Bioart : Différence entre versions
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* Teva FLAMAN, ''Le bioart : enjeux esthétique'', Aix-en-Provence Presses universitaires de Provence, 2019. | * Teva FLAMAN, ''Le bioart : enjeux esthétique'', Aix-en-Provence Presses universitaires de Provence, 2019. |
Version du 23 avril 2021 à 07:46
Le bioart consiste à engager les biotechnologies pour modifier de la matière vivante afin de produire des sujets artistiques vivants et aborder des enjeux sociétaux (éthiques, politiques, écologiques, économiques, ontologiques) liés à l’usage des biotechnologies. Les bioartistes cherchent à déconstruire les conceptions occidentales et hiérarchisations judéo-chrétiennes des êtres vivants en les réassemblant dans des configurations expérimentales : transformations, hybridations, devenirs-animaux, devenirs-cyborgs. Au moyen de puissants effets de présence, ils rendent saillante une posture empathique et anti-anthropocentrique face aux organismes biologiques (mais également aux machines) qui peuplent la biosphère.
Sommaire
Œuvres emblématiques
Trois œuvres représentent en particulier cette tendance de l’art contemporain qui est naît à la fin des années 1990 et se cristallise autour d’expositions telles qu’Ars Electronica (Linz, 1999, 2000, 2001, etc.), Paradise Now (New York, 2000), Gene(sis) (New York, 2002) ou L’art biotech’ (Nantes, 2003).
En 2006, l’Australien Stelarc débute Ear on Arm, un projet de prothèse bio-électronique greffée sur le corps de l’artiste. La prothèse a été moulée sur les oreilles de l’artiste, sculptée dans du cartilage de synthèse et glissée sous la peau de son avant-bras. Activée par Internet, elle doit fonctionner comme une oreille réelle, de sorte que toute personne qui s’y connecte entende ce qui se passe autour du bras. Cette configuration alternative de l’anatomie humaine permet à Stelarc d’explorer des avenues possibles pour le devenir de l’être humain.
Un pétunia transgénique portant le gène de l’artiste Eduardo Kac (Natural History of the Enigma) est présenté à l’exposition Sk-Interfaces (Liverpool et Luxembourg, 2008). Le sentiment de la présence de ce monstre doit produire chez le spectateur l’émerveillement face à une création qui prend vie. Il doit susciter la conscience que tous les organismes biologiques, humains et non-humains, font partie du même continuum biologique. Les sentiments éveillés à l’occasion de cette rencontre permettent au sens de l’œuvre d’être véhiculé. Ici, « expérience esthétique » est à comprendre en son sens originel, comme une opportunité de connaissance basée sur une réception sensorielle.
En 2011, Marion-Laval Jeantet se fait transfuser du sang de cheval par son collègue Benoît Mangin. Leur performance Que le cheval vive en moi doit d’initier une communication avec l’animal sur un plan métabolique à même de faire éprouver des ressentis équins qu’il est impossible aux leurres des éthologues de provoquer.
L’incarnation comme mode de transmission : une transparence
Dans un contexte de changements technologiques, les biofacts (terme proposé par la philosophe Nicole C. Karafyllis à partir de biological et artifacts) posent des questions difficiles à examiner avec des media traditionnels. La pratique du bioart représente pour l’artiste une sorte de laboratoire philosophique où il peut apporter des réponses plastiques à des questionnements qui découlent du développement des biotechnologies. Les réponses se logent dans l’expérience esthétique née de l’incarnation même de ces questionnements. Car l’exploitation des media biotechnologiques pour leurs spécificités, c’est-à-dire transformer le matériel biologique et produire des sujets vivants, induit pour le spectateur qui se retrouve face au biofact de partager le milieu écologique de l’œuvre d’art qui devient aussi, de par la nature médiatrice de l’art, un espace sémantique.
Le voile des illusions (par exemple : le châssis) qui met traditionnellement le sujet de l’œuvre à distance du spectateur disparaît pour mettre en contact immédiat avec le contenu de l’œuvre, le message lui-même ; le message de la fleur transgénique d’Eduardo Kac, c’est d’être une fleur transgénique, et de faire découvrir, par son existence-même, les potentialités ontologiques des biotechnologies. La réactivité du corps de Marion Laval-Jeantet au sang de cheval configure un hybride d’un genre nouveau qui actualise dans le réel le mythe du centaure. Je regarde l’oreille sur le bras de Stelarc et je me dis : le cyborg est une réalité.
En se penchant sur le rapport entre la matérialité du bioart et son sens, c’est-à-dire sur la façon dont le bioart transmet matériellement son message, on réalise que pour les biofacts, la communication, qui est au principe même des biotechnologies, est un mode d’existence, ce qui explique la disparition du miroir des apparences à fonction médiatrice et que le dispositif incarné est l’objet même de l’expérience esthétique, de la transmission du message. Le sens est alors rabattu sur la phénoménalité, c’est-à-dire le message sur son medium. Dans Natural History of the Enigma, le discours ontologique est rabattu sur la transgénèse. Dans Que le cheval vive en moi, l’éthologie équine est rabattue sur la transfusion. Ear on Arm rabat les prospectives posthumanistes sur un dispositif de bio-télécommunication : un processus technique prend en charge la signification de l’œuvre. En faisant des biotechnologies le moyen et le sujet des biofacts, les bioartistes produisent des œuvres d’art transparentes à leurs media, laissant transparaître en conséquence le mode d’organisation de la société de la communication.
Le bioart comme reflet de la cybernétique
Le projet de Norbert Wiener, père de la cybernétique, était de produire une théorie dont les applications favoriseraient la transparence des échanges à l’intérieur de la société et engendreraient la fin des secrets d’état, responsables, selon lui et plusieurs de ses collègues, des horreurs de la seconde guerre mondiale. Les sciences et techniques issues de la cybernétique ont donc été forgées selon un principe médiatique de transparence du medium à son message, les biotechnologies correspondant au versant biologique de la réorganisation médiatique (au sens médiologique) du monde à l’ère du paradigme informationnel. Or, les œuvres d’art reflètent l’épistémè de leur époque, à laquelle elles empruntent aussi différentes techniques de création. Dans le monde engendré par la théorie de l’information et de la communication, il n’est donc pas étonnant que la production symbolique devienne elle aussi transparente à son processus de fabrication. L’œuvre d’art laisse de plus en plus apparaître ses rouages, jusqu’à ce que les rouages eux-mêmes se substituent au contenu discursif.
Teva FLAMAN
Bibliographie
- Teva FLAMAN, Le bioart : enjeux esthétique, Aix-en-Provence Presses universitaires de Provence, 2019.