et quittèrent le pays en 1836. Malgré le peu de fruit de leur ministère à Montréal, Jason Zuidema relève trois contributions<ref>« First, they had facilitated the coming of Gavin and Dentan to the mission among the Sioux. Second, they had laid the foundations for the growing network of English Churches in North America who wished to work for the evangelization of French-speaking Roman Catholics. Finally, and this a fact often overlooked in historiography, Olivier became a significant contact person in Lausanne for the French Canadian mission. This is significant for, as noted, his mission work and now the mission work of Feller and Roussy was not an official work of the Lausanne Society. Olivier would collect money for what would become the Grande Ligne mission and, surprisingly, was on the initial board of the Swiss chapter of the French Canadian Missionary Society ». | ||
− | </ref> d’Olivier à la mission, soit le début de l’œuvre chez les Sioux, l’établissement d’un réseau d’église américaine pour soutenir l’œuvre française en Amérique et d’être le point de contact à Lausanne pour la mission franco-canadienne. | ||
== L’engagement d’Henriette Feller == | == L’engagement d’Henriette Feller == | ||
− | Henriette Odin Feller, née en 1800, a vécu à Lausanne dès l’âge de 3 ans. Elle avait donc 16 ans lorsque la prédication des évangélistes écossais a déclenché le réveil suisse. En 1822, elle se marie avec Louis Feller et participe dans l’Église réformée nationale. Entre 1822 et 1827, elle perd successivement son seul enfant, son époux, sa sœur et sa mère. Ces événements douloureux, couplés à l’influence des revivalistes à Lausanne, crée une crise spirituelle dans sa vie, suivie d’une forte expérience de conversion<ref> | + | Henriette Odin Feller, née en 1800, a vécu à Lausanne dès l’âge de 3 ans. Elle avait donc 16 ans lorsque la prédication des évangélistes écossais Richard Wilcox<ref>Richard Wilcox, un méthodiste calviniste, avait ouvert une usine de tissage en 1816 et avait débuté des rencontres avec ceux qui étaient en réaction avec l’enseignement de l’église, spécialement sur le salut par les œuvres. Toutefois, contrairement à Haldane, Wilcox n’avait pas de profondeur théologique pour les nourrir spirituellement. Christopher SMITH, ''J.N. Darby in Switzerland at the crossroads of Brethren History and European evangelism'', Ruschlikon (Suisse), Christian brethren review, 1979, p. 56, consulté le 20 juillet 2017, https://biblicalstudies.org.uk/ pdf/cbr/ 34_53.pdf.</ref> et Robert Haldane<ref>En 1816, Robert Haldane, dans un élan missionnaire typique du Réveil évangélique (1787 - 1825), parti pour Berne et Genève afin de débuter un ministère axé sur les Écritures. Sa connaissance des Écritures et sa foi absolue dans la Bible attirèrent des auditeurs, dont Merle d'Aubigné, auteur du classique « History of the Reformation », Frédéric Monod, devenu le fondateur des Églises libres de France, César Malan et Louis Gaussen. Martin LLOYD JONES, « Préface », Exposition to the epistle to the Romans, Albany, The Ages digital library commentary, 1958, p. 4.</ref> a déclenché le réveil religieux suisse, contribuant une séparation de l'Église protestante officielle. En 1822, elle se marie avec Louis Feller et participe dans l’Église réformée nationale. Entre 1822 et 1827, elle perd successivement son seul enfant, son époux, sa sœur et sa mère. Ces événements douloureux, couplés à l’influence des revivalistes à Lausanne, crée une crise spirituelle dans sa vie, suivie d’une forte expérience de conversion<ref>John M. CRAMP, Memoir of Madame Feller, p. 17 – 25, consulté le 20 juillet 2017, www.archives.org/details/ cihm_00275. Il précise : « After reading a treatise called the Evangelical Doctrine, she experienced a powerful moment of conversion ». Il dira plus loin, p. 34, « Jésus devint le seul objet de sa foi, de son adoration et de son amour. Il était son Sauveur, sa force, sa vie, son tout ».</ref>. |
− | En 1826, elle joint une église indépendante à Lausanne et, en 1828, se fait baptiser par aspersion. Devenue membre d’une société pour l’étude de l’Évangile animée par Henri Olivier, elle devint l’amie de la femme du pasteur. Cette proximité encouragera ultérieurement à Mme Jenny Olivier de lui écrire afin qu’elle se joigne à son travail missionnaire au Canada. Par conséquent, le 17 août 1835, après avoir vendu tous ses biens, elle partit pour le Canada avec Louis Roussy avec une profonde conviction pour son appel : « My convictions have been continually strengthened and confirmed, and now I am certain that I am answering God’s | + | |
+ | En 1826, elle joint une église indépendante à Lausanne et, en 1828, se fait baptiser par aspersion. Devenue membre d’une société pour l’étude de l’Évangile animée par Henri Olivier, elle devint l’amie de la femme du pasteur. Cette proximité encouragera ultérieurement à Mme Jenny Olivier de lui écrire afin qu’elle se joigne à son travail missionnaire au Canada. Par conséquent, le 17 août 1835, après avoir vendu tous ses biens, elle partit pour le Canada avec Louis Roussy, auparavant étudiant de l'Institut missionnaire, avec une profonde conviction pour son appel : « My convictions have been continually strengthened and confirmed, and now I am certain that I am answering God’s call ».<ref>John M. CRAMP, ''op. cit.'', p. 70.</ref>. Son objectif était revivaliste par nature, c’est-à-dire de sauver des âmes plutôt que d’établir des Églises d’une dénomination particulière. | ||
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== Le commencement à la Grande Ligne == | == Le commencement à la Grande Ligne == | ||
− | Durant la première année de mission en terre canadienne, le clergé catholique dénonça les trois écoles fondées par le duo d’évangéliste, les amenant à abandonner leur labeur, et rendant le colportage de plus en plus difficile, là où la surveillance cléricale était étroite. Ne pouvant s’établir dans les villes et villages où se trouvait le clergé catholique, ils se retirèrent sur les terres de colonisation, là où l’absence du clergé et de services publics favorisait les relations entre voisins. La conversion de Mme Lore, de l’Acadie, ouvrit des portes à l'Évangile, spécialement dans sa famille à la Grande Ligne, où ils formèrent une petite communauté composée principalement de la progéniture de Mme Lore. Par conséquent, ils s’établirent à la Grande Ligne, région sans grande supervision du clergé et où l’apostolat, sous la forme d’une école, serait possible. Durant les deux premières années, ils apprirent les us et coutumes des Canadiens-français. | + | Le contexte franco-canadien n'est pas favorable pour ces protestants suisses et francophones affirmant à contre-culture qu'il est possible d'être à la fois canadien-français et protestant<ref>voir une discussion sur la marginalisation des franco-protestants, voir Richard LOUGHEED, « La marginalisation des franco-protestants », Le patrimoine des minorités religieuses du Québec : Richesse et vulnérabilité, Lévis, PUL, 2006, p. 25 - 36.</ref>. Durant la première année de mission en terre canadienne, le clergé catholique dénonça les trois écoles fondées par le duo d’évangéliste, les amenant à abandonner leur labeur, et rendant le colportage de plus en plus difficile, là où la surveillance cléricale était étroite. Ne pouvant s’établir dans les villes et villages où se trouvait le clergé catholique, ils se retirèrent sur les terres de colonisation, là où l’absence du clergé et de services publics favorisait les relations entre voisins. La conversion de Mme Lore, de l’Acadie, ouvrit des portes à l'Évangile, spécialement dans sa famille à la Grande Ligne, où ils formèrent une petite communauté composée principalement de la progéniture de Mme Lore. Par conséquent, ils s’établirent à la Grande Ligne, région sans grande supervision du clergé et où l’apostolat, sous la forme d’une école, serait possible. Durant les deux premières années, ils apprirent les us et coutumes des Canadiens-français. |
− | En 1837, elle fonde la première | + | |
+ | En 1837, elle fonde la première Église franco-canadienne protestante à Marieville. Voyant que les agriculteurs n’étaient pas en mesure d’ensemencer tous leurs terrains, elle rechercha du financement chez des protestants anglophones afin d’obtenir les fonds nécessaires pour l’ensemencement des terres. John M. Cramp rapporte les paroles de Mme Feller : « We have persuaded our people this year [...] to plough and sow all their land, the meadows only excepted, which produce abundant crops of hay. This is an innovation, and is regarded as a remarkable event »<ref> John M. CRAMP, ''op. cit.'', p. 115, 125 – 126.</ref>. Elle tentait de s’immiscer dans tous les domaines de la vie de la communauté et de rendre service, spécialement en étant au chevet des malades. Malgré les seize conversions et une dizaine de participants, la communauté était l’objet d’opposition malicieuse, car les voisins ravageaient leur jardin, et coupaient la crinière et la queue de leurs chevaux de sorte qu'ils ne pouvaient aller nulle part sans être aussitôt reconnus et exposés aux moqueries et aux insultes<ref> René HARDY, « La rébellion de 1837 – 38 et l’essor du protestantisme canadien-français », ''Revue d'histoire de l'Amérique française'', vol 29, numéro 2, Trois-Rivières, Érudit, 1975, p. 180, consulté le 20 juillet 2017, id.erudit. org/iderudit/303440ar. | ||
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== La rébellion des Patriotes == | == La rébellion des Patriotes == | ||
− | Durant la rébellion des Patriotes, | + | Durant la rébellion des Patriotes, Mme Feller fut accusée à tort par les Patriotes de soutenir les Britanniques, parce qu’elle était protestante. Par conséquent, la petite communauté de 16 convertis de la Grande Ligne fut menacé et dû quitter la région. Ils se réfugièrent à Champlain aux États-Unis où Roussy fit la rencontre du docteur Cyrille-Hector-Octave Côté, une des têtes dirigeantes de la rébellion, qui fut converti. Ils ne revinrent que deux mois plus tard, à la fin de la rébellion. À leur retour, ils constatèrent les ravages faits à leurs domiciles. René Paquin explique la perception des Patriotes : « Les Patriotes voyaient dans l’œuvre des évangélistes une tactique de l’administration coloniale destinée à changer les mœurs et leur religion »<ref>René PAQUIN, « Les protestants canadiens-français et le « réveil » catholique dans le Québec du XIXe siècle : Brève histoire d’une concurrence », ''L’identité des protestants francophones au Québec : 1834 -1997, Les cahiers scientifiques'', Montréal, ACFAS, 1998, p. 82.</ref>. Grâce à la générosité de bienfaiteurs des États-Unis, du Canada et de la Suisse, ils purent remplacer la maison détruite par un édifice approprié. La mentalité des gens changea ; le joug des prêtres fut brisé par la guerre. Mme Feller reçue de nombreux enfants à son école de la Grande Ligne. John M. Cramp rapporte ces paroles de Mme Feller : « Quand je suis revenue, des gens qui s’étaient grandement opposés à l’évangile et à nous-même vinrent me demander d’accepter leurs enfants à l’école. J’en ai maintenant plus de quarante et d’autres sont attendus »<ref> John M. CRAMP, ''op. cit.'', p. 132. |
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== Plusieurs affiliations religieuses == | == Plusieurs affiliations religieuses == | ||
− | L’ecclésiologie de Feller, tributaire de celle de James Haldane, a | + | L’ecclésiologie de Feller, tributaire de celle de James Haldane, a causé de nombreux changements d’affiliations religieuses. Au départ, l’Association baptiste d’Ottawa, en 1836, engagea Louis Roussy comme missionnaire pour le Canada français, sous l’influence de proches des Haldane. Le 30 mars 1837, la Canada Baptist Missionary Society (CBMS) a été organisé, par l’Association baptiste d’Ottawa, en tant que coopérative et a pris la charge de la toute nouvelle Mission franco-canadienne de Feller et Roussy de la Grande Ligne. Toutefois, des tensions sont survenues dans cette société baptiste entre des supporteurs de la Mission suisse et des opposants n’étant pas en accord avec une coopération avec Feller et Roussy, car ils n’avaient pas été baptisés par immersion. Par conséquent, cette controverse a été la cause de la dissolution de la relation entre la Canada Baptist Missionary Society et la Mission de la Grande Ligne en février 1839. |
− | Le 13 février 1839, voyant le succès de Feller, les Églises protestantes de Montréal (méthodistes, | + | |
− | Feller et Roussy, | + | Le 13 février 1839, voyant le succès de Feller, les Églises protestantes de Montréal (méthodistes, presbytériennes et congrégationalistes) ont fondé la French Canadian Missionary Society (FCMS) pour soutenir l’essor du protestantisme parmi les francophones, spécialement sur la rive nord du St-Laurent afin de ne pas interférer avec la Grande Ligne. Nous pouvons y sentir l’influence des Haldane, qui s’est fait premièrement, et à faible échelle, par l’immigration écossaise, dont Henry Wilkes (1805-1886) qui a coopéré avec Haldane, vers 1840, pour la création d’un comité auxiliaire de cette société canadienne en Écosse, appelé Comité d’Edinbourgh pour la Gestion de la mission franco-canadienne: « A Édimbourg, en Écosse, Robert Haldane a fait partie du comité auxiliaire, liant ainsi de façon explicite le Réveil genevois à la mission de Feller au Canada»<ref>Catharine RANDALL, ''op. cit.'', p. 56.</ref>. Ce grand apport haldanien avait pour objet d’engager des missionnaires pour le Canada : « engage men of approved piety, without reference to names of party distinction, to preach and teach the unsearchable riches of Christ, to traverse the province as colporteurs, and to scatter the seed of the kingdom whenever they go »<ref>Philip G.A. GRIFFIN-ALLWOOD, ''op. cit.'', p. 88.</ref>. Leur intention était de financer la mission en Écosse et d’envoyer des missionnaires parlant français provenant de la Suisse. La faculté de Montauban, en France, hésitait à fournir des missionnaires pour le Canada, car ce pays autrefois français était sous domination anglaise et la suisse pouvait y jouer un rôle neutre<ref>René PAQUIN, ''op. cit.'', p. 81.</ref>. |
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+ | Feller et Roussy, fidèles à l’ecclésiologie des Haldane, ont recherché une plus grande indépendance et ont obtenu le soutien à partir de New York de la Foreign Evangelical Society, qui les ont soutenu jusqu’en 1845. A cette date, la société a exigé un partenariat entre la Grande Ligne et FCMS, que Feller a accepté en gardant l’identité d’ouverture. La controverse avec CBMS ayant été résolue en 1841, la Grande Ligne fut reconnectée avec elle en maintenant son identité. Les principes d’ouverture des Haldane, qui ont été conservés jusqu’à la toute fin par la Grande Ligne, ont amené ultérieurement les églises canadiennes des Regular Baptists à finalement retirer la Grande Ligne des listes de leurs Églises. | ||
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== L’institut Feller == | == L’institut Feller == | ||
− | En 1854, l’Institut Feller | + | En 1854, l’Institut Feller est inaugurée à la Grande Ligne, où les journées de classe débutaient et se terminaient par la célébration du culte, soit par le chant de psaumes, la lecture biblique et la prière. Ainsi, elle réunissait l’éducation élémentaire et la formation chrétienne : « L’insistance de Feller sur la constitution d’une école comme point de mire d’où, et dans lequel, sa mission serait accomplie va de pair avec le programme protestant d’enseignement moral et biblique, ce qui dépassait les bornes ordinaires de l’enseignement rudimentaire »<ref>Catharine RANDALL, ''op. cit.'', p. 64.</ref>. |
− | Progrès | + | |
− | En 1860, quatorze postes missionnaires furent établis autour de la rivière Richelieu, où se trouvaient de nombreux Patriotes, ce qui s’explique, selon Paquin, par le fait que « le protestantisme français, alors symbole de laïcisme et de républicanisme en France, constituait pour certains d’entre eux une alternative viable à l’Église traditionnelle qui les avait déçus | + | == Progrès == |
+ | En 1860, quatorze postes missionnaires furent établis autour de la rivière Richelieu, où se trouvaient de nombreux Patriotes, ce qui s’explique, selon Paquin, par le fait que « le protestantisme français, alors symbole de laïcisme et de républicanisme en France, constituait pour certains d’entre eux une alternative viable à l’Église traditionnelle qui les avait déçus »<ref>René PAQUIN, ''op. cit.'', p. 86.</ref>. | ||
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== L’héritage d’Henriette Feller == | == L’héritage d’Henriette Feller == | ||
− | Henriette Feller décède à Grande Ligne le 29 mars 1868 après un ministère bien rempli. La distance ecclésiologique entre la Mission de la Grande Ligne et les Regular Baptists demeura jusqu’à sa mort, | + | Henriette Feller décède à la Grande Ligne le 29 mars 1868, après un ministère bien rempli. La distance ecclésiologique entre la Mission de la Grande Ligne et les Regular Baptists demeura jusqu’à sa mort, comme le rapporte la convention de l’Ontario : « a considerable difference of opinion in regard to church-order and ordinances and losse views concerning communion »<ref>Philip G.A. GRIFFIN-ALLWOOD, ''op. cit.'', p. 92.</ref>. Elle a ainsi préservé l’héritage haldanien jusqu’à sa mort. L’historien René Hardy résume ainsi l’impact des 33 ans de son ministère : « Henriette Feller a réussi à constituer la première communauté protestant francophone au Québec et inspiré l’action de plusieurs autres dénominations religieuses réformées, qui, vers 1860, se partageaient une clientèle restreinte et difficile à évangéliser. Elle a su s’entourer de collaborateurs instruits et influents, dont le docteur et patriote Cyrille Hectore-Octave Côté, les prêtres défroqués Louis Normandeau et Hébert-Joseph Tétreau, ainsi que Narcisse Cyr, éditeur et rédacteur du Semeur canadien, et le pasteur Théodore Lafleur, membre en vue de l’Institut canadien de Montréal, directeur de l’école protestante de Longueuil et ministre influent de la Mission de la Grande-Ligne »<ref>René HARDY, « Henriette Odin », Dictionnaire biographique du Canada, Vol IX (1861-1870), Université Laval/University of Toronto, 1977, consulté le 20 juillet 2017, http://www.biographi.ca/fr/bio/ odin_henriette_9F.html.</ref>. |
− | Henriette Feller a réussi à constituer la première communauté protestant francophone au Québec et inspiré l’action de plusieurs autres dénominations religieuses réformées, qui, vers 1860, se partageaient une clientèle restreinte et difficile à évangéliser. Elle a su s’entourer de collaborateurs instruits et influents, dont le docteur et patriote Cyrille Hectore-Octave Côté, les prêtres défroqués Louis Normandeau et Hébert-Joseph Tétreau, ainsi que Narcisse Cyr, éditeur et rédacteur du Semeur canadien, et le pasteur Théodore Lafleur, membre en vue de l’Institut canadien de Montréal, directeur de l’école protestante de Longueuil et ministre influent de la Mission de Grande-Ligne | + | |
+ | L'ensemble patrimonial Feller<ref>Marie-Claude Rocher, « L'ensemble Feller - Patrimoine Matériel, Héritage immatériel », ''Huguenots et protestants francophones au Québec: Fragments d'histoire'', Montréal, Novalis, 2015, p.131 - 160 détaille les traces de cet héritage.</ref>, dont il ne reste que quelques traces, est le berceau du protestantisme francophone au Canada. Il peut être redécouvert grâce au Musée Feller et à la place de la Grande Ligne, inauguré dans le cadre des Journées de la culture 2016<ref>https://patrimoinefeller.com/</ref>. | ||
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+ | <div style='text-align: right;'>Sébastien MORRISSETTE</div> | ||
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+ | == Notes et références == | ||
− | + | <references /> | |
== Bibliographie == | == Bibliographie == | ||
− | + | * CRAMP, John M., ''Memoir of Madame Feller'', p. 17 – 25, consulté le 20 juillet 2017, http://www.archives.org/details/cihm_00275. | |
− | CRAMP, John M., Memoir of Madame Feller, p. 17 – 25, consulté le 20 juillet 2017, www.archives.org/details/ cihm_00275. | + | * « Feuille religieuse du Canton de Vaud du 25 janvier 1835 », vol. 10, Lausanne, Au bureau de la feuille religieuse, 1835, p. 49 – 64. |
− | Feuille religieuse du Canton de Vaud du 25 janvier 1835, vol. 10, Lausanne, Au bureau de la feuille religieuse, 1835, p. 49 – 64. | + | * GRIFFIN-ALLWOOD, Philip G.A., « Mère Henriette Feller (1800 - 1868) of La Grande Ligne and Ordered Ministry in Canada », ''Historical Papers 2011: Canadian Society of Church History'', Calgary, 2011, p. 88. Consulté le 20 juillet 2017, http://historicalpapers.journals.yorku.ca. |
− | + | * HARDY, René, « La rébellion de 1837-38 et l’essor du protestantisme canadien-français », ''Revue d'histoire de l'Amérique française'', vol 29, numéro 2, Trois-Rivières, 1975, 163–189, consulté le 20 juillet 2017, id.erudit.org/iderudit/303440ar. | |
− | GRIFFIN-ALLWOOD, Philip G.A., « Mère Henriette Feller (1800 - 1868) of La Grande Ligne and Ordered Ministry in Canada », Historical Papers 2011: Canadian Society of Church History, Calgary, 2011, p. 88. Consulté le 20 juillet 2017, historicalpapers.journals. yorku.ca. | + | * HARDY, René, « Odin, Henriette (Feller) », ''Dictionnaire bibliographique du Canada, vol IX (1861 – 1870)'', Université Laval/University of Toronto, 1977, consulté le 20 juillet 2017, http://www.biographi.ca/fr/bio/odin_henriette_9F.html. |
− | + | * LOUGHEED, Richard, « Le Réveil », ''Histoire du protestantisme au Québec depuis 1960'', Québec, La Clairière, 1999, p. 53 – 82. | |
− | HARDY, René, « La rébellion de 1837-38 et l’essor du protestantisme canadien-français », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol 29, numéro 2, Trois-Rivières, 1975, 163–189, consulté le 20 juillet 2017, id.erudit.org/iderudit/303440ar. | + | * PAQUIN, René, « Les protestants canadiens-français et le « réveil » catholique dans le Québec du XIXe siècle : Brève histoire d’une concurrence », ''L’identité des protestants francophones au Québec : 1834 -1997'', Les cahiers scientifiques, Montréal, ACFAS, 1998, p. 75 – 92. |
− | HARDY, René, « Odin, Henriette (Feller) », | + | * PEACH, Wesley « Le réveil au Québec : un autre regard », ''Histoire du protestantisme au Québec depuis 1960'', Québec, La Clairière, 1999, p. 125 - 148. |
− | LOUGHEED, Richard, « Le Réveil », Histoire du protestantisme au Québec depuis 1960, Québec, La Clairière, 1999, p. 53 – 82. | + | * RANDALL, Catharine, « Une femme et la Parole : le protestantisme canadien-français d’Henriette Feller », ''L’identité des protestants francophones au Québec : 1834 -1997'', Les cahiers scientifiques, Montréal, ACFAS, 1998, p. 53 – 73. |
− | + | * REMON, Denis, ''sous dir.'', ''L’identité des protestants francophones au Québec : 1834 -1997'', Les cahiers scientifiques, Montréal, ACFAS, 1998, 208 p. | |
− | + | * ROCHER, Marie-Claude, « L'ensemble Feller - Patrimoine Matériel, Héritage immatériel », ''Huguenots et protestants francophones au Québec: Fragments d'histoire'', Montréal, Novalis, 2015, p. 131 - 160. | |
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− | SMITH, Christopher, J.N. Darby in Switzerland at the crossroads of Brethren History and European evangelism, Christian brethren review, Ruschlikon (Suisse), 1979, p.53 - 94, consulté le 20 juillet 2017, https://biblicalstudies.org.uk/pdf/cbr/ 34_53. pdf. | + | *https://patrimoinefeller.com/ |
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− | ZUIDEMA, Jason, Christian Mission from Lausanne to Canada: European Réveil and Evangelical Missions in French-speaking Canada, Concordia University, 12 p., consulté le 20 juillet 2017, https://www.academia.edu/5860216/_Christian_Mission_from Lausanne_to_Canada_European_R%C3%A9veil_and_Evangelical_Missions_in_French-Speaking_Canada. |
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L’établissement du protestantisme dans le Canada français du XIXe siècle coïncide avec la mission de la Grande Ligne, responsable de l'éruption d'un mouvement de revitalisation religieuse[1]. Elle donnera naissance à l’Union d'Églises Baptistes françaises au Canada (UEBFC) suite à une réorganisation en 1969 et maintenant appelé Union d'Églises Baptistes Francophones du Canada. Nous retraçons ici les faits saillants de cette œuvre initiée par les missionnaires suisses Henriette Feller et Louis Roussy.
Sommaire
Prémices à Montréal
En 1834, Henri Olivier, ministre d’une église indépendante à Lausanne, partit avec son épouse et deux étudiants, Daniel Gavin et Samuel Dentan, pour un ministère d’évangélisation des païens en Amérique, sous l’égide de la Société des missions évangéliques de Lausanne[2]. Toutefois, une fois rendu à New York, plutôt que de poursuivre son projet initial, il décida de se rendre à Montréal et d'y exercer un ministère, sous l’influence de ministres montréalais[3]. Ce choix, contraire aux désirs du comité de Lausanne, l’amena à rompre ses liens officiels avec la Société. Malgré cette séparation, il continua d’envoyer et de recevoir de la correspondance de Lausanne. Dans le cadre de son ministère montréalais, il prêcha et enseigna à plusieurs endroits, mais subi constamment l’opposition du clergé catholique romain. Il visita plusieurs villes où il apprenait que des gens lisaient le Nouveau Testament. En avril 1835, Gavin et Dentan décidèrent de se séparer des Olivier afin de poursuivre leur mission initiale consacrée à l'évangélisation des Sioux et ainsi rester en ligne avec les désirs du comité de Lausanne. Après seulement trois conversions en 15 mois de frustration dans leur ministère, les Olivier accueillirent Henriette Feller et Louis Roussy et quittèrent le pays en 1836. Malgré le peu de fruit de leur ministère à Montréal, Jason Zuidema relève trois contributions[4] d’Olivier à la mission, soit le début de l’œuvre chez les Sioux, l’établissement d’un réseau d’église américaine pour soutenir l’œuvre française en Amérique et d’être le point de contact à Lausanne pour la mission franco-canadienne.
L’engagement d’Henriette Feller
Henriette Odin Feller, née en 1800, a vécu à Lausanne dès l’âge de 3 ans. Elle avait donc 16 ans lorsque la prédication des évangélistes écossais Richard Wilcox[5] et Robert Haldane[6] a déclenché le réveil religieux suisse, contribuant une séparation de l'Église protestante officielle. En 1822, elle se marie avec Louis Feller et participe dans l’Église réformée nationale. Entre 1822 et 1827, elle perd successivement son seul enfant, son époux, sa sœur et sa mère. Ces événements douloureux, couplés à l’influence des revivalistes à Lausanne, crée une crise spirituelle dans sa vie, suivie d’une forte expérience de conversion[7].
En 1826, elle joint une église indépendante à Lausanne et, en 1828, se fait baptiser par aspersion. Devenue membre d’une société pour l’étude de l’Évangile animée par Henri Olivier, elle devint l’amie de la femme du pasteur. Cette proximité encouragera ultérieurement à Mme Jenny Olivier de lui écrire afin qu’elle se joigne à son travail missionnaire au Canada. Par conséquent, le 17 août 1835, après avoir vendu tous ses biens, elle partit pour le Canada avec Louis Roussy, auparavant étudiant de l'Institut missionnaire, avec une profonde conviction pour son appel : « My convictions have been continually strengthened and confirmed, and now I am certain that I am answering God’s call ».[8]. Son objectif était revivaliste par nature, c’est-à-dire de sauver des âmes plutôt que d’établir des Églises d’une dénomination particulière.
Le commencement à la Grande Ligne
Le contexte franco-canadien n'est pas favorable pour ces protestants suisses et francophones affirmant à contre-culture qu'il est possible d'être à la fois canadien-français et protestant[9]. Durant la première année de mission en terre canadienne, le clergé catholique dénonça les trois écoles fondées par le duo d’évangéliste, les amenant à abandonner leur labeur, et rendant le colportage de plus en plus difficile, là où la surveillance cléricale était étroite. Ne pouvant s’établir dans les villes et villages où se trouvait le clergé catholique, ils se retirèrent sur les terres de colonisation, là où l’absence du clergé et de services publics favorisait les relations entre voisins. La conversion de Mme Lore, de l’Acadie, ouvrit des portes à l'Évangile, spécialement dans sa famille à la Grande Ligne, où ils formèrent une petite communauté composée principalement de la progéniture de Mme Lore. Par conséquent, ils s’établirent à la Grande Ligne, région sans grande supervision du clergé et où l’apostolat, sous la forme d’une école, serait possible. Durant les deux premières années, ils apprirent les us et coutumes des Canadiens-français.
En 1837, elle fonde la première Église franco-canadienne protestante à Marieville. Voyant que les agriculteurs n’étaient pas en mesure d’ensemencer tous leurs terrains, elle rechercha du financement chez des protestants anglophones afin d’obtenir les fonds nécessaires pour l’ensemencement des terres. John M. Cramp rapporte les paroles de Mme Feller : « We have persuaded our people this year [...] to plough and sow all their land, the meadows only excepted, which produce abundant crops of hay. This is an innovation, and is regarded as a remarkable event »[10]. Elle tentait de s’immiscer dans tous les domaines de la vie de la communauté et de rendre service, spécialement en étant au chevet des malades. Malgré les seize conversions et une dizaine de participants, la communauté était l’objet d’opposition malicieuse, car les voisins ravageaient leur jardin, et coupaient la crinière et la queue de leurs chevaux de sorte qu'ils ne pouvaient aller nulle part sans être aussitôt reconnus et exposés aux moqueries et aux insultes[11].
La rébellion des Patriotes
Durant la rébellion des Patriotes, Mme Feller fut accusée à tort par les Patriotes de soutenir les Britanniques, parce qu’elle était protestante. Par conséquent, la petite communauté de 16 convertis de la Grande Ligne fut menacé et dû quitter la région. Ils se réfugièrent à Champlain aux États-Unis où Roussy fit la rencontre du docteur Cyrille-Hector-Octave Côté, une des têtes dirigeantes de la rébellion, qui fut converti. Ils ne revinrent que deux mois plus tard, à la fin de la rébellion. À leur retour, ils constatèrent les ravages faits à leurs domiciles. René Paquin explique la perception des Patriotes : « Les Patriotes voyaient dans l’œuvre des évangélistes une tactique de l’administration coloniale destinée à changer les mœurs et leur religion »[12]. Grâce à la générosité de bienfaiteurs des États-Unis, du Canada et de la Suisse, ils purent remplacer la maison détruite par un édifice approprié. La mentalité des gens changea ; le joug des prêtres fut brisé par la guerre. Mme Feller reçue de nombreux enfants à son école de la Grande Ligne. John M. Cramp rapporte ces paroles de Mme Feller : « Quand je suis revenue, des gens qui s’étaient grandement opposés à l’évangile et à nous-même vinrent me demander d’accepter leurs enfants à l’école. J’en ai maintenant plus de quarante et d’autres sont attendus »[13].
Plusieurs affiliations religieuses
L’ecclésiologie de Feller, tributaire de celle de James Haldane, a causé de nombreux changements d’affiliations religieuses. Au départ, l’Association baptiste d’Ottawa, en 1836, engagea Louis Roussy comme missionnaire pour le Canada français, sous l’influence de proches des Haldane. Le 30 mars 1837, la Canada Baptist Missionary Society (CBMS) a été organisé, par l’Association baptiste d’Ottawa, en tant que coopérative et a pris la charge de la toute nouvelle Mission franco-canadienne de Feller et Roussy de la Grande Ligne. Toutefois, des tensions sont survenues dans cette société baptiste entre des supporteurs de la Mission suisse et des opposants n’étant pas en accord avec une coopération avec Feller et Roussy, car ils n’avaient pas été baptisés par immersion. Par conséquent, cette controverse a été la cause de la dissolution de la relation entre la Canada Baptist Missionary Society et la Mission de la Grande Ligne en février 1839.
Le 13 février 1839, voyant le succès de Feller, les Églises protestantes de Montréal (méthodistes, presbytériennes et congrégationalistes) ont fondé la French Canadian Missionary Society (FCMS) pour soutenir l’essor du protestantisme parmi les francophones, spécialement sur la rive nord du St-Laurent afin de ne pas interférer avec la Grande Ligne. Nous pouvons y sentir l’influence des Haldane, qui s’est fait premièrement, et à faible échelle, par l’immigration écossaise, dont Henry Wilkes (1805-1886) qui a coopéré avec Haldane, vers 1840, pour la création d’un comité auxiliaire de cette société canadienne en Écosse, appelé Comité d’Edinbourgh pour la Gestion de la mission franco-canadienne: « A Édimbourg, en Écosse, Robert Haldane a fait partie du comité auxiliaire, liant ainsi de façon explicite le Réveil genevois à la mission de Feller au Canada»[14]. Ce grand apport haldanien avait pour objet d’engager des missionnaires pour le Canada : « engage men of approved piety, without reference to names of party distinction, to preach and teach the unsearchable riches of Christ, to traverse the province as colporteurs, and to scatter the seed of the kingdom whenever they go »[15]. Leur intention était de financer la mission en Écosse et d’envoyer des missionnaires parlant français provenant de la Suisse. La faculté de Montauban, en France, hésitait à fournir des missionnaires pour le Canada, car ce pays autrefois français était sous domination anglaise et la suisse pouvait y jouer un rôle neutre[16].
Feller et Roussy, fidèles à l’ecclésiologie des Haldane, ont recherché une plus grande indépendance et ont obtenu le soutien à partir de New York de la Foreign Evangelical Society, qui les ont soutenu jusqu’en 1845. A cette date, la société a exigé un partenariat entre la Grande Ligne et FCMS, que Feller a accepté en gardant l’identité d’ouverture. La controverse avec CBMS ayant été résolue en 1841, la Grande Ligne fut reconnectée avec elle en maintenant son identité. Les principes d’ouverture des Haldane, qui ont été conservés jusqu’à la toute fin par la Grande Ligne, ont amené ultérieurement les églises canadiennes des Regular Baptists à finalement retirer la Grande Ligne des listes de leurs Églises.
L’institut Feller
En 1854, l’Institut Feller est inaugurée à la Grande Ligne, où les journées de classe débutaient et se terminaient par la célébration du culte, soit par le chant de psaumes, la lecture biblique et la prière. Ainsi, elle réunissait l’éducation élémentaire et la formation chrétienne : « L’insistance de Feller sur la constitution d’une école comme point de mire d’où, et dans lequel, sa mission serait accomplie va de pair avec le programme protestant d’enseignement moral et biblique, ce qui dépassait les bornes ordinaires de l’enseignement rudimentaire »[17].
Progrès
En 1860, quatorze postes missionnaires furent établis autour de la rivière Richelieu, où se trouvaient de nombreux Patriotes, ce qui s’explique, selon Paquin, par le fait que « le protestantisme français, alors symbole de laïcisme et de républicanisme en France, constituait pour certains d’entre eux une alternative viable à l’Église traditionnelle qui les avait déçus »[18].
L’héritage d’Henriette Feller
Henriette Feller décède à la Grande Ligne le 29 mars 1868, après un ministère bien rempli. La distance ecclésiologique entre la Mission de la Grande Ligne et les Regular Baptists demeura jusqu’à sa mort, comme le rapporte la convention de l’Ontario : « a considerable difference of opinion in regard to church-order and ordinances and losse views concerning communion »[19]. Elle a ainsi préservé l’héritage haldanien jusqu’à sa mort. L’historien René Hardy résume ainsi l’impact des 33 ans de son ministère : « Henriette Feller a réussi à constituer la première communauté protestant francophone au Québec et inspiré l’action de plusieurs autres dénominations religieuses réformées, qui, vers 1860, se partageaient une clientèle restreinte et difficile à évangéliser. Elle a su s’entourer de collaborateurs instruits et influents, dont le docteur et patriote Cyrille Hectore-Octave Côté, les prêtres défroqués Louis Normandeau et Hébert-Joseph Tétreau, ainsi que Narcisse Cyr, éditeur et rédacteur du Semeur canadien, et le pasteur Théodore Lafleur, membre en vue de l’Institut canadien de Montréal, directeur de l’école protestante de Longueuil et ministre influent de la Mission de la Grande-Ligne »[20].
L'ensemble patrimonial Feller[21], dont il ne reste que quelques traces, est le berceau du protestantisme francophone au Canada. Il peut être redécouvert grâce au Musée Feller et à la place de la Grande Ligne, inauguré dans le cadre des Journées de la culture 2016[22].
Notes et références
- ↑ L’historien Louis Rousseau affirme que le Québec français a traversé les étapes d’un mouvement de revitalisation sur une période s’étendant de 1830 à 1860, Wesley PEACH, « Le réveil au Québec : un autre regard », Histoire du protestantisme au Québec depuis 1960, Québec, La Clairière, 1999, p. 132.
- ↑ Cette société, établie en 1826 par Henri Olivier, s’était vouée exclusivement à l’évangélisation des Amérindiens et ne désirait pas participer à l’évangélisation des francophones dans le Bas-Canada, malgré l’invitation des Anglais de Montréal. René HARDY, « Odin, Henriette (Feller) », Dictionnaire bibliographique du Canada, vol IX (1861 – 1870), Université Laval/University of Toronto, 1977, consulté le 20 juillet 2017, http://www. biographi.ca/fr/bio/odin_henriette_9F.html. Le premier missionnaire suisse à venir au Canada, Isaac Cloux, servi durant peu de temps parmi les Amérindiens à Kingston.
- ↑ Mme Olivier rapporta dans la FRCV : « Dès que M. Perkins, le pasteur presbytérien, sut notre arrivée, il convoqua trois autres pasteurs de dénominations différentes pour conférer avec eux sur ce qu’il y avait de plus utile à faire pour les missionnaires suisses. C’est d’après leur avis unanime que nous nous sommes établis ou plutôt posés à Montréal. … Jamais nous avons vu ici un ministre protestant français ». Feuille religieuse du Canton de Vaud du 25 janvier 1835, Vol. 10, Lausanne, Au bureau de la feuille religieuse, 1835, p. 59. L’histoire rapporte toutefois la présence de Jean de Putron à Québec de 1815 à 1821, ministre délégué par la British Wesleyan Conference.
- ↑ « First, they had facilitated the coming of Gavin and Dentan to the mission among the Sioux. Second, they had laid the foundations for the growing network of English Churches in North America who wished to work for the evangelization of French-speaking Roman Catholics. Finally, and this a fact often overlooked in historiography, Olivier became a significant contact person in Lausanne for the French Canadian mission. This is significant for, as noted, his mission work and now the mission work of Feller and Roussy was not an official work of the Lausanne Society. Olivier would collect money for what would become the Grande Ligne mission and, surprisingly, was on the initial board of the Swiss chapter of the French Canadian Missionary Society ». Jason ZUIDEMA, Christian Mission from Lausanne to Canada: European Réveil and Evangelical Missions in French-speaking Canada, Montréal, Concordia University, p. 6, consulté le 20 juillet 2017, https://www.academia.edu/5860216/_Christian_Mission_from_Lausanne_to_Canada_European_R%C3%A9veil_and_Evangelical_Missions_in_French-speaking_ Canada_.
- ↑ Richard Wilcox, un méthodiste calviniste, avait ouvert une usine de tissage en 1816 et avait débuté des rencontres avec ceux qui étaient en réaction avec l’enseignement de l’église, spécialement sur le salut par les œuvres. Toutefois, contrairement à Haldane, Wilcox n’avait pas de profondeur théologique pour les nourrir spirituellement. Christopher SMITH, J.N. Darby in Switzerland at the crossroads of Brethren History and European evangelism, Ruschlikon (Suisse), Christian brethren review, 1979, p. 56, consulté le 20 juillet 2017, https://biblicalstudies.org.uk/ pdf/cbr/ 34_53.pdf.
- ↑ En 1816, Robert Haldane, dans un élan missionnaire typique du Réveil évangélique (1787 - 1825), parti pour Berne et Genève afin de débuter un ministère axé sur les Écritures. Sa connaissance des Écritures et sa foi absolue dans la Bible attirèrent des auditeurs, dont Merle d'Aubigné, auteur du classique « History of the Reformation », Frédéric Monod, devenu le fondateur des Églises libres de France, César Malan et Louis Gaussen. Martin LLOYD JONES, « Préface », Exposition to the epistle to the Romans, Albany, The Ages digital library commentary, 1958, p. 4.
- ↑ John M. CRAMP, Memoir of Madame Feller, p. 17 – 25, consulté le 20 juillet 2017, www.archives.org/details/ cihm_00275. Il précise : « After reading a treatise called the Evangelical Doctrine, she experienced a powerful moment of conversion ». Il dira plus loin, p. 34, « Jésus devint le seul objet de sa foi, de son adoration et de son amour. Il était son Sauveur, sa force, sa vie, son tout ».
- ↑ John M. CRAMP, op. cit., p. 70.
- ↑ voir une discussion sur la marginalisation des franco-protestants, voir Richard LOUGHEED, « La marginalisation des franco-protestants », Le patrimoine des minorités religieuses du Québec : Richesse et vulnérabilité, Lévis, PUL, 2006, p. 25 - 36.
- ↑ John M. CRAMP, op. cit., p. 115, 125 – 126.
- ↑ René HARDY, « La rébellion de 1837 – 38 et l’essor du protestantisme canadien-français », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol 29, numéro 2, Trois-Rivières, Érudit, 1975, p. 180, consulté le 20 juillet 2017, id.erudit. org/iderudit/303440ar.
- ↑ René PAQUIN, « Les protestants canadiens-français et le « réveil » catholique dans le Québec du XIXe siècle : Brève histoire d’une concurrence », L’identité des protestants francophones au Québec : 1834 -1997, Les cahiers scientifiques, Montréal, ACFAS, 1998, p. 82.
- ↑ John M. CRAMP, op. cit., p. 132.
- ↑ Catharine RANDALL, op. cit., p. 56.
- ↑ Philip G.A. GRIFFIN-ALLWOOD, op. cit., p. 88.
- ↑ René PAQUIN, op. cit., p. 81.
- ↑ Catharine RANDALL, op. cit., p. 64.
- ↑ René PAQUIN, op. cit., p. 86.
- ↑ Philip G.A. GRIFFIN-ALLWOOD, op. cit., p. 92.
- ↑ René HARDY, « Henriette Odin », Dictionnaire biographique du Canada, Vol IX (1861-1870), Université Laval/University of Toronto, 1977, consulté le 20 juillet 2017, http://www.biographi.ca/fr/bio/ odin_henriette_9F.html.
- ↑ Marie-Claude Rocher, « L'ensemble Feller - Patrimoine Matériel, Héritage immatériel », Huguenots et protestants francophones au Québec: Fragments d'histoire, Montréal, Novalis, 2015, p.131 - 160 détaille les traces de cet héritage.
- ↑ https://patrimoinefeller.com/
Bibliographie
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- HARDY, René, « La rébellion de 1837-38 et l’essor du protestantisme canadien-français », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol 29, numéro 2, Trois-Rivières, 1975, 163–189, consulté le 20 juillet 2017, id.erudit.org/iderudit/303440ar.
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